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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Michael Spyres trace son chemin vers Wagner

Michael Spyres ne cesse de nous surprendre. Et défie de nouveaux challenges en affichant son ambition d'aborder le répertoire wagnérien. Il le fait par un étonnant détour : le propos de ce nouvel album est de « braquer la lumière sur ces compositeurs auxquels Wagner fait de l'ombre, ceux qui bâtirent les fondements de son esthétique et conçurent la charpente de l'écriture vocale du ténor wagnérien », souligne-t-il. D'une improbable association d'airs, pour beaucoup peu connus, associant lyrisme et bravoure, le ténor relève crânement le défi.

Après ''Baritenor'' et ''Contra-tenor'', Michael Spyres entreprend une nouvelle démonstration aussi audacieuse qu'inattendue : montrer comment Wagner, à travers le répertoire pour ténor, est en fait l'aboutissement des courants musicaux qui l'ont immédiatement précédé. Dans un perspicace essai accompagnant le CD, le ténor américain s'explique : « mon chemin vers Wagner traverse un réseau de courants imbriqués les uns dans les autres qui l'ont influencé ». Car « les compositeurs qui l'ont précédé ont révolutionné l'expression musico-dramatique de manières extrêmement inventives ». De sorte que « la profonde ingéniosité de Wagner prend un relief d'autant plus remarquable quand on la considère à l'aune de ce puissant legs d'innovations musicales ». Le raisonnement ne manque pas de frôler le paradoxe lorsqu'on sait que l'auteur de Tristan s'est lui-même considéré comme révolutionnaire au point de faire table rase de tout ce qui l'a précédé !

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La démonstration se veut chronologique au fil d'un ensemble d'airs empruntés à quelque neuf compositeurs et écrits entre 1807 et 1833, soit avant le premier opéra de Wagner, Les Fées (1834). Ils appartiennent au répertorie italien, français et allemand et ont pour nom Méhul ou Meyerbeer, Beethoven ou Weber, Bellini ou Spontini. Le panorama est nul doute significatif des innovations apportées par chacun d'eux. Ainsi en est-il d'un air de Méhul emprunté à son opéra biblique Joseph (1807), dont Wagner louera le modèle consistant à intégrer l’orchestre dans le déroulement de l'action. Du personnage de Florestan de Fidelio de Beethoven, qui dans l'air d'entrée de l'acte II, « représente le prototype du Heldentenor wagnérien ». C'est ce vers quoi tend Rossini et son écriture pour le barytenor, avec le personnage de Leicester de Elisabetta, regina d'Inghilterra : un ambitus extrême qui dépasse les normes jusque-là admises et un traitement des couleurs conduisant peu ou prou à la tessiture du ténor wagnérien, du moins le lyrico-dramatique comme Rienzi, Lohengrin ou Walther von Stolzing. Un type de voix repris par Meyerbeer dans le cadre du modèle du grand opéra français, ici illustré par le personnage d'Adriano de Il criociato in Egitto. Bien sûr, la partie de Max de Der Freischütz de Weber (1821) dans le grand air de l'acte I, associe le ton lyrique à un dramatisme assumé. Et celle de Konrad du peu connu Hans Heilig (1833) de Heinrich Marschner montre richesse d'orchestration et intensité de l'expression chantée, sorte de « trait d'union entre Weber et Wagner ». Spontini sera également considéré par Wagner comme essentiel eu égard au rôle dévolu à l'orchestre, et son dernier opus Agnes von Hohenstaufen (1829) aura une influence sur Rienzi. Enfin Norma (1831) de Bellini, tenu en haute estime par le Maître, constitue un sérieux précédent, comme illustré par l'air martial de Pollione au Ier acte de l'opéra.

Alors Wagner apparaît, logiquement donc. Avec deux opéras qui ont sans doute directement hérité de ces divers courants esthétiques. Ainsi du premier essai pour la scène Les Fées (1834). Et aussi de Rienzi (1840), « un grand opéra français sur un livret allemand ». Comme en témoigne la prière du personnage titre, à l'acte V, et son exquise mélodie. Tout autre est le rôle-titre de Lohengrin. Le salut au cygne au Ier acte, par lequel Spyres conclut cette anthologie, appartient bien sûr à un style vocal nouveau.       

Bien au-delà du soin apporté au choix des œuvres, témoignant de la perspicacité de sa culture musicale, la maîtrise de la réalisation purement vocale ne cesse d'étonner. Au fil de cet étonnant patchwork, Michael Spyres déploie une agilité vocale phénoménale, passant sans ciller d'un répertoire à l'autre dont il révèle toutes les subtilités. Car qu’y a-t-il de commun entre une cavatine de Rossini et sa virtuosité, fût-elle au service d'un impact dramatique certain, et l'air déchirant de Florestan, entre ceux du tourmenté Max et du vindicatif Pollione. Et il est certain que la malléabilité du timbre, l'étonnante étendue de la tessiture qui unit les divers registres, au point de les confondre, l'éclectisme des styles enfin, que cultive depuis longtemps le ténor américain, sont des atouts déterminants pour une approche documentée des trois rôles wagnériens cités. Reste que le répertoire de Wagner, en ligne de mire, est ''un domaine à part'', comme il le dit lui-même. Et terriblement piégeux pour la suite d'une carrière. Une prise de rôle de Lohengrin récemment à l'Opéra du Rhin précède déjà celle de Siegmund l'été prochain à Bayreuth.

Quoi qu'il en soit, cet album est un formidable achèvement. Il doit beaucoup aussi à la direction engagée de Christophe Rousset qui, avec ses Talens Lyriques, crée pour chaque morceau l'atmosphère vraie. L'introduction à l'air de Florestan ou le prélude instrumental de celui de Rienzi, sans parler de l'extrait de Lohengrin, ne sont que des exemples parmi cent de la saveur particulière qu'apporte le jeu sur instruments d'époque. Autre réussite : l'enregistrement, à la Salle Colonne à Paris, modèle de prise de son studio.
Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • ''In the shadows''
  • Airs extraits d'opéras de Étienne Méhul (Joseph), Ludwig van Beethoven (Fidelio), Gioachino Rossini (Elisabetta, regina d'Inghilterra), Giacomo Meyerbeer (Il crociato in Egitto), Carl Maria von Weber (Der Freischütz), Daniel Auber (La Muette de Portici), Gaspare Spontini (Agnes von Hohenstaufen), Vincenzo Bellini (Norma), Heinrich Marschner (Hans Heiling), Richard Wagner (Die Feen, Rienzi, Lohengrin)
  • Michael Spyres, ténor
  • Avec Julien Henric, ténor (Norma)
  • Jeune Chœur de Paris
  • Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
  • 1 CD Erato : 5054197879821 (Distribution : Warner Music)
  • Durée du CD : 84 min 49 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

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Wagner, Carl Maria von Weber, Vincenzo Bellini , Michael Spyres, Gioachino Rossini, coup de cœur, Christophe Rousset, Les Talens Lyriques, Ludwig van Beethoven, Le Jeune Chœur de Paris, Gaspare Spontini, Julien Henric, Étienne Méhul, Giacomo Meyerbeer, Daniel Auber, Heinrich Marschner

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