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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Orfeo ed Euridice, première au disque de la version de 1774

Orfeo ed Euridice Gluck

  • Christoph Willibad Gluck : Orfeo ed Euridice
  • Dramma in musica en sept scènes (version de 1774) 
  • Livret de Ranieri de' Calzabigi. Philippe Jaroussky, Amanda Forsythe, Emőke Baráth
  • Coro della Radiotelevisione svizzera
  • I Barocchisti, direction Diego Fasolis

  • 1 CD Erato : 0190295707941 (Distribution : Warner classics)
  • Durée du CD : 77 min 38 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5)

Cette nouvelle intégrale de l'Orfeo ed Euridice de Gluck n'est pas une énième version à ajouter à un catalogue déjà bien pourvu. L'intérêt de cette parution est de présenter, en première mondiale, la version dite de Naples, de 1774. Alors qu'il préparait la mouture française de son opéra, sous le titre de Orphée et Eurydice, laquelle allait triompher à Paris en août 1774, Gluck avait mis en chantier une version remaniée de celle italienne d'origine, pour être jouée au théâtre de la cour de Naples en février de la même année. Outre la qualité musicale de l'interprétation, cette sortie discographique offre donc un indéniable intérêt musicologique puisque sont révélées les variantes imaginées par le compositeur pour la version italienne de 1762. 

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Elles sont de plusieurs ordres. L'opéra n'est pas divisé en trois actes, mais en sept scènes qui s'enchainent. Les récitatifs sont modifiés et l'orchestration simplifiée, dans les parties des vents en particulier. Enfin, les danses sont réduites. La dynamique est autre, accentuant les contrastes. L'œuvre n'y perd nullement de son aura, mais brille d'un jour différent. Un air célèbre comme «Che faro senza Euridice» d'Orfeo, est ici écrit dans une tessiture plus élevée, pour être confié à un haute contre, et non plus à un castrat comme lors de la création viennoise. Le voir distribuer à un contre-ténor est peut-être la conséquence ultime de ce changement. Surtout, dans cette même scène, interviennent deux modifications d'importance. D'abord, le duo Orfeo-Euridice «Vieni, appaga il tuo consorte !» (Viens, exauce ton époux !) est allongé et adopte une structure lent-rapide plus habituelle avec une accélération subite dans la dernière section. Par ailleurs, à l'air habituel d'Euridice («Che fiero tormento !» (Quel moment cruel !) est substitué un nouveau numéro : «Tu sospiri !...ti confondi !» (Tu soupires... tu te troubles!), plus développé avec introduction et deux couplets en alternance. Ce qui modifie le portrait psychologique d'Euridice, partagée entre peur d'avoir fait quelque chose de mal et indignation face à la cruauté apparente d'Orfeo. L'air virtuose offre en outre à son interprète l'occasion de montrer toute son agilité. Ces deux variantes assurent au personnage un statut démonstratif qu'il n'a pas dans la version de Vienne.  

De grande classe, la présente interprétation se hisse parmi les meilleures existant sur le marché, quoique la comparaison soit dénuée de pertinence puisque s'agissant des variantes inédites de la version viennoise habituelle. Philippe Jaroussky s'empare du rôle de l'aède Orfeo avec force et conviction. La diction sert une déclamation intense, de l'exclamation percutante (les premiers mots prononcés, ces trois «Euridice» déchirants, ou plus tard, l'adresse implorée aux furies des enfers) à l'infinie douceur (à l'aria «Men tiranne», l'inflexion est toute de douceur transfigurée sur les mots «Se provaste un sol momento Cosa sia languir d'amor» - Si vous éprouviez un instant ce qu'est languir d'amour). La souplesse de la ligne de chant pare une incarnation dépourvue d'emphase, tant dans le récitatif que dans les arias. Une grande et belle incarnation ! Dans la partie d'Euridice, la soprano américaine Amanda Forsythe fait montre d'une belle vaillance, passé un début précautionneux et eu égard aux caractéristiques de difficultés du rôle ci-dessus évoquées. Sans atteindre l'intensité de Patricia Petibon à la représentation au Théâtre des Champs-Elysées, il est vrai dans une partie plus aisée, celle de la version de Vienne. Emőke Baráth donne d'Amore une prestation de choix, confirmant son statut éminent au sein du panel des sopranos en vue dans le répertoire baroque. Les Chœurs de la Radiotélévision suisse sont irréprochables, d'une extrême précision dans les traits et l'intonation. La direction de Diego Fasolis enlumine cette interprétation. Certes, comme toujours chez ce musicien, la manière est brusque, très scandée, voire sèche dans la Sinfonia d'ouverture ou le «Ballo di Furie e Sospiri». Cette version napolitaine requérant un effectif moins nombreux que celle de Vienne, avec une moindre contribution des vents, conduirait-elle à bousculer l'articulation ? Mais la direction s'avère fluide dans la majeure partie de l'opéra, en particulier dans les passages élégiaques comme celui du «Ballet des héros et héroïnes dans l'Elysée». L'accompagnement des chanteurs est attentif, les musiciens de I Barocchisti prodiguant des sonorités on ne saurait plus chatoyantes. 

La production entre les mains conjointement d'Alain Lanceron pour Erato/Warner et de RSI Radiotelevisione svizzera, Lugano, où l'enregistrement a été effectué, est tout aussi réussie. La prise de son est d'un grand relief et l'équilibre voix-orchestre proche de l'idéal. 

Texte de Jean-Pierre Robert

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