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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Michael Spyres, ou le défi des catégories vocales

Baritenor 2021

  • ''Baritenor''
  • Airs extraits de :
  • Wolfgang Amadé Mozart : Idomeneo (rôle-titre). Le Nozze di Figaro (Il Conte Almaviva), Don Giovanni (rôle-titre)
  • Étienne Nicolas Méhul : Ariodant (Edgard)
  • Gaspare Spontini : La Vestale (Licinius)
  • Gioachino Rossini : Il Barbiere di Siviglia (Figaro). Otello (rôle-titre)
  • Adolphe Adam : Le Postillon de Lonjumeau (Chapelou)
  • Gaetano Donizetti : La Fille du régiment (Tonio)
  • Giuseppe Verdi : ll Trovatore (Il Conte di Luna)
  • Ambroise Thomas : Hamlet (rôle-titre – version pour ténor)
  • Jacques Offenbach : Les contes d'Hoffmann (rôle-titre)
  • Richard Wagner : Lohengrin (rôle-titre - version en français)
  • Ruggero Leoncavallo : Pagliacci (Tonio)
  • Franz Lehar : Die lustige Witwe (Danilo)
  • Maurice Ravel : L'Heure espagnole (Ramiro)
  • Carl Orff : Carmina Burana
  • Erich Wolfgang Korngold : Die tote Stadt (Paul)
  • Michael Spyres, baryténor
  • Avec : Sangbae Choï, Nicolas Kuhn, Mario Montalbano, ténors, Fabien Gaschy, baryton
  • Chœur de l'Opéra national du Rhin, Alessandro Zuppardo, maître de chœur
  • Orchestre Philharmonique de Strasbourg, dir. Marko Letonja
  • 1 CD Erato : 0190295156664 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 84 min 30 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

On savait l'américain Michael Spyres posséder une voix de ténor hors norme dans un déjà vaste répertoire belcantiste et romantique. Mais avec ce nouvel album il nous bluffe en abordant des emplois de ténor nettement plus corsés et au-delà, en flirtant avec le registre du baryton. Ténor barytonant, baryton ténorisant, les catégories vocales prétendument établies sont mises au défi de cet emploi au nom bicéphale, le baritenor. Au fil de 18 morceaux et autant de rôles, puisés chez 15 compositeurs différents et en trois langues, le chanteur ne cesse de nous épater avec une aisance confondante, passant en un tournemain du plus aigu au plus grave, mais aussi en acteur consommé au charme irrésistible. Voilà bien un des disques d'airs d'opéras les plus captivants de ces dernières années !

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 Dans le livret du disque, Michael Spyres dresse un récit très documenté de l'histoire d'un type de voix dont on ne soupçonnait pas l'importance, le baritenor ou baryténor, « un baryton et un ténor dans un même corps ». Mais hélas « un phénomène oublié, qui depuis que l'opéra existe se cache à la vue de tous au sein de différents ouvrages ». Depuis le XVIIIème siècle jusqu'à la Révolution française, durant le XIXème, dans le répertoire du bel canto comme de l'opéra-comique, voire chez Wagner où le baryténor devient l'antichambre du Heldentenor, chez Verdi même, et jusqu'au vérisme et à l'opérette allemande au XXème, sans oublier le Grand opéra français. Ses plus illustres interprètes ont pour nom Raaff, Nourrit, Garcia, Martin, Faure, Maurel, Périer. Et bien d'autres plus près de nous. Michael Spyres, qui possédait à l'origine une voix de baryton, ayant muté vers le ténor, peut désormais se mouvoir dans ces deux univers. Aussi bien dans des airs ressortissant à son couloir naturel de ténor, pour insensiblement passer dans le registre de baryton léger qui voisine avec le ténor, puis aborder celui du baryton stricto sensu pour lequel ont écrit Rossini, Verdi et les véristes. 

Il y a d'abord les ténors légers, ceux du bel canto. Comme Tonio de La Fille du régiment de Donizetti et son air fameux aux sept contre-ut ''Ah mes amis'' adornant sa cabalette. Et bien sûr le rôle-titre d'Otello de Rossini. C'est à partir de celui-ci que Spyres dit avoir construit son programme. Comme plus tard Verdi, Rossini a confié le Maure à un ténor, mais lyrique ici. Son air d'entrée, face à un Iago également ténor, l'est en fanfare, où se succèdent une cavatine bardée d'une belle quinte aiguë suivie d'une vertigineuse descente dans le grave, et une cabalette tout aussi tendue avec contre-ut périlleux et enroulades dans le bas du registre. Dans le répertoire français, Adam fait fleurir autant les vocalises suraiguës tendues dans le Ier air de Chapelou du Postillon de Lonjumeau. Comme notre baritenor l'a déjà fait admirer à l'Opéra Comique et dans le DVD subséquent.

