Coffret Ozu, six films rares ou inédits : un choix éclectique très révélateur de l’art de Yasujirō Ozu (en Blu-ray)

Note artistique : (4,5/5)

Synopsis

Femmes et voyous : la moderne Tokiko mène une double-vie : dactylographe le jour, elle traîne avec une bande de gangsters le soir. Le chef des malfrats s'appelle Joji, et il aime se montrer dans un club de boxe et dans les night-clubs où l'on joue du jazz. Un jour, Joji se fait aborder par le novice Hiroshi, qui aimerait rejoindre le clan. Affaire conclue. Ce n'est pas du goût de Kazuko, la sœur de l'étudiant, qui convoque le redoutable yakuza pour le sermonner. Il n'en faut pas plus pour que le gangster tombe amoureux d'elle, à la grande contrariété de Tokiko…

Il était un père : le professeur Horikawa vit seul avec son jeune fils Ryohei au pied des montagnes. Alors qu'il est en voyage avec un groupe d'étudiants autour du lac Ashi, l'un d'eux se noie. Considérant qu'il a failli à sa mission d'enseignant, Horikawa se retire chez un prêtre et envoie son garçon en pension. Les études de Ryohei ayant bientôt besoin d'être financées, il accepte finalement un travail à Tokyo…

Récit d'un propriétaire : dans le Tokyo de l'immédiat après-guerre, un petit garçon erre dans les rues. Hélas, dans ce quartier déshérité de la capitale, personne ne souhaite s'occuper du jeune sans-logis. Après tirage au sort, celui-ci est finalement confié à Tane, une veuve acariâtre qui n'a jamais aimé les enfants…

Une femme dans le vent : Tokiko vit seule avec son jeune fils Hiroshi en attendant que son mari, Shuichi, soit démobilisé. La jeune femme tente de survivre en vendant ses vêtements, mais lorsque son enfant tombe gravement malade, elle est contrainte de se prostituer pour payer les frais d'hospitalisation. Une fois son époux rentré, Tokiko ne peut lui cacher son secret…

Les Sœurs Munakata : Setsuko et Mariko Munakata ont beau être soeurs, tout les oppose. L'extravertie Mariko profite de sa jeunesse et de sa liberté, tandis que Setsuko travaille d'arrache-pied pour entretenir son mari Mimura, un homme taciturne et alcoolique. En visite chez leur père, Mariko sympathise avec Hiroshi, un ancien prétendant de sa sœur, de retour au Japon après des années passées à l'étranger. La jeune femme est convaincue que Setsuko et Hiroshi éprouvent encore des sentiments l'un envers l'autre et va tout faire pour les rapprocher…

Dernier caprice : Manbei Kohayagawa est le patron d'une petite brasserie de saké au bord de la faillite. Le vieil homme est entouré de ses trois filles : l'aînée, Akiko, veuve et mère d'un petit garçon, qu'il souhaite remarier ; la cadette, Fumiko, dont l'époux, gérant de la brasserie, se dévoue corps et âme pour la survie de l'entreprise ; et la benjamine, Noriko, qui refuse tous les prétendants choisis par sa famille. Ces derniers temps, Manbei trouve du réconfort auprès de Tsune Sasaki, son ancienne maîtresse chez qui il se rend en douce. Bientôt, la santé du patriarche commence à décliner…

