Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : à la gloire de Locatelli

Cet album est une petite pépite. Isabelle Faust et Giovanni Antonini, de nouveau réunis après leur intégrale des Concertos de violon de Mozart, proposent un florilège de pièces de Locatelli, concertos et concertos grossos, qui « dresse le portrait d'un violoniste d'exception et d'un compositeur à l'expressivité et l'imagination extraordinaires ». Dans des interprétations immensément réfléchies, dépassant de loin la pure virtuosité d'archet.

Ce programme tord le cou au cliché de ''violoniste du diable'' souvent associé à Pietro Antonio Locatelli (1695-1764), qui serait une sorte de Paganini de son époque. Sa musique, certes, cultive une inventivité sans limite, comme imprévisible, révélatrice de multiples humeurs, ce qui se traduit par une écriture virtuose souvent ébouriffante dans ses périlleuses acrobaties, exigeant de l'interprète des doigtés hors normes. Mais elle est tout à la fois empreinte d'un cantabile instrumental extrêmement développé, proche de la voix. Si elle s'inspire de Corelli et de Vivaldi, elle est adaptée à une nouvelle manière de concevoir le discours violonistique, alliant l'éloquence quasi acrobatique et un raffinement pouvant aller jusqu'à la manière galante. Autrement dit la musique non seulement d'un virtuose, mais aussi d'un poète. Parmi ses nombreuses œuvres, il en est une qui a fait sa réputation : L'Arte del violino (1733), ensemble de 12 concertos et de 24 caprices destinés à y être insérés comme cadences. Isabelle Faust en a choisi deux. Le Concerto op.3 N°11 en La majeur débute par un Allegro brillant et très preste dans lequel se détache la folle trajectoire du violon dans le registre suraigu et pianissimo, que suit un largo empreint de tendresse dans la partie soliste alors que le ripieno de cordes tresse un accompagnement presque théâtral. Il se conclut par un Andante en forme de menuet, associant légèreté et élégance, avec une cadence, nul doute un des Capricci, d'un incroyable raffinement sonore, sorte de gazouillis pppp, qui connaît peu à peu une amplification. Le Concerto de violon op.3 N°2 en Do mineur voit se succéder un Andante introspectif, presque intimiste et vocal dans la partie soliste, agrémenté d'une cadence extrêmement travaillée, puis les épanchements d'un Largo, eu égard aux nombreuses ornementations du violon, enfin un second Andante très doux où celui-ci tresse une mélodie mystérieuse et toute de légèreté, proche de la danse.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Un autre type d’œuvre cultivé par Locatelli est le concerto grosso. Il diffère du concerto de violon par un nombre supérieur de mouvements, parfois inspirés de la suite française, et un rôle différent mais pas moindre dévolu au violon solo. Ainsi en est-il du Concerto grosso op.1 N°11 en Do mineur associant un Largo presque théâtral dans le contraste entre les accords tranchés des cordes et le suave cantabile du violon, puis une Allemande rythmée, une Sarabande légèrement mélancolique et une Gigue ensoleillée et endiablée. Le cas du Concerto grosso op.7 N°6 en Mi bémol majeur, intitulé ''Il pianto d'Arianna'' est plus intéressant encore. Car il semble posséder un substrat littéraire. Celui du fameux Lamento d'Ariane abandonnée par Thésée. Isabelle Faust parle à ce propos de « poésie indiciblement belle et touchante ». Giovanni Antonini livre une possible lecture de ses dix mouvements. Depuis la tempête des sentiments d'Ariane (premier Andante), jusqu'à l'explosion de fureur vengeresse (avant-dernier Allegro), en passant par toutes sortes d'états intermédiaires, matérialisés autant dans le traitement de l'orchestre que par la partie de violon : début du lamento dans la déclamation du violon solo, invocation du retour de Thésée, par une plainte déchirante de douceur, puis sorte de dialogue imaginaire de la femme délaissée, et son impuissance encore devant l'inéluctable absence. L’œuvre se termine Largo, ultime aveu d'amour sans espoir.

Isabelle Faust, décidément aussi à l'aise dans ce répertoire que dans Bach ou Mozart, sans parler de Stravinski ou Berg, transcende avec une aisance déconcertante les folles difficultés amassées par Locatelli. L'audacieuse virtuosité et le quasi-goût du défi du compositeur italien, elle s'en joue à nous surprendre, nous émouvoir même. Par exemple quant à la propension de Locatelli pour le jeu dans les plus hautes positions, c'est-à-dire logé dans le registre le plus aigu du violon et traité en même temps dans un quadruple pianissimo ; comme il en est spécialement dans les cadences des concertos. Effet magique et rare, même dans la musique baroque. Cela est bien sûr associé à un art consommé du cantabile, de la pureté de la ligne, proche du chant. Là où la face ''poète'' inspiré rejoint sans hiatus celle du ''virtuose'' insatiable. Giovanni Antonini est pour beaucoup dans cette passionnante aventure qui, comme à son habitude, modèle à l'extrême les tempos, tempère la pulsation du discours, l'étire ou le ramasse, du saccadé forte à l'impalpable pianissimo, en particulier dans les fins de phrases. L'ensemble Il Giardino Armonico est comme toujours d'une plastique suprême, notamment dans le jeu des cordes en tremblements. Une direction hautement inspirante, comme il en est dans son intégrale des symphonies de Haydn en cours chez Alpha.

L'enregistrement au Kulturzentrum Gustav Mahler de Toblach (Italie) possède un extrême relief, ce qui permet de saisir avec une totale acuité les notes suraiguës pppp du violon. L'équilibre soliste-cordes côtoie l'idéal.
Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • ''Il virtuoso, il poeta''
  • Pietro Antonio Locatelli : Concertos pour violon en La majeur op.3 N°11 et en Do majeur op.3 N°2. Concerto grosso en Do majeur op.1 N°11 et en Mi bémol majeur op.7 N°6 ''Il pianto d'Arianna''. Pastorale (ext. du Concerto grosso en Fa mineur op. 1 N°8)
  • Isabelle Faust, violon
  • Il Giardino Armonico, dir. Giovanni Antonini
  • 1 CD Harmonia Mundi : HMM 902398 (Distribution : [PIAS])
  • Durée du CD : 68 min 22 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

CD disponible sur Amazon

LA SUITE APRÈS LA PUB


Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


Il Giardino Armonico, Giovanni Antonini, coup de cœur, Isabelle Faust, Pietro Antonio Locatelli

PUBLICITÉ