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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

DVD d'opéra : l'extraordinaire Salomé du Festival de Salzbourg

Salome Strauss

  • Richard Strauss : Salomé. Drame musical en un acte. Libretto d'après le drame éponyme d'Oscar Wilde dans une traduction en allemand de Hedwig Lachmann 
  • Asmik Grigorian (Salomé), Anna Maria Chiuri (Herodias), Gábor Bretz (Jochanaan), Julian Prégardien (Narraboth), John Daszak (Herodes), Avery Amereau (Un page d’Herodias)
  • Matthäus Schmidlechner (Premier juif), Mathias Frey (Second juif), Patrick Vogel (Troisième juif), Jörg Schneider (Quatrième juif), David Steffens  (Cinquième juif), Tilman Rönnebeck (Premier Nazaréen), Pawel Trojak (Deuxième Nazaréen), Henning von Schulman (Premier soldat), Dashon Burton (Deuxième soldat), Neven Crniċ (Un Cappadocéen)
  • Wiener Philharmoniker, dir. Franz Welser-Möst
  • Mise en scène, décors, costumes et lumières : Romeo Castellucci 
  • Collaboration artistique : Silvia Costa
  • Conseiller dramatique : Piersandra Di Matteo
  • Production du Salzburger Festspiele 2018, enregistré live à la Felsenreitschule en juillet 2018
  • Video Director : Henning Kasten
  • 1 DVD Unitel Edition : 801608  (Distribution : Distrart Distribution)
  • Durée du DVD : 112 min 
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5) 

Ce DVD est la captation live de la production de Salomé donnée au Festival de Salzbourg 2018 dans la mise en scène de Romeo Castellucci et dirigée par Franz Welser-Möst. Il capture le formidable impact dramatique d'un spectacle qui fit date dans l'histoire du festival autrichien et dont nous avons rendu compte élogieusement ici. Il révèle aussi des détails qui méritent d'être soulignés, complétant la première analyse. Voici une version indispensable pour qui veut approfondir la signification d'une œuvre essentielle du répertoire lyrique du XXème siècle.

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Il n'est sans doute pas aisé de filmer un spectacle donné dans la Felsenreitschule (le Manège des rochers) de Salzbourg. La vastitude de ce lieu scénique dans son immense largeur et sa hauteur démesurée, puisqu’adossé au rocher et en prise directe avec un élément extérieur, peut se révéler une difficulté. On sait comment Romeo Castellucci, comme bien d'autres avant lui, a domestiqué ce lieu à nul autre pareil, et dont on ne dira jamais assez combien il est inspirant. Or les caméras de Henning Kasten pour Unitel et la Radio autrichienne, entre autres, réussissent le tour de force de saisir ce que cette régie a de singulier. Pour rendre claire une dramaturgie qui, loin du premier degré, cherche à révéler la part la plus intime de l’œuvre. À travers un récit qui à la fois s'approprie le lieu dans sa composante minérale, s'adosse à son histoire, là où le cheval avait sa place première, et paradoxalement dans un espace plutôt ouvert, parvient à imposer un climat claustrophobe. Sans parler d'une composante esthétique ressortissant de l'usage de la lumière, de couleurs volontairement restreintes et d'une décoration qui ne s'appuie que sur quelques accessoires signifiants. Car Castellucci est tout à la fois metteur en scène, décorateur, costumier et éclairagiste. 

Le film trace tout cela par une prise de vues qui suit fidèlement la pensée fourmillante de son auteur. On rappellera le prisme à travers lequel celui-ci étudie le déroulement d'une trame qu'il qualifie de « tragédie du regard » : de Salomé bien sûr, mais pas seulement. Celui aussi par lequel elle est vue, c’est-à-dire comprise, par Narraboth, Jochanaan et même Herodias, ou volontairement non comprise, par un Hérode qui ne veut pas voir. Le jeu de miroir ensuite, noir-blanc, telle l'entrée presque furtive de Salomé, vêtue de blanc immaculé, se collant au rocher, alors que les gens d'Hérode sont emmaillotés dans des pardessus d'un gris désespérant et portant masques. Et surtout la vision de l'apparition de Jochanaan surgissant des entrailles pour s'inscrire dans un cercle d'ombre épaisse qui va grossissant, sorte de soleil noir, au sein duquel Salomé va lover sa fluette silhouette dont la blancheur est désormais souillée. Et encore le parti incroyablement osé de faire de la ''Danse des sept voiles'' un moment d'immobilité, lorsque l'héroïne est représentée recroquevillée en position fœtale sur une sorte de catafalque et qu'elle va être écrasée par un bloc de pierre descendant des cintres, dont elle ressort indemne comme par enchantement à la fin de ce formidable passage symphonique. Une manière de laisser s'exprimer ce qui est sans doute essentiel à ce moment de l'action, si l'on veut bien laisser de côté un premier degré illustratif : la musique. 

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Gábor Bretz (Jochanaan) & Asmik Grigorian (Salomé) ©SF/Ruth Walz 

Ce que le film met aussi en lumière, ce sont quelques-uns des symboles cardinaux de la régie de Castellucci. Ainsi des masques rouges dont sont munis les protagonistes de la cour d'Hérode. On est loin ici de la fonction de protection contre un quelconque danger. C'est de la signification première du masque dont il est ici question, celle qu'on trouve dans l'histoire de la représentation théâtrale. La symbolique du masque comme objet de métamorphose et surtout d'identification. C'est Oscar Wilde précisément qui souligne : « le masque raconte beaucoup plus qu'un visage et l'homme est peu lui-même lorsqu'il parle à la première personne. Donnez-lui un masque et il dira la vérité ». Quant au rouge, couleur du sang, il est symbole de fécondité et de pouvoir. Allégorie de l'inéluctabilité de la mort sans doute aussi. La transposition dans la présente trame apparaît d'une étonnante pertinence, car ce sont bien tous les personnages proches d'Hérode ou gravitant autour de lui qui sont pourvus de cet attribut rougeâtre peint sur le visage.  

