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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Armida, opera seria de Salieri

AntonioSalieri Armida

  • Antonio Salieri : Armida. Dramma per musica en trois actes. Libretto : Marco Coltellini.
  • Lenneke Ruiten (Armida), Florie Valiquette (Rinaldo), Teresa Iervolino (Ismene), Ashley Riches (Ubaldo)
  • Chœur de chambre de Namur
  • Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
  • 2 CDs Aparté : AP 244 (Distribution : PIAS)
  • Durée des CDs : 53 min + 72 min
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

Poursuivant l'entreprise de résurrection de l’œuvre lyrique de Salieri, Christophe Rousset propose Armida, le premier opera seria du musicien, conçu sur le thème des amours de Renaud et d'Armide de la ''Jérusalem libérée'' du Tasse. Une autre exploration d'un mythe tant visité à l'époque, qui reçoit toute l'expertise du chef, entouré de solistes de talent.

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Le sujet des amours contrariés du chevalier chrétien Renaud aux prises avec la magicienne Armide a fertilisé l'imagination de bien des musiciens de l'ère baroque : Lully et son librettiste Quinault écrivent leur Armide en 1686, puis Haendel son Rinaldo (1711), et Gluck Armide en 1777, tout comme Haydn avec une Armida en 1784. Sans compter les Manfredini, Anfossi, Sacchini ou Jommelli dans les années 1770. C'est à cette même époque que le jeune Salieri, sans doute encouragé par Gluck, découvre le livret du poète en vue Marco Coltellini. L'action traite de l'ultime épisode qui voit l'arrivée du chevalier Ubaldo venu libérer Renaud de l'enchantement maléfique dans lequel la magicienne le maintient sur son île enchantée, le départ de Renaud et la fureur d'Armide appelant à la destruction alentour pour « laisser dans son supplice un exemple affreux aux ingrats ». Chacun des trois actes décrit successivement l'arrivée d'Ubaldo dans le palais enchanté et les tentatives d'Ismene, la suivante d'Armide, de le faire renoncer à son projet en l'incitant à partager les plaisirs du lieu (Ier acte), les amours passionnés de Renaud et d'Armide, interrompus par l'arrivée d'Ubaldo, l'épisode du bouclier enchanté ramenant Renaud à lui-même, mais ses hésitations entre devoir et amour (acte II), enfin les vaines tentatives d'Armide de retenir le chevalier et l'apothéose vengeresse de la magicienne appelant à la destruction de son île enchantée alors qu'elle s'élance sur un char titré par des dragons ailés (acte III). L'opéra oscille entre les deux pôles que sont le merveilleux et le tragique, ce qui se ressent dans la musique, partagée entre atmosphère pastorale et accents héroïques. Il révèle plusieurs originalités : le resserrement de l'intrigue à 4 personnages, le fait que les deux héros n'interviennent qu'à partir du IIème acte et d'emblée par un duo, alors que le Ier acte fait figure d'exposition. La plus singulière est nul doute le choix d'attribuer le personnage de Renaud à un rôle travesti, confié à une voix de soprano, ce qui confère aux duos une facture toute particulière du fait de la similitude des timbres, même si les tessitures sont différentiées. On note encore une intervention substantielle du chœur.

Christophe Rousset apporte à cette pièce un indéniable élan. Pour bien connaître l'idiome de Salieri dont il aborde ici un 4ème titre après, entre autres, Les Horaces, il en fait ressortir le continuum dramatique extrêmement diversifié, à l’exemple de la sinfonia d'ouverture où se côtoient accents de merveilleux et de tragédie, annonçant les diverses péripéties du drame à venir. Une ouverture programme, dirait-on, ce qui est audacieux pour l'époque. Comme aussi de la brève sinfonia qui marque le réveil de Renaud, au médian du 2ème acte, et signe le basculement de l'action quant à la prise de conscience du personnage sur l'inanité de sa passion pour Armide. La théâtralité de la musique, on la trouve encore dans les couleurs sombres du début de l'acte III, digne d'une scène des enfers chez Gluck, dépeignant le souterrain magique où Armide trône au milieu de ses suivantes. Ce dernier acte voit au demeurant culminer un flux qui ne se relâche jamais, en particulier lors de la confrontation entrer Renaud et Armide au moment de l'adieu. Outre la plasticité du continuo qu'enrichit la sonorité du pianoforte, privilégié au clavecin, on admire la patine que procurent les musiciens des Talens Lyriques, singulièrement dans l'articulation des cordes et leur raffinement.

La distribution est à l'unisson. S'en détache Florie Valiquette incarnant Rinaldo par un timbre de soprano clair et une sûreté dans la déclamation d'une indéniable italianità. Ainsi de l'aria avec hautbois obligé ''Vieni a me sull'ali d'oro'' (Venez sous des ailes dorées) qui affiche une superbe ligne de chant et un vrai sens dramatique, là où le personnage sombre peu à peu dans le sommeil. L'évolution de la psyché de celui-ci est admirablement pensée. Comme dans l'air final de l'acte II ''Vedo l'abisso orrendo'' (Je vois l'alchimie horrible), avec accompagnement de trombones, où l'on admire la rigueur des vocalises. Bel achèvement d'une artiste, qui formée à l'Opernhaus de Zürich, s'est déjà produite dans plusieurs productions phares dont Le Postillon de Lonjumeau à l'Opéra Comique. Dans la partie d'Armida, souvent tendue, Lenneke Ruiten apporte un indéniable panache au fil d'arias pour la plupart sur le modèle ''di furore'', où s'exprime plus le ressentiment de la magicienne de devoir perdre son pouvoir maléfique que la force inaltérable de la passion amoureuse. Comme il en est de ses invocations grandioses avant l'ultime aria ''Io con voi la nera face'' (Que vos noirs flambeaux obscurcissent), précédée d'un vaste récitatif bravache. Reste que la quinte aiguë peut s'avérer parfois inconfortable. Les duos des sopranos, assurément les moments les plus exaltants de l'opéra, sont délivrés avec art, où s'illustrent la passion sans nuages mais bientôt la crainte diffuse de devoir y renoncer et les résolutions plus ou moins chancelantes. Ashley Riches prête à Ubaldo les accents fiers de son baryton clair alliant vaillance et émotion, et Teresa Iervolino un beau timbre de mezzo soprano à la fidèle Ismene qui ''tient'' pour une large part le Ier acte. Le Chœur de chambre de Namur, dans un effectif réduit, parachève avec brio la partie vocale.

Effectué à la Philharmonie de Paris, en juillet 2020, après l'annulation du concert qui devait être donné au Festival de Beaune, l'enregistrement se signale par son immédiateté et une discrète mise en espace. Et ménage un équilibre voix-orchestre frôlant l'idéal.

Texte de Jean-Pierre Robert   

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