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• Titre français : Femmes et voyous - Il était un père - Récit d'un propriétaire - Une femme dans le vent - Les Sœurs Munakata - Dernier caprice
• Titre original : Hijosen no onna - Chichi ariki - Nagaya shinshiroku - Kaze no naka no mendori - Munekata kyodai - Kohayagawa-ke no aki
• Support testé : Blu-ray
• Genre : drame
• Année : 1933, 1942, 1947, 1948, 1950, 1961
• Réalisation : Yasujirō Ozu
• Casting : Kinuyo Tanaka, Joji Oka, Sumiko Mizukubo, Chishu Ryu, Shuji Sano, Shin Saburi, Nagaya Shinshiroku, Choko Iida, Hohi Aoki, Eitaro Ozawa, Chieko Murata, Hideko Takamine, Ken Uehara, Ganjiro Nakamura, Setsuko Hara, Yoko Tsukasa
• Durée : 2 h 00 mn 44 - 1 h 33 mn 07 - 1 h 11 mn 26 - 1 h 23 mn 40 - 1 h 52 mn 05 - 1 h 42 mn 54
• Format vidéo : 16/9
• Format ciné : 1,37/1 Noir et Blanc (1-5) Couleur (6)
• Sous-titrage : français
• Pistes sonores : DTS-HD MA 1.0 monophonique musique de Maud Nelissen (1), japonais (2-6)
• Bonus : Digipack avec 4 Blu-ray avec les films restaurés en 4K et livret « Ozu, 6 films rares ou inédits » par Pascal-Alex Vincent, spécialiste du cinéma japonais (78 pages)
• Blu-ray 1, Femmes et voyous : Ozu x Tanaka par Pascal-Alex Vincent (2024, 22 mn 24)
• Blu-ray 2, Il était un père : entretien avec Jean-Michel Frodon au Pavillon de Thé (2006, 14 mn 12) - Rien, analyse de Jean Douchet (2006, 17 mn 08) - Récit d'un propriétaire ("Nagaya shinshiroku", 1947, 1.37, N&B, VOST) - Figures : Affiches et panneaux (9 mn 02), Linges, fumées et poteaux électriques (7' mn 19), Mers et rivières (6 mn 09), Trains et voitures (10 mn 12)
• Blu-ray 3, Une femme dans le vent : Dissemblable, entretien inédit avec Jean-Michel Frodon (2024, 25 mn 15)
• Blu-ray 4, Dernier caprice : Quand la cloche de la jeunesse a sonné, téléfilm inédit réalisé par Tsuneo Hatanaka et coscénarisé par Ton Satomi et Yasujiro Ozu (VOST, Seishun hoka go, 1963, 1 h 28 mn 35) - présentation du téléfilm Quand la cloche de la jeunesse a sonné par Pascal-Alex Vincent (2024, 3 mn 08) - bande-annonce de la rétrospective Ozu 120 ans (2 mn 53)
• Éditeur : Carlotta Films

Commentaire artistique  

Le coffret Ozu, six films rares ou inédits, édité en Blu-ray, réunit six longs métrages du cinéaste japonais Yasujirō Ozu dont le style unique et exemplaire a été peaufiné au long d’une filmographie de 54 titres presque tous réalisés pour la Shochiku. Les six films s’échelonnent de 1933 à 1961, le premier Femmes et voyous est muet, le sixième Dernier caprice est le seul en couleurs, tous ont été filmés au format académique. Yasujirō Ozu est mort en 1963 et tous ces films restaurés en 4K participent à la célébration de « l’événement Ozu 120 ans ». Ces divers films permettront d’observer comment le style Ozu s’affine et s’affirme au long des années avec cette attention portée aux actrices et acteurs et cette manière unique de filmer en plan éloigné les scènes extrêmement cadrées dans les architectures.

Femmes et voyous (1933) est le onzième film de la première période féconde du réalisateur et il faudra attendre Le Fils unique en 1936 pour qu’il passe au parlant. A l’instar de la plupart de ses films muets, Femmes et voyous est fortement influencé par le cinéma américain qu’admire le cinéaste cinéphile, en particulier les films de gangsters comme Tu ne tueras pas ! (1932) de William A. Wellman qui inspire la relation entre Tokiko (Kinuyo Tanaka) et Jōji (Jōji Oka). L’identification est si forte que la quasi-totalité de Femmes et voyous possède une esthétique toute américaine (décors, costumes, publicités). Si l’on peut admirer la mise en scène épurée de ce drame sentimental, son aspect fortement mélodramatique souffre d’une interprétation datée un peu exagérée malgré la présence de Kinuyo Tanaka, l’actrice fétiche du cinéaste.  

Il était un père (1942), présenté en version inédite avec réintégration de nombreuses scènes censurées (allusives à la guerre du Pacifique et chants patriotiques) par l’occupant américain en 1945, est un projet écrit dès 1937. Fortement marqué par la mort de son père, Yasujirō Ozu aborde avec ce film le thème de la filiation en l’inscrivant dans un sous-genre populaire au Japon : le film d’enseignant. La réalisation multiplie les scènes intimes, d’une grande plénitude, entre le père et le fils avec de nombreuses recherches esthétiques (cf. analyse bonus) d’un grande subtilité. Bien que maestro de la mise en scène aux raccourcis signifiants, Yasujirō Ozu, contrairement à son habitude, dirige frontalement une scène d’agonie.

