CD : la quintessence de la musique de chambre

Krystian Zimerman voue à la musique de chambre une vraie passion, pour la formation en quatuor singulièrement, « une richesse fantastique de l'histoire de la musique, souvent sous-estimée ». Et pour ceux de Brahms en particulier. Il choisit non pas le premier souvent joué, mais les deux autres, dans un esprit de challenge afin de leur permettre semblable reconnaissance. De fait, avec trois partenaires savamment choisis, le résultat est stupéfiant.
Le CD est né de rencontres avec trois musiciens d'élite, au fil de concerts et de projets communs, la plupart audacieux, pour jouer des œuvres de Mahler, de Szymanowski, comme de Schumann ou de Franck, tous mus par le désir de faire de la musique entre amis. Ainsi de Yuya Okamoto, fin celliste, maintenant membre du Quatuor Ébène. De la violoniste Maria Nowak, concertmaster du Polish Festival Orchestra, avec lequel Zimerman entreprit en 2010 de jouer les deux Concertos de Chopin, exécutions marquantes s'il en fut. Et de Katarzyna Budnik, leader des pupitres d'altos au Sinfonia Varsovia. Le Quatuor N°3 pour piano, violon, alto et violoncelle en Ut mineur op.60 (1875), qui connut une longue gestation, possède selon Jean Rostand « quelque chose de dur, de fantastique, de démoniaque, d'intensément passionné, de fatal ». Zimerman and friends en livrent une exécution d'un incroyable allant, multipliant les contrastes. On le perçoit dès l'Allegro non troppo, passionné, à l'aune de l'amitié exaltée ressentie par Brahms pour Clara Schumann. Pris ici quasi presto dans une sorte d'urgence, le Scherzo montre à quel point le musicien s'est libéré de tout carcan formel dans un mélange de forme sonate et de scherzo proprement dit. La rythmique souvent véhémente, presque sauvage, insufflée par Zimerman emporte l'auditeur. L'Andante, Lied tripartite, élève le discours, d'abord avec la mélodie du violoncelle - magistral Okamoto - et du piano, rejoints par les deux autres cordes dans un lyrisme ample, quoique non surjoué. Puis la mélodie est confiée au violon dans un rythme syncopé très travaillé, avant que les thèmes ne s'associent. On tient là un moment de pure rêverie. Le finale Allegro comodo retrouve le caractère passionné du début de l’œuvre, en particulier au développement, d'une fantaisie jaillissante, mené par l'étonnante transparence du piano de Zimerman.
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De plus vaste envergure, le Quatuor pour piano et cordes N°2 en La majeur (1862) est à la fois intimiste et expansif. Comme le Quatuor N°1 contemporain, il comporte une influence de musique populaire hongroise, ici dans son dernier mouvement. Nul doute, hommage au violoniste Joseph Joachim, ami proche du compositeur. À l'Allegro non troppo, les divers thèmes sont tous introduits par le piano, dont le premier fier et impérieux sous les doigts de Zimerman. Dans le développement, l'élan se traduit par des accélérations, conférant au discours un caractère « expansif et gracieux », selon le pianiste polonais. Puis la coda rétrograde vers un calme salvateur. Très chantant, empli de tendresse nocturne, le Poco Adagio cèle une grande richesse d'écriture de la partie pianistique, alors que les trois cordes pourvoient un soutien subtil, magiquement traduit ici. L'épisode central, emmené par le piano, plus exposé en dynamique, introduit un sérieux contraste, quoique s'adoucissant jusqu'au ppp. Le travail d'équipe est fascinant, ne serait-ce que dans les moments intimistes émaillant ces pages proches du sublime, comme à la fin apaisée du mouvement. Après un Scherzo allègre et mesuré et son trio plus enlevé d'un bel allant, le Finale. Allegro, façon rondo 'à la hongroise', pris par Zimerman & friends dans un tonique presto, frôle une joyeuse exaltation, n'étaient quelques moments de répit. Avant une coda brillantissime.
Comme dans l'autre quatuor, on ressent comme une évidence chez les quatre musiciens le plaisir de jouer. Si, bien sûr, le pianiste donne le ton, alliance de naturel, de raffiné et de puissance maîtrisée, ses trois partenaires font montre d'égales qualités, apportant chacun le plus de leur talent individuel et participant à la parfaite homogénéité de l'ensemble, singulièrement quant au souci porté à l'articulation : sonorité feutrée combien expressive du celliste Yuya Okamoto, sensibilité et ton solaire des interventions du violon de Maria Nowak, élégance et intensité de l'alto de Katarzina Budnik. Loin de l'effet, voilà le vrai du ''musizieren'' (faire de la musique) entre amis et complices, réunis dans un même dessein à ces occasions. D'autant qu'ils sont saisis avec habileté dans un spectre sonore parfaitement proportionné, offrant une belle intégration du piano parmi les trois cordes, dans la Sala Teatro du Lugano Arte e Cultura, sous l’œil de Zimerman et de son propre preneur de son, en collaboration avec l'équipe technique de DG.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Johannes Brahms : Quatuors pour piano, violon, alto et violoncelle N°2 op.26 et N°3 op.60
- Krystian Zimerman (piano), Maria Nowak (violon), Katarzyna Budnik (alto), Yuya Okamoto (violoncelle)
- 1 CD Deutsche Grammophon : 486 4650 (Distribution : Universal Music)
- Durée du CD : 79 min 10 s
- Note technique :
(5/5)
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