CD : Femmes compositrices – La musique de chambre de Rita Strohl
Ce nouvel opus consacré à Rita Strohl met en lumière sa musique de chambre, qui si elle s'est nourrie aux musiciens qui l'ont précédée, demeure résolument personnelle. La belle équipe réunie par le label La Boite à Pépites lui rend un fastueux hommage.
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C'est en 1884 que Rita Strohl aborde le genre de la musique de chambre, qu'elle cultivera durant ses années de jeunesse. De par sa richesse et la diversité des combinaisons instrumentales, cette production chambriste constitue le premier laboratoire stylistique d'une musicienne prolixe, qui s'est aussi illustrée dans le domaine de la musique vocale et orchestrale. Sur cette prolifique période d'une quinzaine d'années, Rita Strohl aura fait montre d'une étonnante évolution de son style, depuis l'hommage dans les premières pièces aux musiciens du passé, dont JS Bach avec le recours au style choral et fugué, à la presque radicalité de la dernière, en 1903, confiée au seul piano. Belle manière d'afficher son attachement à cet instrument, dont au demeurant elle jouait à la perfection.
Si le piano occupe une place prééminente dans une large partie des compositions (Trios, Quatuor, Quintette, Septuor), d’autres éléments caractérisent ce corpus. À commencer par l'usage fréquent de la variation. Les scherzos quant à eux sont conçus dans le goût de Mendelssohn, aériens et féeriques. Autres originalités de l'écriture de Rita Strohl : elle use souvent de la forme cyclique et ne se conforme pas nécessairement au canon de la forme sonate, au profit de modes plus audacieux afin de développer l'expressivité. Surtout, elle emploie fréquemment les unissons des cordes, ce qui à une telle échelle, n'a pas de précédent. Cela se manifeste souvent en fin de mouvement et de manière rapide et ininterrompue, générant un sentiment d'urgence.
Le Premier Trio pour violon, violoncelle et piano en Sol mineur, écrit alors que Rita Strohl sort tout juste du Conservatoire, offre une coupe en quatre mouvements témoignant d'une volonté d'exploiter de manière personnelle un genre bien établi. L’œuvre offre des climats très contrastés, du lyrisme cantabile à l'animation fébrile. Le Deuxième Trio pour piano en Ré mineur (1888) sera plus équilibré que le précédent. En 1885, elle livre un Quatuor à cordes, également de proportions conséquentes, en cinq mouvements joués enchaînés, dont le bref Allegro initial sert d'introduction à un Thème et variations. En 1886, c'est la Grande Fantaisie-Quintette pour deux violons, alto, violoncelle et piano. Un genre favorisé par les musiciens postromantiques, dont Strohl modifie cependant la conception. En ne cherchant pas l'équilibre des voix, elle conçoit une sorte de concerto de chambre pour piano avec accompagnement du quatuor à cordes. On y remarque de nouveau un finale Thème et variations.
Vient, en 1890, le Septuor en Ut mineur pour deux violons, deux altos, violoncelle, contrebasse et piano. Dans cet assemblage improbable, le piano se détache là encore de l'ensemble des cordes. L'instrumentation est conçue dans un souci de transparence. Comme à la Romance, à jouer « très lent et très mystérieux », qui après une mélodie étirée des cordes, voit soudain le violon I reprendre seul la narration, laquelle se poursuit sur des accords évanescents du piano. Le Quatuor pour piano et cordes, de 1891, se signale par son Andante de conception pastorale et son finale presque rustique dans son thème exposé au violoncelle et travaillé en six variations.
Après une parenthèse de quelques années, dont émerge, en 1897, une pièce pour violoncelle et piano, Solitude : Rêverie, une nette évolution se fait jour. En 1898, Rita Strohl compose le Trio pour clarinette, violoncelle et piano, Arlequin et Colombine. Sa conception divertissante se manifeste autant dans l'instrumentation que dans le substrat poétique. Si le piano semble encore mener les opérations, c'est dans la position d'arbitre des deux autres, également traités. Car le cello c'est Arlequin et la clarinette Colombine, dialoguant mélodieusement dans l'Andante médian ou dans un esprit de fantaisie guillerette à l'Allegro alla burlesca final. L’œuvre chambriste se referme, en 1903, avec une pièce pour piano seul, Musiques sur l'eau. Cette partition, où Strohl fait usage de la gamme par ton, brille par sa modernité dans ses trois morceaux très rythmés : de la fluidité debussyste quoique parée de sauts frénétiques (''Jeux de naïades'') à une grande animation (''Orage''), en passant par un narratif dramatique (''Barcarolle'').
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Ces œuvres sont servies par un panel d'artistes engagés. Sous la houlette de la violoncelliste Héloïse Luzzati, âme du projet, tous font preuve d'une empathie palpable pour l'idiome de pièces réservant moult bonnes surprises. Ces chambristes aguerris ont pour nom les cellistes Edgar Moreau et Aurélien Pascal, les pianistes Célia Oneto Bensaid, dans la majeure partie des œuvres, et Tanguy de Williencourt qui prête un jeu délié aux Trios pour piano, les violonistes Raphaëlle Moreau, Shuichi Okada et Alexandre Pascal, les altistes Léa Hennino et Claudine Legras, enfin la contrebassiste Lorraine Campet. Sans oublier la clarinette solaire de Nicolas Baldeyrou qui confère au Trio Arlequin et Colombine une note enjouée. Quant au jeune et talentueux Quatuor Dutilleux, il apporte au Quatuor à cordes une limpidité bienvenue.
Les enregistrements, très proches, possèdent relief et présence.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Rita Strohl - Volume vol. 2 Musique de chambre''
- Rita Strohl : Grande Fantaisie-Quintette pour piano, deux violons, alto et violoncelle. Septuor en Ut mineur pour deux violons, deux altos, violoncelle, contrebasse et piano. Arlequin et Colombine : Trio pour piano, violoncelle et clarinette. Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano. Premier trio en Sol mineur pour piano, violon et violoncelle. Deuxième Trio en Ré mineur pour piano, violon et violoncelle. Solitude : Rêverie pour piano et violoncelle. Quatuor à cordes pour deux violons, alto et violoncelle. Musiques sur l'eau pour piano
- Raphaëlle Moreau, Shuichi Okada, Alexandre Pascal (violon). Léa Hennino, Claudine Legras (alto). Héloïse Luzzati, Edgar Moreau, Aurélien Pascal (violoncelle). Lorraine Campet (contrebasse). Nicolas Baldeyrou (clarinette). Célia Oneto Bensaid, Tanguy de Williencourt (piano)
- Quatuor Dutilleux
- 3 CDs La Boite à Pépites : BAP 07.09 (Distribution : PIAS)
- Durée des CDs : 71 min 09 s + 56 min 46 s + 73 min 06 s
- Note technique : (4/5)
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