Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : glorieuse interprétation de la Symphonie N°14 de Chostakovitch

Pour leur nouvel enregistrement pour le label Alpha, Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France s'attaquent à la Quatorzième symphonie de Chostakovitch, une des plus originales du maître russe. Par son exceptionnel fini instrumental et sa perfection vocale, la présente interprétation se hisse aisément au sommet de la discographie.

La Symphonie N°14 op.135 de Chostakovitch, créée en 1969 et dédiée à Benjamin Britten, se distingue des deux précédentes par son ambiance chambriste et sa facture instrumentale insolite puisque réunissant 19 cordes (10 violons, 4 altos, 3 violoncelles et 2 contrebasses), célesta et pas moins de 6 percussions. Elle est surtout constituée de onze mouvements chantés sur des poèmes de Federico García Lorca, Guillaume Apollinaire, Rainer Maria Rilke et Wilhelm Küchelbecker, poète décembriste russe. Ils sont dévolus alternativement à une soprano et une basse, réunis en duo seulement à deux reprises. Ce qui confère à l’œuvre un caractère de Lieder orchestraux plus peut-être que symphonique proprement dit. Le ton général est sombre : la mort y est au centre, en écho plus développé au cycle des Chants et danses de la mort de Moussorgski que Chostakovitch avait orchestré quelques années plus tôt. L'écriture volontairement dépouillée, empruntant souvent au mode dodécaphonique, est tour à tour linéaire ou accidentée de ruptures. Elle favorise les cordes dans le grave, les contrebasses et violoncelles en particulier, démultipliant l'expressivité des textes choisis. Ce que renforce encore, comme toujours chez le musicien russe, l'usage des percussions pour des effets ironiques et grinçants.   

LA SUITE APRÈS LA PUB

Le thème de la mort est décliné de diverses manières selon les textes choisis, quoique plus dans son aspect cruel et injuste que dans son sens de libération et de rédemption. Que ce soit en un monologue tragique aux accents du Dies irae, comme dans ''De profundis'' (I - García Lorca), ou en impitoyable dialogue agité, conflit entre le bien et le mal, avec ''La Loreley'' (III – Apollinaire), ou encore par l'expression d'une indicible désolation dans ''La mort du poète'' (X - Rilke). Sa vision grotesque est aussi illustrée dans ''En garde'' (V) et ''Madame, voyez !'' (VI), l'un et l'autre poèmes d'Apollinaire. L'inquiétude qu'elle engendre devant l'inéluctable l'est encore, à l'aune des paroles d'affliction quant au sort d'un malheureux dont la tombe est fleurie de trois lys dans ''Le suicidé'' (IV – Apollinaire), ou de l'irrépressible angoisse exprimée par le prisonnier dans ''À la Santé'' (VII - Apollinaire). 

On ne savait pas Mikko Franck pénétrer de si près l'idiome de Chostakovitch, singulièrement caractérisé ici par la distribution instrumentale particulière de cette symphonie. Le rendu orchestral est à la fois d'un exceptionnel mordant et d'une intensité souvent bouleversante. Que ce soit quant au traitement des cordes, plongées dans la profondeur du registre grave, ou ébouriffées dans l'extrême aigu, ou pour la maîtrise des percussions incisives, votre grinçantes. Le Philharmonique de Radio France montre une fois encore toutes ses capacités d'adaptation et sa superbe plastique sonore. Les deux solistes sont une fête. Matthias Goerne, noble, hiératique, est à l'aise dans cette écriture flattant le registre grave de la voix tournée vers la basse. Qu'il éclaire par un soin particulier dans l'appréhension des textes. Fin diseur, il apporte un supplément d'âme à ''Réponse des cosaques au Sultan de Constantinople'' (VIII - Apollinaire), somme de révolte contre toutes les victimes de la tyrannie, soviétique notamment, ou à la romance ''Ô Delvig, Delvig !'' (IX - Küchelbecker). Asmik Grigorian, qui au fil de ses incarnations à la scène comme au concert s'affirme comme l'une des voix les plus fascinantes du moment grâce à la beauté d'un timbre glorieux, illumine avec aisance des poèmes comme ''Malagueňa'', sorte de danse macabre (II - García Lorca), ou ''Le suicidé'' qui voit la soprano débiter, éperdue, les mots ''trois grands lys'' puis dialoguer avec le violoncelle solo. Voici une interprétation qui s'inscrit dans les pas de la créatrice Galina Vichnevskaïa. 

L'album comprend encore les Cinq Fragments orchestraux op.42, créés en 1935 à Leningrad, d'une durée totale d'une dizaine de minutes. S'en détachent le troisième, Largo, d'une grande tristesse et en même temps d'une infinie douceur, et le suivant, Moderato, marqué par un solo de basson qui dialogue ensuite avec les hautbois. Le dernier, Allegretto, est une sorte de scherzo entre violon et percussions auquel flûte et petite harmonie apportent une note de fantaisie.  

La prise de son à l'Auditorium de Radio France est d'un extrême relief sur tout le spectre sonore, notamment dans des pianissimos remarquablement restitués dans leur ténuité. Tandis que l'équilibre voix-orchestre est particulièrement étudié.
Texte de Jean-Pierre Robert

Plus d’infos

  • Dimitri Chostakovitch : Symphonie N°14 en Sol mineur op.135. Cinq Fragments op.42
  • Asmik Grigorian (soprano), Matthias Goerne (baryton)
  • Orchestre Philharmonique de Radio France, dir. Mikko Franck
  • 1 CD Alpha classics : Alpha 918 (Distribution : Outhere Music)
  • Durée du CD : 61 min 47 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5)

CD disponible sur Amazon

LA SUITE APRÈS LA PUB


Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France, coup de cœur, Asmik Grigorian, Matthias Goerne, Dimitri Chostakovitch

PUBLICITÉ