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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Orfeo ed Euridice au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris, le 25 mai

Orfeo ed Euridice 1
© Vincent Pontet

  • Christoph Willibald Gluck : Orfeo ed Euridice. Opéra en trois actes.
  • Livret de Ranieri de' Calzabigi. Philippe Jaroussky, Patricia Petibon, Emőke Baráth.
  • Chœur de Radio France.
  • I Barocchisti, direction Diego Fasolis.
  • Mise en scène : Robert Carsen

  • Théâtre des Champs-Elysées
    15, avenue Montaigne
    75008 Paris
    Le 25 mai - et jusqu'au 2 juin 2018

    www.theatrechampselysees.fr 

Orfeo ed Euridice est un des mythes par excellence de l'opéra. Cette «action théâtrale en musique» est une œuvre d'une rare concision : trois parties d'à peine une heure et demie, trois personnages seulement, aux prises avec une action on ne peut plus resserrée, mais un chœur se voyant attribuer un rôle essentiel, une musique qui colle intimement à un texte véhiculant des émotions fondamentales sur amour et mort. En un mot, une recherche de simplicité proche du drame antique. La présente production, basée sur la version italienne de l'œuvre de 1762, dite de Vienne, se distingue par une exécution musicale hors pair et une régie épurée.

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On a peine à imaginer le fossé qui existe entre cette mise en scène due à Robert Carsen et celle imaginée par le même il y a peu, aux Bouffes du Nord, pour The Beggar's Opera. Là où il se livrait à un empilement aussi endiablé qu'excentrique, à partir d'un substrat textuel qui, il est vrai, l'appelle, Carsen adopte une vision apparemment sage du chef-d'œuvre de Gluck. Lui qui reconnaît trouver dans les opéras appartenant à la sphère baroque «un formidable espace d'invention théâtrale... eu égard aux codes et conventions de ces ouvrages qui lancent de passionnants défis», mise sur l'intemporalité du mythe, et partant, sur sa modernité, pour le mettre en résonance avec l'esthétique d'aujourd'hui. Plusieurs des clés de lecture chères au régisseur sont là : un dépouillement extrême de l'environnement décoratif, qui créé un espace ouvert sur un sol jonché de pierraille, à charge pour la lumière de le façonner selon les divers temps de l'histoire : agréable réchauffement lors de l'apparition de l'Amour, rougeoiement pour la scène des enfers, univers glacé lors de l'épisode du regard qui tue une seconde fois Euridice. On retrouve ici le climat qui baigne sa production de La Flûte enchantée (au répertoire de l'Opéra Bastille), ce qui n'a rien d'étonnant dès lors que le sort d'Orphée et celui d'Euridice ne sont pas éloignés de ceux de Tamino et de Pamina. Sur cet infini, dégagé de toute référence construite, où ne se signale au premier plan qu'une cavité, celle où l'on enterre Euridice, et par laquelle Orfeo descend et revient des enfers, les trois personnages se meuvent dans une sorte de solitude contrainte.

Orfeo ed Euridice 2
© Vincent Pontet

Élément unificateur, le chœur se voit assigner un rôle essentiel, promu au rang de protagoniste, commentateur aussi bien qu'acteur : celui d'une communauté accompagnant le parcours du héros puis des amants réunis. Il sera quasi chorégraphié, tour à tour en forme de procession ou disposé en ronde, répondant à ces effets de symétrie soignés à quoi l'on reconnaît le travail du régisseur canadien. La danse étant au demeurant exclue de cette production, c'est souvent au chœur qu'il revient d'assurer cette fonction. L'emphase est portée sur les éléments universels que sont la terre, le feu, l'eau, porteurs d'esthétisme dans la beauté des images, autre signe distinctif du travail de Carsen. Par des moyens en apparence simples, celui-ci revient à l'essence du mythe. Sa direction d'acteurs se veut tout aussi décantée. Sans pour autant renoncer à la recherche du signifiant. Jolie idée ainsi que de modifier l'apparence de l'Amour, double successivement d'Orfeo puis d'Euridice, symbolisant ses deux versants, le masculin qui est confronté à la douleur et au courage, le féminin gage de l'élan vital qui conduit au lieto fine. Pour austère qu'elle puisse apparaître, cette régie est d'une singulière efficacité, sans recours aux artifices de la transposition ou de la réécriture. Ce qui somme toute, et de temps à autre, est apaisant pour le spectateur.

Orfeo ed Euridice 3
© Vincent Pontet

Il est difficile d'imaginer un trio de solistes vocaux plus starisé que celui réuni ici, qui tutoie la perfection. Philippe Jaroussky offre encore un portrait accompli, autre laurier à sa couronne d'incarnations baroques. Même si le rôle d'Orfeo n'est pas nouveau pour lui, cette production est une expérience scénique importante. Le premier élément frappant est la jeunesse du héros appréhendé comme un garçon d'aujourd'hui, aux accents d'une criante vérité, répondant à la vision du metteur en scène qui voit ses personnages comme des êtres de chair et de sang. Cette approche est servie par une flexibilité de la ligne de chant et les couleurs d'un timbre clair sans être éthéré, un phrasé magistralement conduit, un impact dramatique de tous les instants laissant à chaque phrase, à chaque mot son poids à travers d'imaginatives inflexions vocales et de belles incursions dans le grave. Une interprétation intensément pensée qui atteint son apogée dans l'aria «Che faro senza Euridice» où semble planer une indicible mélancolie dans ces fils de voix d'une immense délicatesse. Patricia Petibon confère à Euridice une aura que l'émotion pare de couleurs justement assombries, en particulier au moment des reproches exprimés par la jeune femme devant l'apparente froideur de l'aimé. Le soprano, d'un éclat de diamant, est aussi d'une justesse d'accents bouleversante. Le duo avec le contre-ténor, comme jadis à Aix dans Alcina, restera un des passages phares de la soirée. Emőke Baráth campe un Amour loin de la badinerie souvent associée à ce rôle de Deus ex machina. Le timbre corsé apporte une épaisseur réelle à ses interventions, en particulier à l'air du Ier acte, très contrasté dans le tempo. Les Chœurs de Radio France, sous la houlette de Joël Suhubiette, sont éloquents, même si pas toujours aussi percutants qu'un ensemble italien.

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La direction de Diego Fasolis est certes tranchante par endroits (Ouverture, début de la scène des enfers), où la battue est fort rapide, la scansion très marquée. Cette vision aiguisée est peut-être influencée par la familiarité récente, au disque, avec la version de Naples, appelant une plus extrême articulation. Mais la lecture est pour l'essentiel lumineuse, grâce aux sonorités immaculées de l'ensemble I Barocchisti, rompu à cet idiome, d'une extraordinaire clarté et d'un beau raffinement instrumental, apportant un soutien décisif aux chanteurs. Le type de conversation adoptée par le chef ôte au récitatif tout caractère emprunté ou pompeux, et le discours est toujours alerte.

Texte de Jean-Pierre Robert 



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