Élargissant sans cesse son répertoire, Philippe Jaroussky aborde les airs de cour du XVIIème siècle. Il fait équipe avec une spécialiste, Christina Pluhar, dirigeant son ensemble L'Arpeggiata. À qui l'on doit la conception d'un programme significatif de ce genre musical, autour d'un thème cultivé à un rare degré de raffinement : les émois amoureux. La suavité de la voix du contre-ténor et les sonorités envoûtantes de ces sept musiciens communiquent au présent album une rare aura poétique. Une vraie pépite.
Véronique Gens aborde enfin au disque le mélodrameLa Voix humaine, une des dernières œuvres dramatiques de Francis Poulenc. Grâce à un sûr talent de diseuse, elle rejoint la performance légendaire de la créatrice du rôle, Denise Duval. Le magistral soutien orchestral que prodiguent Alexandre Bloch et l'Orchestre National de Lille est pour beaucoup dans la gravité de cette petite tragédie de la rupture. Ils donnent en complément une séduisante interprétation de laSinfonietta, une œuvre symphonique bien différente par son caractère léger.
Ce CD est la captation du concert donné le 22 avril 2022 au Festival de Pâques d'Aix-en-Provence. Renaud Capuçon, directeur artistique de la manifestation, avait convié Martha Argerich pour une séance de sonates. Le frisson du live, le sens de l'événement, rarement a-t-on ressenti une telle entente : plus que deux musiciens d'exception jouant ensemble, la simple véracité de la musique, à travers un choix de partitions essentielles du répertoire violon-piano. « Notre but n'est pas de faire un bon concert, nous sommes là pour vivre une expérience extraordinaire », souligne le violoniste. Un album de musique de chambre à chérir.

Autre témoignage de l'art du chef Bernard Haitink, le concert donné le 30 août 2019 dans le Grosses Festspielhaus de Salzbourg restera mémorable. Pas seulement parce qu'il devait marquer ses adieux à un Festival auquel il aura tant donné au concert et à l'opéra (UneFlûte enchantéeen 1993). Mais tout simplement parce que, ce jour-là, dirigeant les Wiener Philharmoniker, les planètes étaient alignées pour des exécutions d'anthologie. Beethoven, et cette fois Bruckner, étaient au programme. Un autre émouvant témoignage de son art.

Dans le cadre de l'intégrale duRing dirigé par Georg Solti,La Walkyriesera le dernier titre enregistré, en 1965, et publié l'année suivante. Rêve de trouver la distribution idéale ? On avait pensé les choses en grand. En réunissant un cast qui frôlait l'idéal pour l'époque et peut-être pour longtemps. En tout cas passé à la postérité comme une référence : Nilsson, Crespin, Ludwig, au sommet de leur art, et Hotter en Wotan, le plus illustre tenant du rôle, bien qu'à l'automne de sa carrière. Ce paramètre artistique éblouissant devait s'accompagner d'un volet technique d'exception. Sous la houlette du producteur John Culshaw et de ses ingénieurs du son avisés, on se dotait des dernières conquêtes d'enregistrement du label Decca. Cette réussite non pareille est enrichie par la nouvelle remastérisation.
Cent fois sur le métier... Le Ring de Wagner signé Georg Solti chez Decca renoue avec l'actualité. Prodige de la technique, une nouvelle remastérisation voit le jour pour le 25ème anniversaire de la disparition du grand chef hongrois. Elle s'inscrit dans une actualité wagnérienne toujours aussi intense car aussi bien cette Œuvre monde est donnée avec une permanence qui ne se dément pas. À la scène, les productions ne se comptent plus, dont bien des légendaires (Wieland Wagner, Patrice Chéreau à Bayreuth, Karajan à Salzburg). Coïncidence, la Tétralogieconnaît actuellement plusieurs nouvelles propositions, notamment à Berlin avec Dmitri Tcherniakov (hélas sans Barenboim !). Au disque, les intégrales n'ont pas non plus manqué. Que ce soient les versions contemporaines de celle de Solti (von Karajan, Böhm) ou successeures (Haitink, Janowski). Ou celles d'archives de radio, dont des captations de Bayreuth. Mais l'intégrale de Georg Solti possède quelque chose d'unique. D'abord le privilège d'avoir été la première enregistrée en studio, au temps lointain du vinyle, dans des conditions particulièrement étudiées de prise de son visant à recréer une vraie dramaturgie pour l'écoute domestique. Et bien sûr le génie de réunir une distribution éblouissante, savoir les plus grandes pointures du chant wagnérien, autour d'un orchestre prestigieux, combien phonogénique, les Wiener Philharmoniker. Ce Ringest depuis des lustres entré dans la légende du disque. Les présents nouveaux transferts HD l'y maintiennent à un degré sonore plus ''fidèle'' que jamais.
