CD : l’étonnante œuvre pour piano de la compositrice Brillon de Jouy
- Anne-Louise Brillon de Jouy : Intégrale des sonates pour piano
- Nicolas Horvath, piano
- 2 CDs Grand Piano : GP872-73 (Distribution : Naxos / Outhere Music)
- Durée des CDs : 48 min 22 s + 70 min 33 s
- Note technique : (4/5)
Il n'est pas banal de sortir de l'oubli un vrai talent de femme compositrice. Anne-Louise Brillon de Jouy en est indéniablement, qui dans ses sonates pour pianoforte, montre une incontestable inventivité créatrice. Pour ce qui est une première au disque, le pianiste protée Nicolas Horvath se fait une joie de nous le faire découvrir.
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La biographie d'Anne-Louise Brillon de Jouy (1744-1824) ne manque pas de panache : issue d'un milieu raffiné pratiquant les arts, elle épouse un de ses voisins, Jacques Brillon de Jouy, de 22 ans son aîné. Peinture et musique vont occuper une place essentielle chez le couple. Très vite, Anne-Louise tient salon chez elle où se presse la société intellectuelle, musiciens, dont le celliste Luigi Boccherini, et hommes politiques, comme un certain Benjamin Franklin, autre voisin du faubourg de Passy, avec lequel elle se lie d'amitié. Elle sera peinte par Fragonard dont la toile révèle une bien jolie figure. Excellente claveciniste, elle s'adonne très jeune à la composition et laissera quelques 90 œuvres instrumentales et de musique de chambre. Elles seront jouées dans le cadre privé de son salon. Selon la pratique de l'époque, elles ne seront jamais publiées, une femme de son rang ne devant pas rendre publique sa musique. La Révolution mettra un terme à ces pratiques de musique dans l'intimisme de sa demeure. Mais sa passion demeurera intacte, et Anne-Louise traversera l'Empire et la Restauration sans encombre, partagée entre Paris et sa propriété en Normandie.
Sa production pour le clavier, ici révélée, laisse percevoir un réel talent. Une « musique surprenante, pleine de vie, de drame, rafraîchissante et d'une virtuosité éblouissante », souligne Nicolas Horvath. Composées dans les années 1760/1770, les treize sonates pour le pianoforte sont en deux mouvements, selon le modèle italien, et brèves, entre 6 et 14 minutes chacune. Elles montrent une indéniable facilité d'inspiration et suffisamment de diversité pour éviter toute monotonie. Elles revêtent une certaine ''modernité'' pour l'époque dans leurs contrastes, alliant l'art de la mélodie à une inaltérable énergie dans des mouvements généralement de rythme soutenu. Surtout, la musicienne sera toujours à la pointe du progrès, comme le fait de jouer le tout nouveau pianoforte dont elle dote son salon de musique. Ces sonates de clavier introduisent de nombreuses innovations techniques qui rapprochent Anne-Louise Brillon de Jouy de musiciens comme Czerny et même Liszt. Tels le croisement de mains, l'écriture en mains alternées, les notes répétées à un tempo très rapide ou encore la déclinaison d'un même motif en divers traits dissemblables et non à l'identique. Les traits originaux pullulent au fil de ces pièces dont l'intérêt est toujours renouvelé.
Ainsi en est-il, entre autres, de la forme du rondo à variations comme dans le second mouvement de la sonate N°2 en Si bémol majeur extrêmement ouvragé. La sonate N°4 en Sol mineur, la plus courte de la série, voit se succéder un poignant Andante con espressione logé dans le registre aigu du piano et un bref rondo fluide de facture avenante. La sonate N°6 en Ré mineur s'ouvre par un mouvement titré Cantabile, de type fantaisie, qui se poursuit en un air lent très chantant, élégiaque sur une main gauche modulant à l'identique, d'inspiration presque beethovénienne. Son second mouvement contraste, décidé. La septième sonate en Si bémol majeur, qui est la seule à posséder trois mouvements, débute en fanfare par une sorte de marche d'une folle virtuosité. Suit un Andante presque mozartien, extrêmement chantant à la main droite, nanti de moult appogiatures. Le Presto final est proche de l'opéra bouffe dans son impétuosité et ses répétitions de plus en plus rapides. La sonate N°10 en Sol mineur offre un Allegro dont l'énergie s'accumule dans une allure très soutenue à partir de brefs motifs contrastants comme le ferait Schubert, puis un Moderato qui poursuit pareil discours en le domptant quelque peu cependant. La sonate N°11 en Ré mineur, la plus développée puisque dépassant les 14 minutes, oppose un Andante un poco Allegro vif doté de moult ornementations, dont la faconde semble ne pas devoir se tarir au fil de sortes de couplets agréables, et un Rondeau déployant pareille inventivité avec une étonnante habileté à brouiller les pistes dans le système des variations, dont certaines presque cocasses.
Nicolas Horvath, pianiste combien éclectique et homme de défis tant au concert, comme lors de son intégrale Philip Glass à la Philharmonie de Paris, qu'au disque, telles ses intégrales Glass et Satie, a toujours recherché l'inédit. Pour célébrer cette musique d'une étonnante variété, il use d'un toucher léger et preste, visant à s'approcher au mieux de la manière de jouer le pianoforte à l'époque du XVIIIème. Bien que sur un Steinway moderne, le résultat est indéniablement convaincant eu égard au naturel du geste, au souci de la couleur et à l'accent mis sur les contrastes pour plus de vitalité. Il va sans dire que sont assimilées toutes les difficultés techniques que cèlent ces pièces. Ce que la prise de son studio met en valeur par son acoustique mate, recréant l'ambiance intimiste d'un salon.
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Texte de Jean-Pierre Robert
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