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Dans le rôle de Chapelou du Postillon de Lonjumeau ©Stefan Brion/Opéra Comique

Puis Spyres s'approprie des rôles de ténor plus corsés appartenant au répertoire romantique et post-romantique. Au demeurant, ce pan de l'opéra du XIXème nécessite-il des voix lourdes ? Le rôle d'Hoffmann de l'ultime opéra d'Offenbach apporte la réponse. L'air ''Va pour Kleinzach !'' offre une coloration de timbre comme un raffinement d'élocution démontrant à l'évidence que le rôle gagne à être confié à un ténor lyrique, comme naguère Domingo dans les années 80 et Osborne hier. Puisant dans cet univers vocal, Spyres nous propose raretés et découvertes. L'air d'Edgard de l'Ariodant de Méhul possède un ton héroïque qui ouvre la voie à d'autres créations conçues pour un type de ténor dramatique à la française. Comme celui de Licinius de La Vestale de Spontini, qui selon Spyres influencera ses contemporains, tel Beethoven pour son Florestan. Ces rôles montrent que « le baryténor devint le protagoniste masculin de référence ». Toute aussi rare, la version pour ténor du Hamlet d'Ambroise Thomas. La version habituelle requiert déjà un baryton léger, comme Degout récemment à l'Opéra Comique. La transposition pour ténor permet de faciliter les aigus à la fin du récitatif et de conclure vaillamment l'air ''Ô vin, dissipe la tristesse''. Il y a aussi Wagner et son Lohengrin. La version française de l'air du IIIème acte ''In fernem Land'', devenu ''Aux bords lointains'', montre une ligne de chant immaculée dans ce vaste crescendo s'acheminant vers un glorieux climax sur les mots ''Lohengrin, son Chevalier, c'est moi''. Voilà un timbre de Heldentenor ''blond'', dans la lignée d'un James King, qui chez Spyres atteint un niveau de ferveur magistral. Assurément une pépite. Plus tard, au XXème siècle, mais dans le droit fil, la partie de Paul de La ville morte de Korngold, sera selon Spyres la dernière à relever du répertoire du baryténor ; l'envoûtante romance dite ''Marietta's Lied'' montre que l'ampleur est au service de la solidité du phrasé.

Le cas Mozart est fascinant, qui s'ingénia à multiplier les difficultés à l'endroit de ses chanteurs et à brouiller les pistes quant aux emplois de baryton et de ténor. Là, Michael Spyres est aussi bien à l'aise dans le rôle-titre d'Idomeneo, requérant dans l'air d'entrée ''Fuor del mar'' un ténor de fort gabarit, que dans le Conte Almaviva des Noces de Figaro, attribué au baryton, peut-être assez léger, car doté de vocalises assassines dans le presto final de son aria de l'acte III, que plus d'un ''vrai'' baryton peine à négocier, car souvent hors d'haleine. Et enfin dans Don Giovanni, un comble ! La Sérénade à la mandoline du IIème acte trouve ici peut-être, par sa couleur ténorisante, le vrai ton qui sied à un inébranlable séducteur. D'un Figaro à l'autre, celui du Barbier de Séville de Rossini voit l'américain livrer en voix barytonante le célébrissime ''Largo al factotum'' et ses fameux ''la la la'', se jouant de ces fusées lancées sans vergogne, et avec un jeu qu'on sent on ne peut plus facétieux. Autre tour de force ! 

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Dans le rôle d'Hoffmann à l'Opéra de Lyon ©DR

Il y aussi les barytons légers comme Ramiro de L'Heure espagnole de Ravel. C'est de ceux appartenant au registre du baryton Martin ou baryton aigu, baritenor nul doute. De même, pour l'une des trois voix solistes de Carmina Burana de Carl Orff : dans la séquence ''Dies nox et omnia'', la façon de négocier les montées dans l'aigu est aussi vertigineuse que le texte est vaporeux. Dietrich Fischer-Dieskau naguère avec Jochum (DG) atteignit pareil achèvement. Dans un registre de charme à l'allemande, Spyres campe un Danilo de La Veuve joyeuse auquel il est difficile de résister côté diction limpide et caractérisation gourmande. Et puis viennent encore les ''vrais'' barytons. Le grand écart. Que Spyres franchit allègrement en noircissant le timbre. Et en trouvant le ton juste, les accents les plus vrais, pour se métamorphoser aussi bien en Luna du Trouvère de Verdi avec le legato du baryton Verdi, qu'en Tonio de Paillasse de Leoncavallo et la tension de sa diction vériste.

Les sauts de registres ne sont pas pour effrayer le ténor américain. Sa voix caméléon n'y perd jamais les caractéristiques d'un timbre immédiatement séduisant. On tient là une voix hors norme qui défie toute catégorisation et les idées préconçues en termes de tessiture idoine pour chaque rôle. Mais au-delà de la performance et du pur phénomène vocal, dont la longueur du souffle n'est pas le moindre apanage comme un abatage jamais en défaut, ce récital démontre une suprême intelligence du chant et plus largement de l'interprétation, l'art de créer le climat juste quelle que soit la situation, voire la plus improbable. Et ce dans les trois langues, pratiquées avec la même distinction. L'accompagnement de Marko Letonja à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg montre une pareille faculté d'adaptation aux divers répertoires abordés. Cet orchestre possède une indéniable aura phonogénique. La contribution du Chœur de l'Opéra national du Rhin n'est pas moins remarquable.

Les enregistrements, à la Salle Érasme du Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg, offrent un étonnant relief et une balance voix soliste - chœurs - orchestre proche de l'idéal.

Texte de Jean-Pierre Robert

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