Poursuivant son intégrale Berlioz, John Nelson abordeLes Nuits d'été qu'il associe àHarold en Italie. Il confie le cycle vocal à une voix d'homme et à un interprète, Michael Spyres, se mouvant aussi bien dans le registre de ténor que dans celui de baryton. Une performance qui rencontre les volontés de Berlioz dans l'orchestration effectuée en 1856. Autrement dit, une seule voix et plusieurs timbres. L’œuvre symphonique est quant à elle interprétée par un jeune altiste anglais d'une étonnante maturité.
C'est une redécouverte de taille que cette Psyche de l'anglais Matthew Locke, dramatick opera créé en 1775 au Dorset Garden de Londres. Qui trouve son origine dansLes Métamorphoses d'Apulée. Mais aussi sur les rives de la Seine, dans une tragédie-ballet, Psyché, commandée par Louis XIV à l'équipe Molière-Corneille-Quinault, et qui voit le jour en 1771. Le retentissant succès traversera vite le Channel pour donner l'idée au roi d'Angleterre Charles II de demander à ses musiciens de cour de lui écrire ''le premier opéra anglais''. Le librettiste Thomas Shadwell s'inspire directement de la trame de ses trois collègues français. La musique écrite à deux mains par Locke et Draghi, sera ensuite perdue, dont celle de l'italien. On doit à Sébastien Daucé de l’avoir reconstruite, de main de maître. L'exécution qu'il en donne avec son Ensemble Correspondances et un panel de chanteurs rompus au style baroque est pur bonheur.
Antonio Pappano, son orchestre dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia et cinq solistes de talent proposent une œuvre de Rossini bien peu jouée, laMessa di Gloria. À ne pas confondre avec laPetite Messe solennelle, bien plus tardive. Voilà de la musique sacrée gorgée de lyrisme et d'harmonies surprenantes. Et une heure de pur plaisir, comme l'auteur de Il Barbiere di Siviglia sait en distiller, pourvue d'une interprétation qui touche la perfection.
Pour son septième opus des œuvres lyriques de Lully, Christophe Rousset a choisi la dernière de celles-ci, la pastorale héroïque Acis et Galatée. Avec la même empathie, la même verve que pour les opéras précédents, dontAlcesteouIsis. Entouré d'une distribution prestigieuse, il nous offre une nouvelle fois une totale réussite, qui remet en lumière cette pièce peu connue et mérite notre admiration.
La compositrice américaine Florence Price (1887- 1953) est la première femme à avoir vu saPremière Symphoniejouée par un orchestre de renom, le Chicago Symphony, à l'orée des années 1930. Le monde musical outre-Atlantique découvrait alors combien une des leurs, de sang noir, avait à dire. Yannick Nézet-Séguin présente cette Première ainsi que la Troisième, à la tête du Philadelphia Orchestra. Pour faire revivre, souligne-t-il, « des voix historiquement sous-représentées » et « construire un plus équitable futur de la musique classique, celui dans lequel toutes les voix sont entendues, et où des artistes comme Florence Price ne doivent pas sombrer dans l'obscurité ». Le langage de cette compositrice, consonant et profondément ancré dans la culture nord-américaine, nous permet de découvrir un rare talent.
Chaque nouveau disque de Krystian Zimerman est un événement. Celui-ci ne fait pas exception. D'autant qu'il est consacré à un compositeur cher à son cœur de polonais, Karol Szymanowski, dont sont présentés quelques aspects significatifs de la production pour piano solo. Le musicien connut naguère Arthur Rubinstein comme premier interprète et ardent défenseur. Zimerman reprend aujourd'hui le flambeau de ce dernier, combien magistralement : un fascinant voyage dans un monde sonore singulier.
Les symphonies de Sibelius occupent une place à part dans le répertoire. On a longtemps disserté sur leur caractère déroutant, rebutés que sont les auditeurs cartésiens devant un univers d'éléments apparemment épars, de mélodies fragmentées, de morcellement de la pensée, qui peuvent laisser une impression de désordre, en tout cas d'insaisissable. Les temps ont cependant bien changé et l'heure de la réévaluation de ce compositeur est venue. Grâce à l'opiniâtreté de quelques chefs, Herbert von Karajan et Lorin Maazel hier, puis Esa-Pekka Salonen et Simon Rattle. Et maintenant la nouvelle génération, notamment celle des chefs finlandais comme Klaus Mäkelä (*1996). Entouré de l'excellent Orchestre Philharmonique d'Oslo, associé de longue date à l'interprétation de la musique du grand compositeur de Finlande, celui-ci livre une vision renouvelée de ce fascinant corpus qu'il aime visiblement et nous fait aimer. Enthousiasmant !
