CD : Les Essentiels ON-Mag : Nikolaus Harnoncourt prend congé avec la Missa Solemnis de Beethoven
La rubrique CD s’ouvre chaque vendredi à des disques déjà parus que la revue considère comme indispensables pour leur qualité musicale et technique.
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- Ludwig van Beethoven : Missa Solemnis op.123
- Laura Aikin (soprano), Bernarda Fink (mezzo-soprano), Johannes Chum (ténor), Ruben Drole (basse)
- Arnold Schoenberg Chor, chef des chœurs : Erwin Ortner
- Concentus Musicus Wien, dir. Nikolaus Harnoncourt
- 1 CD Sony : 88985313592 (Distribution : Sony Entertainment Music)
- Parution : Septembre 2016
- Durée du CD : 81 min 33 s
- Note technique : (5/5)
Cette captation live durant le festival Styriarte de Graz en juillet 2015 constitue donc le dernier opus de la somme discographique exemplaire laissée par Nikolaus Harnoncourt. L'achèvement sans doute de toute une vie de musique, un ultime témoignage de l'art du grand chef autrichien. L'évènement est d'autant plus important puisqu'il s'agit de la Missa Solemnis, œuvre majeure de Beethoven. Un autre de ses disques indispensable.
Nikolaus Harnoncourt n'a abordé la Missa Solemnis que sur le tard, en 1988, puis en 1992 à Salzbourg (date de son premier enregistrement chez Teldec avec le COE), se disant impressionné par une œuvre longtemps jugée impénétrable. Comme souvent chez le maître, un immense travail de maturation, d'analyse fouillée, l'a amené à la substance même d'une œuvre que, dans un entretien de mai 2015, il n'hésitait pas à qualifier d'« absolument inouïe... Chaque section de la messe est conçue sous un angle novateur ». La Missa Solemnis, sur laquelle Beethoven travailla de 1817 à 1823, dédiée à l'Archiduc Rodolphe d'Autriche, dépasse le propos liturgique par ses dimensions, son esprit même et le message de paix délivré : une paix à laquelle l'Homme aspire malgré les conflits. Une paix « intérieure et extérieure » qui se conquiert et entoure l'œuvre d'austérité. Plusieurs idées force caractérisent cette interprétation : le respect au plus près des indications dynamiques prévues par Beethoven, ce qui peut creuser des écarts dynamiques substantiels, sans pour autant aboutir à des déferlements sonores excessifs. Le nivellement de la dynamique, Harnoncourt en fustige l'idée, qui reprend le mot même de Beethoven pour lequel cela « défigure » l'œuvre. L'usage des silences aussi pour lui essentiel. Enfin, une absence de théâtralisation évitant toute grandiloquence. À cet égard le choix de l'orchestre est significatif : le Concentus Musicus Wien avec lequel Harnoncourt travaillait de plus en plus souvent pour ses interprétations beethovéniennes – comme en témoignent les Symphonies nos 4 et 5, dans son récent CD chez le même éditeur - offre une sonorité épurée, très travaillée dans la différentiation du son, notamment des cordes mais aussi des vents, les cors naturels en particulier.
On sait l'écriture pour la voix malaisée dans cette œuvre, notamment quant au respect des indications dynamiques. Et le ressenti peut paraître inconfortable à l'occasion. L'importance de la contribution chorale, Harnoncourt la souligne en recourant au Chœur Arnold Schoenberg, une formation d'une extrême tenue. La contribution soliste n'est pas moins remarquable, portée par l'inspiration communiquée par le chef : Johannes Chum, ténor d'une belle clarté d'émission, Bernarda Fink, éloquente à chacune de ses interventions, Laura Aikin, un choix a priori improbable mais en situation dans la partie de soprano, enfin Ruben Drole, basse, émouvant dans sa simplicité.
La fidélité sincère, tel pourrait être le maître mot pour définir une exécution qui vous empoigne de la première à la dernière note. La Missa Solemnis n'est-elle pas « un des trésors les plus incalculables de l'esprit », selon la belle formule de Romain Rolland (« Beethoven et les grandes époques créatrices », Albin Michel). L'œuvre d'un croyant, défendue ici par un croyant. Qui scrute chaque recoin d'une partition hors norme, en particulier les indications de tempo nombreuses et différentes qui l'émaillent. Le Kyrie installe grandeur et immensité, respectant scrupuleusement l'indication Assai sostenuto. Mit Andacht (avec recueillement). Le début du Gloria éclate comme une explosion de victoire et est vivement soutenu jusqu'à l'accalmie du ''Qui Tollis'', marqué Larghetto. Harnoncourt se fait quasi martial sur le maestoso de ''Quoniam'' lancé par le chœur, et la fugue finale s'élargit comme un torrent, haletante. Au Credo, après la force presque tellurique des premières pages, on est enveloppé par la douceur angélique de ''Et incarnatus est'' et l'intervention intense des solistes sur un tempo très mesuré au verset ''Homo factus est''. Plus loin, le ''Et sepultus est'', est murmuré, proche du silence. ''Et ressurexit'' libère soudain un formidable éclat. Le finale fugué croît en tension pour finir sur un Amen extatique. Le début du Sanctus est hiératique avec des cors pas trop proéminents, encore plus lors de la reprise instrumentale, moment de sérénité. Le Praeludium avant le Benedictus est purement magique, dont procède le solo du Ier violon (Erich Höbarth). L'Agnus dei atteint les plus hauts sommets du dépouillement et de l'élévation d'esprit à l'air de la basse. Le mouvement progresse dans une douce ferveur, mais où l'on sent ce que la pièce a dû coûter de douleur créatrice au musicien, et l'impose à son exécutant. La petite musique militaire introduisant les mots ''Dona nobis pacem'' est à la fois lâchée et tenue par le chef. La péroraison instrumentale fait place à une extrême douceur et à un pppp ultime proprement envoûtant. « Von Herzen zu Herzen ! », « Venu du cœur, pour aller au cœur ! » a inscrit Beethoven au début du Kyrie. Ces mêmes mots on peut les appliquer à cette ultime exécution du chef disparu, son testament artistique.
L'enregistrement live, dans l'acoustique généreuse de la Stephaniesaal de Graz, en Autriche, restitue la large dynamique favorisée par le chef. En adéquation avec sa vision, il promeut un son ''austère'' sur l'orchestre, singulièrement des violons I & II, légèrement aigres, comme il en est aussi du solo du Premier violon au Benedictus. La large spatialisation bénéficie aux chœurs. Les solistes sont, justement, pas placés trop en avant.
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Texte de Jean-Pierre Robert
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