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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Orphée aux enfers ou la comédie complétement déjantée

Festival de Salzbourg Orphee aux enfers 1
Joel Prieto/Orphée, Kathryn Lewek/Eurydice, Max Hopp/John Styx ©SF/Monika Rittershaus

  • Jacques Offenbach : Orphée aux enfers. Opéra-bouffon en deux actes et quatre tableaux (version mixte 1858/1874). Livret d'Hector Crémieux & Ludovic Halévy
  • Anne Sofie von Otter (L'Opinion publique), Kathryn Lewek (Eurydice), Joel Prieto (Orphée), Marcel Beekman (Aristée/Pluton), Martin Winkler (Jupiter), Lea Desandre (Vénus), Nadine Weissmann (Cupidon), Frances Pappas (Junon), Rafal Pawnuk (Mars), Vasilia Berzhanskaya (Diane), Peter Renz (Mercure)
  • Max Hopp, John Styx
  • Vocalconsort Berlin, David Cavelius, chef de chœurs
  • Wiener Philharmoniker, dir. Enrique Mazzola
  • Mise en scène : Barrie Kosky
  • Décors : Rufus Didwiszus
  • Costumes : Victoria Behr
  • Lumières : Franck Evin
  • Chorégraphie : Otto Pichler,
  • Dramaturgie : Susanna Goldberg
  • Haus für Mozart, Salzburg, vendredi 17 août 2019 à 15h
  • Et les 26 & 30 août 2019 à 19h

Une autre hardiesse de la programmation du festival 2019 aura été d'y afficher Orphée aux enfers. Certes, année des commémorations d'Offenbach obligeait. Mais n'était-ce pas là aussi une autre manière originale de décliner le thème des mythes à l'opéra. À l'envers, cette fois, s'agissant de celui d'Orphée et de sa lyre immortelle ! Cette première à Salzbourg ne sera pas passée inaperçue tant la régie signée de l'iconoclaste Barrie Kosky joue la parodie. Un pied de nez presque effronté au monde policé de l'opéra, s'il existe encore.

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Offenbach arrive tout juste au faîte de sa réputation lorsqu'il compose Orphée aux enfers en 1858. Les grands chefs-d'œuvre sont encore à venir. Mais la patte est déjà bien affutée pour donner vie à cette improbable intrigue mesurée à l'aune du mythe bien connu. Qu'on en juge : Orphée, violoneux malheureux en ménage est fort aise de voir s'échapper la belle Eurydice qui lui préfère le berger Aristée, transfuge de Pluton, pour un voyage aux enfers afin de changer d'air. L'Opinion publique, un inattendu substitut à l'Amour, exige qu'Orphée aille l'y rechercher. On passe à l'Olympe où les dieux s'ennuient ferme alors que leur chef Jupiter n'est plus que l'ombre de lui-même question autorité. Une révolte gronde lorsque Pluton survient. Et on décide de descendre aux enfers pour « rire un peu ». Entre temps, Eurydice prend du bon temps avec une nouvelle conquête, un certain John Styx, tandis que Jupiter s'annonce sous l'apparence d'une mouche, bien décidé à la séduire à son tour. Aux enfers, la bacchanale fait rage. Orphée vient y quérir sa femme. Peine perdue, celle-ci est déjà transformée en bacchante. Et tout finit en un hilarant cancan. Détricotage du mythe, savoureux persiflage, satire de la Grèce antique, tout ici est prétexte à rire et se moquer du milieu bourgeois du XIXème siècle. Par un traitement musical fort adroit et le zest que l'on sait, Offenbach tourne les grincheux en dérision et à son avantage la situation scandaleuse immanquablement créée par cette acerbe pochade. Car le succès public est au rendez-vous.

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Kathryn Lewek/Eurydice, Max Hopp/John Styx ©SF/Monika Rittershaus 

Avec une régie de la trempe de celle distillée par Barrie Kosky, il l'est toujours assurément. Les éclats de rire de l'auditoire durant le spectacle salzbourgeois sont là pour le prouver. Et pourtant, sans vouloir bouder notre plaisir, tout ne va pas toujours dans le meilleur des mondes. Kosky a en effet décidé de jouer le jeu à fond et même au-delà. À commencer par le parti adopté pour ce qui est de la langue. La pièce sera bien évidemment chantée en français. Mais qu'en sera-t-il des dialogues, si essentiels ici ? Partant du fait qu'il était peu raisonnable de les faire délivrer dans cette langue difficile par une troupe de bigarrure internationale, mais également de ce que la compréhension du texte parlé était essentielle, il a décidé de les donner en allemand. Et pour plus de commodité, à travers une seule et même personne : le dénommé John Styx, un personnage qui ne demande que de voir sa partie réévaluée. Ainsi depuis l'Ouverture où il ''double'' l'Opinion publique, joue-t-il à lui seul tous les rôles, outre le sien, tandis que chacun mime les paroles. Le résultat est assez bluffant car on a l'impression que ce sont les protagonistes eux-mêmes qui parlent, à ceci près que la voix d'Eurydice a une coloration bien mâle, eu égard à une légère amplification de la voix parlée. L'acteur à la manœuvre, Max Hopp, une figure connue du cinéma et de la télévision allemande, brûle les planches de son intarissable bagout et livre une performance qui tient du tour de force. Au point qu'il en arrive à capter l'attention et à lui seul presque monopoliser le show. Car on n'a souvent d'yeux que pour lui et ses imitations textuelles mais aussi de sons (bruits de pas, grincements de portes, susurrements de baisers, etc.). L'essentiel est nul doute que le public allemand saisisse le texte. Et il a là de quoi être satisfait. Les autres en sont rendus à lire les surtitres en anglais... L'autre idée forte est de jouer la carte de la satire parodique. En mélangeant en un détonnant cocktail farce, burlesque débordant, clownerie et revue. Sans crainte de côtoyer l'extrême et l'excessif. Avec tous ces ingrédients le show fonctionne au quart de tour. Les divers passages dansés notamment, comme la revue des abeilles de Mr le producteur de miel Aristée au Ier acte, réglé comme une démonstration de rockettes new-yorkaises. Ou mieux encore, les finales, du dernier acte en particulier, d'une hilarante chorégraphie, couronnée par l'indispensable cancan libérant son lot d'adrénaline. On est emporté dans un tourbillon de griserie.

