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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : une Damnation de Faust à l'esprit bien français

Damnation de Faust

  • Hector Berlioz : La Damnation de Faust. Légende dramatique en quatre parties, sur des textes de Gérard de Nerval, Almire Gandonnière et Hector Berlioz, d'après Johann Wolfgang Goethe
  • Joyce DiDonato (Marguerite), Michael Spyres (Faust), Nicolas Courjal (Méphistophélès), Alexandre Duhamel (Brender), Verónica Silva (Une voix céleste)
  • Coro Gulbenkian, chef de chœurs : Jorge Matta
  • Les Petits Chanteurs de Strasbourg - Maîtrise de l'Opéra du Rhin, chef de chœur : Luciano Bibiloni.
  • Vocal coach : Jeff Cohen
  • Orchestre Philharmonique de Strasbourg, dir. John Nelson
  • 2 CDs Erato : 0190295417352 (Distribution : Warner Music)
  • Durée des CDs : 58 min 46 s + 68 min 34 s
  • Note technique :  (5/5) 

Comment mieux assurer les derniers feux de l'année Berlioz qu'avec une nouvelle version de La Damnation de Faust. John Nelson en est l'interprète de choix, à la tête d'un orchestre étincelant et d'une distribution frôlant l'idéal. Une fière réussite qui place la nouvelle venue parmi les meilleures au sein d'une discographie pourtant abondante. 

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La Damnation de Faust (1846) ne cesse d'étonner par sa facture sui generis : plus qu'une symphonie avec voix, autre chose qu'une cantate, presque un opéra. Berlioz la qualifia d'abord d'« opéra de concert », formule singulièrement ambiguë. N'était-il pas lui-même précurseur du sempiternel débat qui allait agiter le monde musical sur le point de savoir si l'œuvre est destinée à l'estrade de concert ou à la scène de théâtre. En tout cas cette ''légende dramatique'' sur la quête d'un impossible absolu en la personne de son héros est on ne peut plus inspirante. Le chef d'orchestre John Nelson est un amoureux de la musique de Berlioz. Ne l'a-t-il pas déjà démontré par diverses réalisations prestigieuses dont récemment l'opéra Les Troyens. Tout comme ses deux collègues britanniques, Colin Davis et Simon Rattle, cet américain ressent au plus profond l'idiome singulier du musicien français. Ce qui en dit long sur la popularité planétaire de l'auteur de La Damnation de Faust. Pour lui, il y a là « une musique presque impossible de difficulté et dont l'infinie diversité n'a jamais été égalée ». Et de souligner encore « l'immense palette émotionnelle qu'elle explore ».

Sa conception peut être qualifiée de centrale, se refusant à l'excès théâtral qui accentuerait les contrastes déjà notables d'un orchestre crépitant. À la différence de celle volontariste de Simon Rattle, qui signa il y a peu sa propre version, sa direction mise sur un alliage assumé de lyrisme et d'éclat, et ménage un subtil équilibre entre confidence presque chambriste et déchaînements de puissance. Sans pour autant jamais perdre de vue l'impact dramatique, notamment dans les transitions. La rythmique, jamais heurtée, reste souple comme dans la ''Marche hongroise'' ou à l'heure du ''Menuet des follets''. L'art de créer un climat, on en mesure la science aboutie au prélude de la IIème partie, sombre et désolé, ou dans l'introduction précédant l'entrée de Marguerite au début de la IIIème partie, là où plane comme un air raréfié. La profusion mélodique, Nelson en livre toute la saveur jusque dans les changements de tonalités si évocateurs des états d'âme des personnages. Comme l'art de faire sonner l'instrumentation si singulière recherchée par Berlioz. Ainsi des percussions, de la petite harmonie dont le hautbois ou la petite flûte, lors du Ballet des Sylphes. La Course à l'abîme libère un jaillissement de sensations d'une proximité angoissante, avec l'entrelacs du hautbois presque criard et les accords assénés des cuivres. La dernière scène est grandiose tout en gardant des proportions humaines. L'Orchestre Philharmonique de Strasbourg prodigue d'étincelantes sonorités, particulièrement chez les pupitres des bois, bassons, petites flûtes, et bien sûr cor anglais d'une suavité remarquable dans le second air de Marguerite.

La distribution vocale côtoie pareille réussite, nul doute façonnée par un coach, Jeff Cohen, qui sait ce que chanter en français veut dire. L'ensemble choral brille par sa remarquable articulation : le Coro Gulbenkian offre une diction irréprochable et une vraie identification au fil de ses diverses interventions, qui des paysans, qui des étudiants, etc… Côté solistes, a été privilégiée une élocution naturelle, se refusant à l'emphase. Michael Spyres, hier Enée, démontre s'il était encore besoin combien la langue de Berlioz lui est proche. Là où un timbre avenant et un haut degré de musicalité le désignent pour assumer les exigences du rôle titre. La manière se veut essentiellement lyrique, faite d'une douce élocution et d'une vraie agilité. Ainsi de l'air ''Merci, doux crépuscule'', instant de félicité attendue. Dans ces pages, Spyres est souverain. Bien sûr, l' ''Invocation à la Nature'' apporte son lot de force et de vaillance. Cette interprétation se veut dans l'orbite des voix de l'époque : la quinte aiguë en voix de tête est dans le droit fil de Rossini et du belcanto. Le Méphistophélès de Nicolas Courjal possède exactement le timbre de baryton-basse de caractère tel que le connaissait le chant lyrique au XIXème, autorisant un clair exposé du texte souvent dense de ce rôle. Là non plus, point de sollicitation ni de théâtralisation outrancière façon Lucifer. Mais une approche plus ironique que sardonique. Comme dans l'air de la Puce débarrassé de tout sarcasme inutile, ou de la sérénade, prise à un tempo prestissime, ce qui lui confère une note caustique au-delà d'un méchant persiflage. Quant à la romance ''Voici des roses'', elle distille un parfum presque voluptueux. De l'interprétation de Joyce DiDonato, Marguerite, émane un indicible sentiment de fragilité dès les premiers mots ''Que l'air est étouffant !''. La ballade ''Le Roi de Thulé'' prend les contours d'une berceuse étrange, au son de l'alto et de basses insistantes, dont se dégage une poignante tristesse, sorte de préfiguration d'un destin fatal. Quant à la romance ''D'amour, l'ardente flamme'', le tempo doucement retenu adopté ici, renforçant le legato vocal, installe une atmosphère envoûtante, tandis que l'accélération du débit évoque les battements de cœur désordonnés de la jeune femme. Une immense composition, qui se parachève dans le duo, merveille d'équilibre, d'une douceur émouvante chez elle, alors qu'abordé en voix de tête dans la partie de ténor.

L'enregistrement live, lors de concerts à l'Auditorium de Strasbourg, est une indéniable réussite. L'image est claire et immédiate, singulièrement dans les séquences instrumentales restituées avec une rare précision, dont des basses bien présentes, et une large dynamique. Les voix sont saisies dans une acoustique plus ouverte, offrant des différences de perspectives, ce qui peut vouloir traduire une volonté de discrète mise en espace. Les chœurs, placés en gradin derrière l'orchestre, paraissent en retrait par moments, mais cet effet de profondeur de champ est utilisé avec doigté dans les grands ensembles, telle que la scène finale, pour permettre un intéressant élargissement du spectre sonore.

Texte de Jean-Pierre Robert

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