CD : les mélodies de Gabriel Dupont

Poursuivant leur quête des trésors cachés de la mélodie française, et après un album consacré à Louis Beydts, Cyrille Dubois et Tristan Raës se penchent sur la contribution de Gabriel Dupont. Ce jeune musicien, trop tôt emporté par la maladie, a laissé un corpus où la demi-teinte impressionniste le dispute au raffinement d'un romantisme tardif. Une collection de joyaux.
Bien que s'étendant sur une période restreinte, la production du compositeur normand Gabriel Dupont (1878-1914) couvre plusieurs domaines, opéra, musique de chambre, pièces pour piano et mélodies. Ces dernières, au nombre d'une trentaine, ont été composées entre 1895 et 1912, souvent réunies en diptyques. Elles démontrent une rare sensibilité, qui fera dire à Vladimir Jankélévitch « cet impressionniste était une grande âme romantique et passionnée ». De fait, à la subtilité de l'harmonie s'allie un vrai talent de coloriste apte à décrire une sensation, à peindre un paysage intérieur. Il partage avec les impressionnistes, et bien sûr Debussy, cet art délicat de la demi-teinte, du mot juste effleuré. On y décèle aussi l'envolée lyrique héritée de Massenet. Mais Dupont affirme très vite un ton personnel, souvent empreint de mélancolie. Les poètes mis en musique sont les plus divers : grands auteurs, Musset, Verlaine, Rimbaud, Leconte de Lisle, comme les poètes contemporains, Jean Richepin, Henry Bataille, Armand Silvestre, Cécile Pépin ou Émile Verhaeren.
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Empreinte de simplicité, l'écriture vocale offre un spectre étonnamment étendu, passant du ton de la confidence à l'éclat affirmé venant souvent couronner un crescendo habilement ménagé. Celle pour le piano est lumineuse dans son raffinement harmonique qui doit beaucoup à Debussy, mais sait aussi se parer d'une densité presque orchestrale dans les situations dramatiques. Ces pièces sont avant tout « d'une grande clarté, permettant au texte des s'épanouir sans jamais surcharger l'émotion », souligne Cyrille Dubois.
On le mesure dès la première composition : Deux mélodies, de 1895, sur des poèmes de Verlaine. À l'économie de moyens répond un narratif dans le ton confident qu'enjolive un piano raffiné, presque évanescent. Caractéristiques qui marqueront d'autres diptyques. Ainsi des deux pièces composant Les Caresses (1908) sur des poèmes de Jean Richepin, ou de Deux mélodies d'Alfred de Musset (1910). Dans le domaine des pièces isolées, on citera ''Le jardin mouillé'' (Henri de Régnier) où la voix dans le registre ppp évolue sur un piano translucide, ou ''Annie'' (Leconte de Lisle) dont la ligne vocale se détache d'un accompagnement habile à créer la juste atmosphère. Et surtout ''Mandoline'' (1901) dont le célèbre poème de Verlaine avait inspiré Debussy une vingtaine d'années plus tôt. Dupont convoque ici un piano virevoltant tandis que la vocalité se veut enjouée. Avec ''Chanson des six petits oiseaux'', sa dernière composition vocale (1912), Gabriel Dupont revient à sa manière dépouillée du début.
Son œuvre la plus développée reste Poèmes d'automne (1904). Leurs huit mélodies sont écrites sur des textes de huit poètes différents : de Henri de Régnier (''Si j'aime'') à Rimbaud (''Ophélie'', fluide comme une eau claire) ou Henry Bataille (''La Fontaine de pitié''), ou encore Verlaine (''La neige'' et ses larges contrastes dynamiques). Mais aussi des symbolistes comme Georges Rodenbach (''Douceur du soir !'') ou Stuart Merrill, poète américain d'expression française (''Au temps de la mort des marjolaines''). De l'inclassable Fernand Gregh (''Le Silence de l'eau'') au parnassien Léon Dierx (''Sur le vieux banc'' et ses étonnants accents fauréens).
Le duo Dubois-Raës ne cesse d'émerveiller. Le ténor, une fois encore, déploie son magistral talent de diseur, cultivant un ton naturel, une approche jamais forcée. La beauté du timbre solaire, nimbé à l'occasion de moirure, laisse s'épanouir un panel des nuances savamment dosées, du murmure à l'expression violente des sentiments. Tristan Raës, le partenaire de toujours, prodigue l'idéal soutien dans le raffinement presque debussyste qui sertit le chant. Le pianisme extrêmement mobile, souvent ondoyant, parfois dramatique, est toujours élégant. On retrouve cette même respiration entre chanteur et pianiste qui a tant illuminé leur intégrale des mélodies de Fauré. La présente captation au Conservatoire de Caen, dans une ambiance intimiste, parfaitement en adéquation avec ces étonnantes miniatures, ajoute à l'attrait de ce disque.s
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Gabriel Dupont : Intégrale des mélodies
- Cyrille Dubois (ténor), Tristan Raës (piano)
- 1 CD Aparté : AP 377 (Distribution : [Integral])
- Durée du CD : 80 min
- Note technique :
(5/5)
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