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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Femmes compositrices – Deux symphonies de Florence Price

Florence Price

La compositrice américaine Florence Price (1887- 1953) est la première femme à avoir vu sa Première Symphonie jouée par un orchestre de renom, le Chicago Symphony, à l'orée des années 1930. Le monde musical outre-Atlantique découvrait alors combien une des leurs, de sang noir, avait à dire. Yannick Nézet-Séguin présente cette Première ainsi que la Troisième, à la tête du Philadelphia Orchestra. Pour faire revivre, souligne-t-il, « des voix historiquement sous-représentées » et « construire un plus équitable futur de la musique classique, celui dans lequel toutes les voix sont entendues, et où des artistes comme Florence Price ne doivent pas sombrer dans l'obscurité ». Le langage de cette compositrice, consonant et profondément ancré dans la culture nord-américaine, nous permet de découvrir un rare talent. 

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« Mon cher Dr. Koussevitzky, pour commencer j'ai deux handicaps – ceux du sexe et de la race. Je suis une femme, et j'ai quelque sang nègre dans mes veines ». Ainsi s'exprime Florence Price dans une lettre adressée en 1943 au grand chef d'orchestre. L'esthétique de sa musique, en l'occurrence symphonique – parmi une production de trois cents titres appartenant aux genres les plus divers - est purement américaine, puisée dans ses racines afro-américaines. Sa manière mélodique luxuriante associée au romantisme tardif se mêle à la musique des Spirituals, aux Juba dances et aux rythmes de batteries africaines. Les œuvres symphoniques ici présentées offrent deux premiers mouvements développés, l'un vif, l'autre lent, suivis d'un court scherzo et d'un finale rapide tout aussi concis.

La Symphonie N°1 en Mi mineur, écrite en 1932 et créée à Chicago l'année suivante, peut rappeler quelques accents de celle dite ''Du Nouveau monde'' de Dvořák. « On entend des mélodies folkloriques mêlées à des accords de musique d'église et à des accords qui s'ouvrent au jazz, pour créer quelque chose qui sonne typiquement américain », remarque Nézet-Séguin. À l'Allegro ma non troppo, le traitement polyphonique est aussi intéressant aux cordes qu'aux vents, bois en particulier, flûte, hautbois et basson, car « l'orchestration encourage les solos de partout dans l'orchestre ». Le mouvement évolue sans baisse de tension, avec même un regain d'adrénaline, jusqu'à une conclusion glorieuse. Le Largo maestoso voit un thème hymnique rehaussé de cuivres sur un sous-bassement de bois et de timbales. Répété plusieurs fois, il sera décliné dans un alliage cordes-bois de manière expansive avec des solos apportant une note chambriste et quasi ''vocale''. Le dialogue entre clarinette, basson puis hautbois apporte un ton légèrement mélancolique. Le mouvement Juba Dance est un scherzo vif et jazzy, souplement rythmé avec goût ici. La Juba est une forme élaborée de ''clapping & body slapping'' originaire d'Afrique de l'Ouest. Le process ira du plus vite au plus lent. Le Finale Presto mène l'œuvre à une conclusion parfaitement maîtrisée quant à l'orchestration et au rappel des diverses rythmiques rencontrées précédemment. De manière à mettre en valeur un grand orchestre symphonique dans toute sa maestria instrumentale. Comme c'est le cas ici avec ''those fabulous Philadelphians''.

La Symphonie N°3 en Do mineur, la dernière composée, en 1940, n'est pas moins passionnante. L'introduction Andante débute par une mélodie de cors et trompettes, exorde presque méditative. L'Allegro contraste par son tonus et le traitement des masses de son grand orchestre, dont émerge un thème aux cors. « Dans la 3ème symphonie, chaque mélodie semble comme si elle devait être chantée ... l'écriture est presque chorale », souligne le chef. La thématique est de nouveau quelque peu nostalgique. La tension ne se relâche pas et compte même de saisissants effets d'élargissement sonore, comme si s'ouvraient devant nous les grands espaces américains. Des accélérations fulgurantes côtoient des clusters tout aussi puissants. L'Andante chante au hautbois et au cor anglais une mélopée à la fois heureuse et mélancolique, ample et claire. C'est un régal de tous les instruments « comme si elle les aimait tous également ». Le travail sur le thème est constamment renouvelé dans une atmosphère bien consonante. La Juba, légèrement plus développée que chez son homologue de la 1ère symphonie, fait une amusante diversion avec son ton de Blues aux percussions. On est à New Orleans ! Cela swingue, là encore dans le meilleur goût. Survient un solo de trompette et de maracas avant la reprise tout aussi originale dans son instrumentation cristalline. Au finale Scherzo, on mesure la maîtrise désormais acquise par la compositrice dans la maniement d'un orchestre symphonique fourni, toujours extrêmement transparent, comme dans la différentiation des masses, le développement thématique, les grands climax.

Yannick Nézet-Seguin est le formidable avocat de cet idiome qu'il aime à faire découvrir, par la maîtrise des grands flux comme des passages chambristes, et l'art du contraste, si essentiel dans ces musiques. L'Orchestre de Philadelphie éclate de vie dans tous ses pupitres : bois et cuivres d'une couleur exceptionnelle, cordes lustrées comme peu. Un festin de sonorités !

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La prise de son au Verizon Hall, Kimmel Center de Philadelphie, maison de l'orchestre, offre une acoustique vaste, enveloppante, bien équilibrée sur tout le spectre et un satisfaisant étagement des plans.

Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Florence Price : Symphonie N°1 en Mi mineur. Symphonie N°3 en Do mineur
  • The Philadelphia Orchestra, dir. Yannick Nézet-Séguin
  • 1 CD Deutsche Grammophon : 486 2029 (Distribution : Universal Music)
  • Durée du CD : 71 min 14 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

CD disponible sur Amazon



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coup de cœur, The Philadelphia Orchestra, Yannick Nézet-Séguin, Femmes compositrices, Florence Price

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