Récit d'un propriétaire (1947) est le dernier film d’une série mettant en valeur un ouvrier modeste et généreux nommé Kihachi. Si dans ce film c’est toujours Takeshi Sakamoto qui l’incarne, ce n’est plus le protagoniste principal, mais il devient le voisin d’une veuve bougonne jouée avec malice par Choko Iida à qui on confie la garde d’un garçonnet mutique et perdu. Le film est tourné en studio hormis une séquence dans le parc d’Ueno (Tokyo) qui montre la réalité des orphelins de guerre laissés sur le carreau.   

Une femme dans le vent (1948), jamais sorti en France et anciennement titré Une Poule dans le vent, est un film de substitution car le projet scénarisé par Yasujirō Ozu et Ryosuke Saito était tout autre. Mais suite à l’indisponibilité de l’actrice retenue, les deux compères vont imaginer un drame inspiré d’un roman « Errances dans la nuit » (1921-1937) de Naoya Shiga. Le sujet, très mélodramatique, évoque comment, dans un Japon en ruines au sortir de la guerre, Tokiko, une jeune femme seule, dont le mari doit revenir du front, est contrainte de se vendre pour sauver son jeune fils malade. L’intention du cinéaste, qui a longuement servi dans l’armée, était de traiter en filigrane les ravages matériels, psychologiques et moraux de la défaite, en particulier pour les femmes. Le rôle de Tokiko est incarné avec une rare intensité par Kinuyo Tanaka qui sera récompensée pour son interprétation. Le rôle du mari est confié à Shūji Sano, un autre acteur fétiche du réalisateur.

Les Sœurs Munakata (1950), invisible depuis longtemps, est réalisé juste après l’un des chefs-d’œuvre du cinéaste Printemps tardif (1949). Tourné pour la Shintoho, c’est son seul film produit hors de la Shochiku. Inspiré d’un roman de Jirō Osaragi et situé dans l’après-guerre à un période charnière de la société japonaise, l’intrigue est fondée sur le contraste appuyé qui caractérise la personnalité des deux sœurs. Cette forte différenciation est d’autant plus perceptible que Yasujirō Ozu va pouvoir compter sur l’abattage d’Hideko Takamine (Mariko), chanteuse et jeune star montante du cinéma nippon d’après-guerre, et sur le jeu plus réservé de Kinuyo Tanaka (Stetsuko), actrice célèbre d’avant-guerre. Le cinéaste joue constamment sur l’image des deux Japon : Kyoto/Tokyo, kimono/tailleur, tradition/ modernité, etc. Film au budget conséquent, Les Sœurs Munakata dispose de nombreux extérieurs et d’un casting d’acteurs renommés, mais malgré sa qualité artistique et dramatique sur le temps qui passe, le film n’aura qu’un succès très limité.

Dernier caprice (1961) a été produit par la compagnie Takarazuka Eiga affiliée à la Toho. C’est l’avant-dernier film de Yasujirō Ozu et il est tourné en couleurs Eastmancolor qui sera un atout esthétique indiscutable. Le scénario coécrit avec Kōgo Noda raconte les facéties d’un vieil homme, Monsieur Kohayagawa (Ganjirō Nakamura), partagé entre sa brasserie sur le déclin, ses deux filles, sa belle-fille veuve et son ancienne maitresse Tsune Sasaki. Tourné dans le Kensai avec une équipe technique moins familière, Dernier caprice est en partie inspiré par une famille de brasseurs locaux et amie du cinéaste. Préfigurant sans doute sa propre disparition (1963), Yasujirō Ozu dépeint sans gravité, avec bienveillance et un soupçon de mélancolie, la future dislocation de la famille, la vieillesse et la disparition. L’intrigue est épurée et se nourrie essentiellement de la complexité des liens qui unissent tous ses protagonistes selon une subtile fusion entre drame et humour. Des multiples thèmes universels sous-jacents abordés et des nombreuses scènes statiques aux dialogues élaborés née une émotion qui est toujours palpable. Outre les cadrages au ras du sol, le cinéaste, fidèle à son style, nous octroie de nombreux plans d’architectures et de paysages sans personnage qui contribuent à la profonde méditation que suggère le film. Admirable.     