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La Danse des sept voiles ©SF/Ruth Walz

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Un autre aspect ici mis en exergue est la lisibilité de scènes qui souvent impriment moins par rapport à l'action principale, auxquelles Castellucci confère une singulière portée. Ainsi du début de l’œuvre et de la représentation du personnage de Narraboth. Le jeune capitaine est bien sûr séduit par la beauté de Salomé, mais partagé entre devoir et attirance. Ce qu'illustre l'échange avec Salomé qui cherche à l'amadouer pour assouvir sa curiosité et en arrive à lui tordre le bras au sens propre. De même, la scène de la vaticination des cinq juifs, qui passe souvent pour un tunnel dans l'opéra, est-elle ici vue comme une sorte de ronde infernale assaillant Hérode, tandis qu'un autre événement se produit simultanément un peu plus loin, lorsqu'on purifie au jet d'eau Jochanaan de sa noirceur de charbon pour le rendre plus présentable aux yeux de la cour. Ce qui peut être qualifié de détournement visuel d'un moment du drame, s'en trouve de la sorte, par paradoxe, relégitimé. Enfin, de l'étonnante anticipation de la Danse des sept voiles, alors que durant la péroraison symphonique qui suit la malédiction du prophète, Salomé, allongée à terre, esquisse une manière de pas de danse lascif, germination de l'idée d'un ballet érotique qui finalement la conduira à sa perte.   

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Asmik Grigorian ©AFPScampix  

La focalisation sur le personnage titre est un autre point fort. Rarement a-t-on perçu avec autant de naturel la jeunesse de Salomé, la petite fille de Judée, son immédiate innocence au début de la pièce et vite ses interrogations, peut-être de prime abord capricieuses, quant à la présence d'un être hors du commun. Et comment sa curiosité s'aiguise peu à peu au point de devenir volonté inébranlable de côtoyer cet homme, le toucher, l'embrasser puis en demander la tête. Ce que la régie décortique patiemment, la caméra le montre avec acuité : le regard, la gestique du personnage, ses émotions presque imperceptibles, à travers le jeu d'une actrice née, Asmik Grigorian, façonnée par un vrai homme de théâtre. Qui atteint son épitomé lors de la scène finale, de ce fabuleux échange à une voix de Salomé avec le corps privé de tête de Jochanaan, morceau inouï là aussi d'une mise en scène qui n'hésite pas à oser le geste morbide et « donner forme à ce qui est un excès de jouissance, au-delà même du principe de plaisir », selon Castellucci. Asmik Grigorian est aussi une chanteuse hors pair qui renouvelle la conception même du rôle. Un soprano lyrique tout sauf de calibre fort, voire wagnérien, comme souvent. Mais pourvu de nuances de couleurs dans le medium et d'éclat dans le haut du registre. Et surtout disposant d'une grande réserve de puissance lui permettant d'affronter sans sourciller le poids du long monologue final après une astreignante tenue sur scène et le face à face avec les écarts dynamiques accumulés par Strauss. On l'a dit, une incarnation qui marque l'histoire interprétative de l’œuvre. 

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Scène finale ©SF/Ruth Walz 

À ses côtés, le cast aligne de fortes individualités, tout autant poussées par Castellucci dans leurs ultimes retranchements. Le Jochanaan de Gábor Bretz est presque monolithique au début dans ses imprécations tonitruantes vis-à-vis d'une jeune fille insensée, dans une vision mi-homme mi-animal, autre point original de la régie. Puis devient tout aussi inquiétant lorsque dégagé de cette dernière gangue, il profère une définitive malédiction à l'égard de Salomé. Anna Maria Chiuri, Herodias, plus que reine est avant tout femme et elle aussi attirée par le prophète, au point de laisser choir ses propres bijoux dans la citerne où il est désormais retourné. C'est au bord de celle-ci que Salomé s'est peu avant penchée, semblant vouloir y descendre pour se confronter à l'homme qui a fustigé sa propre mère. L'identification de chacun est plus qu'en phase, jusqu'à Hérode, John Daszak, dont la voix pas toujours des plus agréables, mais justement de fort ténor, colle à merveille au personnage veule et ambivalent du Tétrarque. À l'inverse, en Narraboth, Julian Prégardien semble souffrir un aussi terrible conflit, mais exprimé dans un chant distillé comme un Lied. On a dit combien la prestation des Viennois - qu'un plan large montre opportunément lors de la Danse des sept voiles - est de l'ordre du miracle, dirigés par un chef, Franz Welzer-Möst, qui possède comme peu aujourd'hui l'idiome de Richard Strauss. Et ne le charge pas d'une monumentalité hors de propos, les écarts extrêmes de dynamique, perçus en salle, pour ne citer que cet exemple, étant l'expression de la dramaturgie interne à cette musique.

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Pour ce qui est de la technique filmique, la captation offre une image de haute qualité grâce à des cadrages souvent très suggestifs dans les plans-séquences ou les gros plans. Coté audio, la prise de son est nécessairement corrélée à la mise en scène et au jeu des protagonistes : ce qu'on perd en spatialisation musicale de l'orchestre, à l'exception des passages purement symphoniques comme la transition après la scène des imprécations de Jochanaan ou la Danse des sept voiles, on le gagne en proximité avec les personnages, celui de Salomé singulièrement. 

Texte de Jean-Pierre Robert  

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