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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Debussy joué sur son propre piano

« À la recherche des sons perdus », François Dumont offre avec ce CD l'occasion inédite d'entendre quelques pièces de Debussy jouées sur son propre piano. Cette première au disque s'avère une expérience fascinante quant au travail interprétatif, que le pianiste situe au-delà de toute volonté de reconstitution.

C'est en découvrant au Musée Labenche de Brive-la-Gaillarde l'existence d'un piano ayant appartenu à Debussy durant les années 1904-1918, que François Dumont s'enquiert de le jouer. Et conçoit derechef le projet d'enregistrer un album consacré à trois cycles « dont l'originalité et la saveur témoignent de l'extraordinaire richesse stylistique » du musicien. Le résultat est passionnant. Car ce généreux instrument, un demi-queue du facteur Julius Blüthner (Leipzig, 1904), offre une immédiate séduction par sa sonorité feutrée faite de clarté cristalline dans l'aigu et d'une résonance sans excès dans le registre grave. Dumont vante sa richesse harmonique comme « la magie sonore, pas seulement par le flou, l'imprécision poétique ou le fondu des sons, mais aussi par la couleur, les demi-teintes, ... le relief des registres ». Et ce grâce à une mécanique qu'il a fallu apprivoiser par « une approche intuitive et la plus réactive possible ».    

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Ainsi la Suite bergamasque (1890), dont il souligne « l'intimité, la poésie verlainienne », résonne-t-elle d'un éclat inédit. Pas seulement dans le fameux ''Clair de lune'', page immortelle de poésie évanescente, dont on perçoit ici le charme ému du développement et ses arpèges envoûtants, l'attendri de tel ralentissement et la douceur intime de la péroraison. La sonorité particulière de l'instrument apporte aux autres pièces leurs vraies couleurs archaïsantes. On le mesure avec le ''Passepied'' final, si proche de la pavane française par sa souple et fluide rythmique, et le léger étirement du tempo que lui communique Dumont dans les dernières pages. Avec les Estampes (1903), trois peintures idéalisées en musique, dans lesquelles celui-ci voit « modernité et volupté sonore », on atteint le pur chef-d’œuvre. Pourtant par des voies on ne peut plus contrastées. Si ''Pagodes'' est l'évocation voluptueuse d'un Orient imaginé, aux climats chatoyants, saturés de chaleur sonore, pour un merveilleux récit, ''La soirée dans Grenade'' est une sorte de « voyage immobile » d'un Debussy qui ne visita jamais l'Espagne : rythme balancé mauresque, alangui et plaintif, musique à la fois « légère et lointaine ». Enfin ''Jardins sous la pluie'', paysages d’Île-de-France, où l'on perçoit des bribes de chansons populaires, enchante par sa rythmique irrésistible qui s'emballe pour se calmer, célébrant le retour du soleil. Les six délicieux contes pour enfants, écrits par Debussy pour sa fille Chouchou, que sont Children's corner (1908) sonnent sans doute moins innocents qu'il y paraît. Ils sont pour Dumont parés de « tendresse et d'humour », ce dernier dans le titre des pièces, sacrifiant à la mode ''à l'anglaise'' qui sévissait à l'époque. On pense aux intrépides enroulements de notes de ''Dr Gradus ad Parnassum'', que le pianiste presse un peu pour en dégager la poétique amusée, ou à l'évocation hivernale de ''The Snow Is Dancing'', dont l'apparente placidité vient à être bousculée par une subite bourrasque. Ou encore à ''The Little Shepherd'', miracle de portait enfantin, nimbé d'une aura surnaturelle proche de celle de ''Clair de lune''.  

Visiblement inspiré par le challenge et les possibilités expressives que permet l'instrument, François Dumont offre de ces pièces admirables des interprétations sensibles : dans le phrasé, le dosage des proportions, l'art de la demi-teinte, la maîtrise du flux, le respect des moindres indications laissées par l'auteur. C'est un constant régal de sonorités moirées ou au contraire pleines d'éclat, d'une magique fluidité et d'une poésie d'un absolu naturel. Que l'on retrouve dans les deux œuvres données en complément. De la Berceuse héroïque (1914), on mesure l'écriture dépouillée que traversent des appels fantastiques. Quant à La plus que lente (1910), valse imaginaire, plus sur la retenue qu'entraînante, n'est-elle pas encore un trait d'humour du musicien, pastichant le mode dansé façon brasserie, séduisant les belles écouteuses.

La prise de son, dans l'ambiance douillette d'une des salles du Musée de Brive, met en valeur tout le potentiel du merveilleux Blüthner de Debussy, dont François Dumont a su retrouver la magie sonore. Et à travers ce médium, peut-être aussi celle du « jeu souple, agile et d'une grande liberté agogique » du grand musicien français. 
Texte de Jean-Pierre Robert

Plus d’infos

  • ''Clair de lune''
  • Claude Debussy : Suite bergamasque. Estampes. Children's corner. Berceuse héroïque. La plus que lente – Valse
  • François Dumont, piano Blüthner de 1904
  • 1 CD La musica : LMU 035 (Distribution :[Integral])
  • Durée du CD : 54 min 23 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5

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