Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

DVD d'Opéra : Orphée aux enfers au Festival de Salzbourg

Offenbach Orphee aux Enfers

  • Jacques Offenbach : Orphée aux enfers. Opéra-bouffon en deux actes et quatre tableaux (version mixte 1858/1874). Livret d'Hector Crémieux & Ludovic Halévy
  • Anne Sofie von Otter (L'Opinion publique), Kathryn Lewek (Eurydice), Joel Prieto (Orphée), Marcel Beekman (Aristée/Pluton), Martin Winkler (Jupiter), Léa Desandre (Vénus), Nadine Weissmann (Cupidon), Frances Pappas (Junon), Rafal Pawnuk (Mars), Vasilia Berzhanskaya (Diane), Peter Renz (Mercure)
  • Max Hopp (John Styx)
  • Vocalconsort Berlin, David Cavelius, chef de chœurs
  • Wiener Philharmoniker, dir. Enrique Mazzola
  • Mise en scène : Barrie Kosky
  • Décors : Rufus Didwiszus
  • Costumes : Victoria Behr
  • Lumières : Franck Evin
  • Chorégraphie : Otto Pichler,
  • Dramaturgie : Susanna Goldberg
  • Production du Salzburger Festspiele 2019, enregistré live à la Haus für Mozart, août 2019
  • Video Director : Michael Beyer
  • 1 DVD Unitel Edition : 803008 (Distribution : Distrart Distribution)
  • Durée du DVD : 140 min
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile grise (4/5)

Voici la captation live de l'iconoclaste production d'Orphée aux enfers donnée au Festival de Salzbourg à l'été 2019. En ces temps de disette, un tel étalage de luxe fait presque figure d'ovni. C'est que la régie de Barrie Kosky voit grand et ose le maximum, mettant dans sa poche un public ravi de pouvoir s'amuser tant. Peut-être aux dépens du pauvre Opéra-Bouffon d'Offenbach, dont le film révèle souvent crûment combien il est malmené jusqu'à l'excès.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Les impressions, partagées entre admiration et frustration pour cet étonnant spectacle, ressenties en salle se confirment au visionnage du film. Et d'abord la formidable mise en place d'une régie pour le moins foisonnante. La prise de vues montre une sorte de perfection comme savent en produire les scènes nord-américaines. On pense aux revues new-yorkaises où pas un cheveu ne dépasse. Les scènes d'ensemble font étalage de détails cocasses et d'une débauche de traits plus hilarants les uns que les autres. Ainsi de l'apparition de l’essaim d'abeilles dansées du berger Aristée, alignées au quart de poil comme les rockettes de Manhattan. Et surtout de l'ensemble des dieux à l'Olympe, où dès le lever du rideau, l'on découvre un tableau finement léché, sorte d'arrêt sur image, traversé pourtant d'un léger mouvement lorsque chaque saccade de musique se traduit par un léger soubresaut dans une ambiance par ailleurs léthargique. Chacun des dieux se voit portraituré de façon parodique. Bien sûr, le roi d'entre eux, Jupiter, capte-t-il à lui seul tous les regards tant ses mimiques sont peaufinées jusqu'au dernier degré de précision, comme il en est de son maquillage que la caméra se plaît à détailler à l'envi. Le personnage de Pluton ne le cède en rien question détails, parangon de drôlerie. Les échanges entre les deux combinent au centuple une telle sophistication. Et les divers rebondissements durant cette scène sont autant de morceaux d'anthologie, jusqu'à une bacchanale finale réglée comme du papier à musique. Il en va de même du dernier tableau, aux enfers cette fois, où chorégraphie et direction d'acteurs, là encore millimétrée en un tout indissociable, sont couronnées par des galipettes de french cancan, où l'on va jusqu'à reconnaître chez ces dames/hommes protées de la jambe écartée, autant de figures de la Goulue de Bruant. On ajoutera au chapitre des lauriers, la magnificence des costumes, les uns hauts en couleurs criardes, les autres dans un camaïeu pastel, chez les choristes en particulier, d'une réelle beauté plastique.

orphee aux enfers 2
Acte I, Joel Prieto (Orphée), Max Hopp (John Styx), Kathryn Lewek (Eurydice) ©SF/Monika Rittershaus

