CD : dans l'intimité de Chopin à Nohant
Ce disque reprend le concept d'un précédent album ''Les années Nohant'', dans lequel le pianiste Yves Henry présentait les œuvres composées par Chopin en ce lieu essentiel de sa dernière période créatrice. Il le poursuit par de nouveaux enregistrements de dix pièces emblématiques, captées cette fois dans les lieux mêmes, la maison de George Sand. Une expérience aussi unique qu'inédite, pour « vibrer à l'unisson avec un compositeur, un lieu, un instrument, une œuvre », souligne-t-il.
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Depuis des années, Yves Henry, qui fut directeur artistique des Fêtes Romantiques de Nohant et est désormais Président de cette manifestation, devenue le Nohant Festival Chopin, poursuit une quête singulière : raviver le souvenir du musicien dans la propriété de George Sand en Berry, où il passa des jours heureux de 1839 à 1846, avant la rupture avec l'écrivaine. Ce disque est un nouveau jalon, car il se veut conçu au plus près de la création des œuvres. D'abord par le lieu, puisque enregistré « à quelques mètres seulement de la chambre où Chopin les a créées ». Ensuite par le choix de l'instrument joué, « un piano Pleyel fabriqué en 1839, d'une facture et d'un modèle identiques à ceux sur lesquels Chopin composait dans sa chambre à Nohant ». Enfin par la sélection d'une dizaine de pièces écrites entre 1941 et 1846. Ce qui « permet de mettre en avant les grandes lignes de l'inspiration de Chopin et leur rapport étroit avec le lieu et les circonstances de composition ».
Dans un essai extrêmement documenté, le pianiste remet chacune des œuvres jouées en perspective et rappelle combien elles illustrent les préoccupations esthétiques de Chopin. Ainsi de l'art du contrepoint dans les Nocturnes, comme le Nocturne op.55 N°2 (1843) dégageant une énergie, même si contenue, sa mélodie « dissimulée dans une myriade de lignes, de voix qui l'envahissent », ou le Nocturne op.48 N°1, de 1841, en Ut mineur, tonalité considérée comme funèbre à l'époque baroque. L'art de la variation avec la Berceuse op.57 (1843), « antichambre du rêve », sur un rythme tout sauf monotone. La science de l'invention harmonique de la Barcarolle op.60 (1845), « évocation d'une Venise rêvée, aux teintes lumineuses et mouvantes, à l'expression tantôt contemplative, tantôt passionnée », d'où émane un sentiment de plénitude. Le sens du récit avec la Ballade op.52 N°4 (1842), exemple de la virtuosité chez Chopin, si différente de celle de Liszt, « un souffle épique... un puissant pouvoir évocateur », et non la réminiscence de l'orchestre comme chez le hongrois. L'art de l'improvisation avec la Polonaise-Fantaisie op.61, pièce qui se cherche d'abord dans son introduction, avant que le rythme de polonaise s'impose, même si travaillé de manière originale, dans son « montage savant, assemblage ou plutôt succession d’événements quelquefois sans rapport les uns avec les autres ». L'art de la couleur encore avec le Prélude op.45 dans la modulation et les diverses tonalités employées. Enfin, l'évocation de la danse dans les Valses, ici la Valse op.64 N°1 (dite ''du chien''), virevoltante et la Valse op.64 N°2 « mélange d'abandon et de retenue ».
Au-delà de cette approche aussi bien historique qu'artistique, le sentiment qui se dégage de ces exécutions est d'abord leur extrême intimisme, celui d'un concert donné dans un salon musical. On est aux antipodes de l'estrade de concert, plongé dans un univers parfois austère, pour ne pas dire étrange, dont on ne sait s'il procède des caractéristiques de l'instrument joué, des spécificités de l'interprétation, ou encore des conditions particulières d'enregistrement. Sans doute un peu des trois. Le Pleyel de 1839 possède une « sonorité douce », cristalline dans les aigus, plutôt mate dans le grave, d'une sûre mécanique en tout cas, dégageant un étonnant velouté du son. À mille lieues de la clarté, presque clinquante en comparaison, des pianos modernes. Le jeu de l'interprète, sans jamais solliciter le texte ni sombrer dans le pathétique, offre un large panel de nuances comme un usage modéré de la pédale de forte, autorisant un intéressant rubato. Quant aux indications de dynamique, bien que scrupuleusement observées, la tendance est souvent de souligner un débit retenu, voire de privilégier une extrême lenteur dans les passages marqués lent. Il en émane une alchimie sonore dépassant parfois le mélodisme chopinien, lui-même inspiré du Bel canto. Autrement dit, un Chopin très intériorisé, secret, peut-être sévère (Polonaise-fantaisie), voire quelque peu ascétique (Prélude op.45). Et bien différent de celui habituellement pratiqué au concert (et au disque) par les stars du clavier d'hier et d'aujourd'hui qui magnifient des couleurs plus lumineuses. La technique d'enregistrement complète ces impressions. Car le piano, saisi de très près, bien centré, dans une atmosphère feutrée, est tout sauf brillant, en accord avec les couleurs sépia favorisées par Yves Henry sur son Pleyel.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Chopin à Nohant : la chambre enchantée''
- Frédéric Chopin ; Nocturnes op.48 N°1, op.55 N°2, op.62 N°1. Berceuse op.57. Barcarolle op.60. Ballade op.52 N°4. Polonaise-Fantaisie op.61. Valses op.64 Nos 1 & 2. Prélude op.45
- Yves Henry, piano
- 1 CD Soupir Éditions : S 252 (Distribution : Disques DOM)
- Durée du CD : 65 min 23 s
- Note technique : (4/5)
CD disponible sur Amazon
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