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Acte II, l'Olympe ©SF/Monika Rittershaus

Comme toujours, la direction d'acteurs est on ne peut plus pointue et laisse à voir des images fort léchées. Un personnage comme l'Opinion publique, singé en femme de pasteur protestant, de noir vêtu, rigoriste en diable, est magistralement croqué. Sorte de gourou, en fait, qui sous des habits respectables, cache en réalité une personne ambiguë dans ses rapports avec Orphée. Celui d'Eurydice est tout aussi peaufiné, qui devient le personnage clé de la pièce. Ce qu'elle est bien en réalité dans cet opéra bouffe où Offenbach ose déjà la femme émancipée. Kosky en fait une égérie agitée, complétement excitée, ce qui se ressent dans le chant avec des aigus à la limite du cri. Pareille impression pour le personnage de Jupiter caricaturé à l'extrême. La scène de la séduction où il est déguisé en abeille, idée déjà retenue par Laurent Pelly dans sa mise en scène lyonnaise, est désopilante, au risque de basculer dans une exacerbation outrancière avec yeux exorbités, langue tirée, attitudes plus que suggestives dans les entreprises amoureuses. La figure de Pluton est proche du clown. On s'amuse fort, certes, de toutes ces pitreries et autres lestes postures. Mais le bon goût en prend pour son grade. Certes, Barrie Kosky n'a pas son pareil pour croquer la société des dieux somnolant d'ennui dans une pénombre propice malgré un brelan de lustres d'apparat au-dessus, ou la société bariolée peuplant les enfers, que surmonte un immense diable ailé vert aux yeux rougis chevauchant un gigantesque vélocipède. Le dernier tableau sombre peu à peu dans un désordre totalement contrôlé, prélude à un cancan tout aussi déjanté. La décoration des précédents tableaux, celui du boudoir d'Eurydice en particulier, aura été plus sage, copie cocasse d'un salon Louis-Philippe dans les tons volontairement ternes avec lit à baldaquin et cheminée. Mais les traits sont souvent crus et frôlent la vulgarité, celle de la consommation effrénée du plaisir sexuel sans limite ni retenue. Avec un malin plaisir, Kosky appuie là où cela doit faire mal. Car pour lui « la pièce est spirituelle, surréaliste, purement et simplement non sens », là où « Offenbach anticipe le Dada ». On est loin de l'aimable persiflage.    

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Finale de l'acte II, au centre Martin Winkler/Jupiter & Marcel Beekman/Aristée/Pluto ©SF/Monika Rittershaus

Dire que cette mise en scène est servie par des interprètes talentueux est presque un euphémisme tant chacun s'y investit à 150%. Au point de quelque peu malmener le chant. C'est le cas de Kathryn Lewek, Eurydice, contrainte à forcer le trait et à adopter une ligne de chant peu souvent menée avec calme dans une partie de colorature dramatique pourtant porteuse. Dès lors, le personnage brille plus par son magnétisme scénique que par les vertus de la vocalité, en outre peu compréhensible en français. Joel Prieto offre un joli ténor dans Orphée. Aussi cocasses l'un que l'autre, Martin Winkler (Jupiter) et Marcel Beekman (Aristée/Pluton) défendent avec brio des parties auxquelles Offenbach a souvent confié le meilleur. Anne Sofie von Otter, familière de l'idiome d'Offenbach, offre une magistrale composition de l'Opinion publique, à laquelle de manière plaisante on ajoute un Lied de Schubert en début de seconde partie, délivré avec une amusante touche ironique. Des autres habitants de l'Olympe, seule Lea Desandre (Vénus) se tire d'affaire côté intelligibilité du texte et par un timbre de mezzo soprano fort bien conduit. Le chœur du Vocalconsort Berlin fait du bon travail, même côté diction, alors que sollicité en tous sens par les débordements de la régie.

Distribuer cette partition aux Wiener Philharmoniker est un luxueux casting. Il est certain que les sonorités déployées par une telle phalange l'ennoblit, dans le soutien des vents en particulier, et lui apporte un lustre fort bienvenu. La direction d'Enrique Mazzola apporte une indéniable fougue à l'ensemble. Même s'il a dû, semble-t-il, accepter bien des compromis : l'utilisation d'un mix de la version de 1858 mâtinée de quelques emprunts à celle plus longue de 1874, et de curieuses exigences côté chant, comme le fait de détacher les accords finaux de la fin de tel ou tel air pour laisser le champ libre à quelque facétie de la régie. Si on cherche en vain le chic d'un Minkowski, l'énergie pétillante et le rythme soutenu, élément crucial ici, font justement pétiller ces airs et ensembles souvent incoercibles. Au final, une expérience curieuse qui ne manque pas de panache malgré sa causticité assumée. 

Texte de Jean-Pierre Robert 

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