On ne saurait donc nier le formidable achèvement d'un spectacle misant avant tout sur l'aspect théâtral, comme Barrie Kosky sait en imaginer. Mais au prix de bien des libertés. Ainsi de ce qui le caractérise sans doute le plus fondamentalement, savoir le parti de faire du personnage de John Styx, secondaire dans l'intrigue, une sorte de clé de lecture au sens premier du terme, puisqu'il double à peu près tous les protagonistes dans les dialogues, délivrant leur texte en allemand, sans doute dans un souci de bonne compréhension de l'intrigue par le public germaniste. Ce qui passe par une réécriture de quelques didascalies et partant, des dialogues précisément. Et déplace aussi le curseur dramaturgique au point d'en faire la figure essentielle du show. Le film adopte une manière astucieuse de montrer ses diverses facéties, et il faut bien le dire son étonnante maîtrise, en divisant souvent l'écran en deux, pour donner à voir simultanément ses propres mimiques et celles du personnage singé.

Toute cette foison de traits, au service d'une conception particulièrement étudiée du mouvement, tourne vite à la caricature. Kosky voit dans cet opéra d'Offenbach un « mélange incroyable d'absurde, de surréalisme et de fantastique ». Certes. Mais on est souvent ici à la frontière du style cabaret berlinois. À ce compte, les scènes de confrontations entre personnages, de facture plus intimiste, paraissent moins réussies. Comme il en va des discussions un peu longuettes entre Eurydice et Orphée au Ier acte, renforcées par un excès d'idées : ainsi des violons du pauvre musicien fracassés par elle. Et surtout des attitudes clownesques que doit prendre tout un chacun, qui tire la langue à satiété. Ce qui à défaut d'être comique, est plutôt laid lorsque saisi de près comme souvent dans le film. Telle la scène des joutes presque infernales de Jupiter et de Pluton. C'est l'absurde poussé au plus haut degré d'un raffinement, presque sadique. Si certains personnages y trouvent leur compte, d'autres en pâtissent, comme Orphée, quelque peu insignifiant, et surtout Eurydice, transformée en virago, hurlant, criant, gesticulant en permanence, sans que le personnage en acquière une plus grande consistance. Ce qui va jusqu'à influencer le chant, les traits appuyés rejaillissant sur la ligne chantée, telles ces fins d'air dont l'aigu est un temps retenu pour laisser passer une improbable pirouette ou pantomime. Ou le fameux ''duo de la mouche'' entre la dame et l'effronté Jupiter déguisé de la sorte : la chose est tant poussée à l'extrême et soulignée sur le premier degré érotique, que sa charge comique allusive en perd de son impact. Un Laurent Pelly, naguère à Lyon, s'y était pris bien autrement.        

orphee aux enfers 3
Final de l'acte I ©SF/Monika Rittershaus 

LA SUITE APRÈS LA PUB

De l'interprétation vocale, on a dit les réserves qu'elle suscite sur le strict plan du chant, ce qui est accentué par une diction française assez problématique. Le passage de la deutsche Sprache de Goethe, si brillamment illustrée par l'acteur Max Hoppe, à la langue de Molière pour le chant est souvent à peine perceptible. Le brio scénique des artistes dépasse de cent coudées leur performance musicale. Seule la suédoise Anne Sofie von Otter, L'Opinion publique, s'en tire avec les honneurs, par une élocution gallique soignée et un chant porté par un sûr métier. Léa Desandre, Vénus, unique payse de France dans cette galère germanique, est aussi à son affaire. Paradoxalement, les choristes du Vocalconsort Berlin offrent une diction très policée. La battue d'Enrique Mazzola oscille entre brio et acceptation de compromis hasardeux dus aux ukases de la régie. Mais les Viennois sont là pour dispenser leur légendaire raffinement. La face ''germanique'' de Jacques Offenbach, né Jakob à Köln, serait-elle ici mieux servie que ce qu'implique de finesse l'Opéra-bouffon du musicien naturalisé français en 1860 !

orphee aux enfers 4
Acte II, Max Hopp, Martin Winkler (Jupiter), Marcel Beekman (Pluton) ©SF/Monika Rittershaus

Du point de vue technique, on a dit combien les gros plans détaillent avec délice les mimiques et autres postures caricaturales de bien des personnages de cette caustique saga. Les caméras de Michael Beyer n'en ratent aucune occasion. Côté audio, la balance est souvent en défaveur de l'orchestre.

Texte de Jean-Pierre Robert  

DVD et Blu-ray disponibles sur Amazon 

LA SUITE APRÈS LA PUB


Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


Anne Sofie von Otter, Jacques Offenbach, Wiener Philharmoniker, Vocalconsort Berlin, Barrie Kosky

PUBLICITÉ