Fière idée, redoutable challenge, de confier l'ensemble des mélodies de Fauré à une seule voix, et de ténor ! Là où le souvenir de certains illustres barytons, comme Gérard Souzay ou Stéphane Degout, ou de cantatrices, telles Elly Ameling ou Régine Crespin, plane sur un monument de l'art français du chant soliste. Le duo que forment Cyrille Dubois et le pianiste Tristan Raës, déjà bien installé dans ce répertoire, y apporte rigueur, sincérité et rare musicalité dans un vrai souci du partage. Cet album est un formidable achèvement pour une immersion en terre vocale fauréenne aussi exhaustive qu'inédite, menée avec un vrai et sûr goût français, tutoyant la perfection.
Pour son troisième opus pour DG, Matthias Goerne fait équipe avec un autre pianiste du roster de l'étiquette jaune, Daniil Trifonov. Leur programme a pour thématique les grands mystères de la destinée et de la mort, avec une brassée de Lieder de Schumann, Brahms, Wolf, Berg et Chostakovitch. Dans son magistral texte d'accompagnement, Christophe Ghristi résume ce singulier parcours : « ainsi Goerne et Trifonov ont-ils réuni cet ensemble d’œuvres visionnaires, aux portes de la mort, et qui nous fait entendre, terrible mais consolatrice, la voix des prophètes ».
Poursuivant son intégrale Ravel, François-Xavier Roth aborde les Concertos pour piano, qu'il associe à quelques mélodies. Il fait équipe avec le pianiste Cédric Tiberghien et le baryton Stéphane Degout, pour des interprétations qui par leur sincérité et leur haute valeur musicale, renforcée par l'usage d'instruments d'époque, tutoient l'idéal. Ce CD est pour l'île déserte !
Les enregistrements de Der Freischütz de Weber se suivent mais ne se ressemblent pas. Après bien des intégrales prestigieuses et en dernier lieu, au disque, celle de Marek Janowski, voici la vision de René Jacobs. Qui enfin ose revenir à la dramaturgie d'origine et jouer à fond ce qu'est un Singspiel, genre mêlant chant, texte déclamé et dialogues parlés. L'achèvement l'est tout autant sur le plan musical, eu égard à une direction d'orchestre vraiment inspirée et à une distribution, qui pour ne pas satisfaire au culte du vedettariat, réussit la prouesse du pari du naturel. Une version vraie, souvent bouleversante à cet égard. Qui tourne le dos aux clichés trop souvent véhiculés vis-à-vis d'une œuvre réputée hybride, qui ne l'est pas tant que cela.
Un nouvel album de Grigory Sokolov est toujours un événement. Celui-ci l'est à un double titre, non seulement par la qualité exceptionnelle des interprétations des pièces jouées de Haydn et de Schubert, mais aussi parce qu'il a été saisi live dans la salle même de musique du château d'Esterházy, là où Haydn officia comme Kapellmeister. Un disque indispensable.
Ce DVD est la captation de la magistrale production d'Ercole amante de Cavalli, donnée avec grand succès à l'Opéra Comique à l'automne 2019 dans une mise en scène spectaculaire et une direction musicale de haute tenue rehaussée par une distribution sans faille. Une réalisation qui rejoint celle, légendaire, deLa Calistodu même Cavalli, naguère donnée à La Monnaie de Bruxelles, signée Herbert Wernicke et René Jacobs. Cet album est indispensable à qui veut éprouver les frissons de l'opéra baroque dans ce qu'il a de plus exaltant, lorsque comme ici, tous les arts sont rassemblés pour nous émerveiller.
N'est-il pas tout simplement merveilleux, et combien révélateur d'une vraie humilité, que la grande dame du piano russe livre au disque, à ce stade de sa prestigieuse et longue carrière, sa vision des sonates de piano de Mozart. La somme de musique que le compositeur a laissée à l'instrument cher entre tous, n'a pas fini de livrer tous ses secrets, même après bien des interprétations légendaires. Elisabeth Leonskaja nous convie à un passionnant cheminement à travers la pensée mozartienne par la magie d'une rencontre vraiment au sommet.