Commentaire technique

Femmes et voyous

Version restaurée en 4K en 2022, une production Shoshiku. Restauration par IMAGICA Entertainment Media Services, Shoshiku MediaWorX en association avec The Japan Foundation. Restauration à partie d’une copie 35 mm conservée au National Film Archive of Japan
Image : copie HD, bonne définition et piqué variable, texture argentique homogène (tournage en 35 mm, Master Format 4K 2022), image propre et stable, contraste variable aves des noirs plus ou moins soutenus, quelques fluctuations, gris assez bien étagés
Son : mixage 1.0 monophonique, musique de Maud Nelissen (2023), excellente dynamique, pas de souffle, spectre large

Il était un père

Film restauré numériquement à partir d'une copie 35 mm du National Films Archive et d’un master positif 16 mm de la Shochiku. Première projection en 1942. En 1945, censure partielle de l’occupant US : les images et les sons relatifs à la guerre sont supprimés. Cette version restaurée a rétabli l’intégrité de l’œuvre. Durée de 93 m sur 94 mn de la version d’origine.
Image : copie HD, définition moyenne et piqué manquant de précision, texture argentique discrète (tournage en 35 mm, Master Format 4K 2023), malgré la restauration la copie est affectée par de très nombreux défauts (rayures multiples), contraste fluctuant avec des noirs surexposés, gris manquant d’harmonie
Son : mixage 1.0 monophonique japonais, clarté des dialogues réduite en raison d’un bruit de fond élevé et constant, spectre limité dans les aigus

Récit d'un propriétaire

Restauration 2023, étalonnage supervisé par Masashi Chikamori. Restauration du son supervisé par Kazumi Shimizu
Image : copie HD, bonne définition et bon piqué sur les gros plans, texture argentique fine (tournage en 35 mm, Master Format 4K 2023), image bien nettoyée et stable, bon contraste aux éclairages tranchés, noirs soutenus, blancs nuancés, échelle des gris harmonieuse
Son : mixage 1.0 monophonique japonais, dialogues clairs sans saturation, bonne dynamique sur les effets sonores et la musique d’Ichirō Saitō, très léger souffle

Une femme dans le vent
Version restaurée en 4K en 2022, une production Shoshiku. Restauration par IMAGICA Entertainment Media Services, Shoshiku MediaWorX en association avec The Japan Foundation. Restauration à partir d’une copie 35 mm conservée au National Film Archive of Japan
Image : copie HD, définition variable mais piqué limité, texture argentique discrète (tournage en 35 mm, Master Format 4K 2022), copie bien nettoyée, défauts restreints, contraste variable, noirs soutenus, gris bien étagés
Son : mixage 1.0 monophonique japonais, dialogues clairs mais affectés d’un souffle important et constant, spectre limité dans les aigus, légères variations de niveau, dynamique correcte

Les Sœurs Munakata
Une restauration 4K de Toho Co., Ltd. réalisée par Tokyo Laboratory Ltd.
Image : copie HD, bonne définition et piqué variable, texture argentique discrète (tournage en 35 mm, Master Format 4K 2022), copie propre, bon contraste, éclairages homogènes, noirs soutenus, gris harmonieux
Son : mixage 1.0 monophonique japonais, dialogues clairs, pas de saturation, léger souffle continu, bonne dynamique sur les effets sonores et sur la musique d’Ichirō Saitō, spectre limité dans les aigus

Dernier caprice
Une restauration 4K de Toho Co., Ltd. réalisée par Tokyo Laboratory Ltd.
Image : copie HD, excellente définition et très bon piqué sur les détails, texture argentique fine et homogène (tournage en 35 mm, Master Format 4K 2022), image très bien nettoyée, très beau contraste, image lumineuse, basses lumières détaillées, noirs soutenus, étalonnage et colorimétrie réalistes, teintes naturelles, tons nuancés
Son : mixage 1.0 monophonique japonais, dialogue clairs, pas de souffle, excellente dynamique sur les ambiances et sur la musique de Toshirō Mayuzumi

Notre avis

Image : Dernier caprice (4/5) autres (3,5/5)
Mixages sonores : (4/5) Il était un père, Une femme dans le vent (2,5/5)
Bonus : (4/5)
Packaging : (3,5/5) 

IMDb
Femmes et voyous : https://www.imdb.com/title/tt0024120/
Il était un père : https://www.imdb.com/title/tt0034591/
Récit d'un propriétaire : https://www.imdb.com/title/tt0039651/
Une femme dans le vent : https://www.imdb.com/title/tt0040505/
Les Sœurs Munakata : https://www.imdb.com/title/tt0042762/
Dernier caprice : https://www.imdb.com/title/tt0055052/

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