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  • Michel Bedin
  • Musique

Jazz à Vannes - du 27 juillet au 1er août 2009

Le Festival de jazz de Vannes, avec ses trente années d'existence, est aujourd'hui, dans ceux qui restent, l'un des plus anciens de France. Une exposition superbe lui était d'ailleurs consacrée, retraçant cette épopée, car du jazz en Bretagne, dans les années soixante-dix, c’était encore très exotique. C'est Jean-Philippe Breton qui était à son origine et qui ouvrait ce trentième par un traditionnel : « A Vannes, ce soir, il fait beau et chaud ». Et cette année, les nouveaux imperméables gratuits restèrent dans les cartons. Un signe !

Cela commença, comme chaque année, par une soirée gratuite, non plus sur la place de la mairie, comme naguère, mais sur la magnifique esplanade du port. Grande foule pour écouter les Repris de Justesse, quatre musiciens habillés en bagnards (ils se sont remis en civil le lendemain pour aller jouer à la maison d'arrêt) et jouant du new orleans.
Puis, c'est le Taraf Goulamas, une fanfare tsigano-yiddisho-arabe à la Göran Bregovic qui fonctionne à l'énergie. C'est déjanté, énergique et passionné. Puis, c'est Cedric Le Ru qui vient avec ses amis, trente musiciens sur scène, nous donner des compositions personnelles pour big band fleurant bon la tradition ellingtonienne modernisée. Une mise en place remarquable, avec, pourtant, peu de répétitions. La soirée se terminait par la prestation naviguant entre blues enraciné et rock des Cotton Belly's. Puis tout ce beau monde et quelques autres frappant sur ce qu'ils ont apporté et tonitruant à qui mieux mieux font le tour de la vieille ville, intra muros, histoire de réveiller le bourgeois qui, depuis trente ans, connaît désormais la musique. Une tradition rigolarde qui perdure et n'est pas près de s'éteindre.



Le 28 juillet, la soirée des voix féminines commence avec Esperanza Spalding. Petite, menue, lunettes à la Polnareff, elle chante, crie, se démène, joue de la contrebasse ou de la basse et interprète ainsi du Wayne Shorter aussi bien que du Benny Carter, Sa présence en scène, elle le sait, est d'un érotisme intense, menue silhouette contre sa contrebasse avec qui elle danse, et elle en joue. Elle finit en sueur, ses musiciens aussi. C'était extraordinaire.
En seconde partie, c'est tout l'inverse et Molly Johnson, toute en nuances, peut, à sa main, chanter en grande dame du jazz qu'elle est, son répertoire, certes très classique, mais qu'elle domestique pour en faire son jazz à elle, très personnel, très beau, très mélodieux, mais avec sa touche. Le public est fasciné. Pas un souffle dans cette foule qui écoute avec attention comme si c'était la première fois. Elle chante Monkeys et, dans sa bouche, cela ne veut pas rien dire. Elle vit la chanson, laisse ses musiciens jouer librement leurs solos, If You Know Love, Porgy, My Solitude. La chanson Ode to Billy Joe, que le public connaît davantage grâce à la version française de Joe Dassin, est un triomphe. Puis Lucky, Sister. C'est déjà fini ? On n'y croit pas.

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Le 29 juillet, le trompettiste breton Eric Le Lann s'est entouré de trois «pointures» pour venir jouer «chez lui». David Kikoski, au piano, est éblouissant et que dire de la section rythmique prestigieuse formée par Thomas Bramerie (b) et Billy Hart (dm) ? C'est du béton armé et Eric Le Lann peut à loisir laisser aller son lyrisme désespéré jusqu'aux étoiles. Existe-t-il un dieu du jazz ? Auquel cas, c'est sans doute lui qui, fâché depuis toujours avec les partitions, fait s'envoler celle de David Kikoski, très haut, très haut. Et les musiciens de l'accompagner, eux aussi, en volutes, très haut, très haut. Le jazz se joue avec les oreilles, pas avec les yeux. La preuve ! Rappel magnifique sur The Man I Love.
En seconde partie, Didier Lockwood vient avec le projet du guitariste Sylvain Luc, Nomad's Land. Cette fois, c'est accompagné de deux percussionnistes iraniens, Bijan et Keyvan Chemirani, hyperdoués, (Lockwood aime les découvertes) qu'il improvise, selon son habitude sur des structures éminemment jazz, jouées par le contrebassiste Ira Coleman et avec, en face de lui, le guitariste magicien Sylvain Luc. De quoi dégoûter définitivement le pauvre guitariste débutant ânonnant Jeux interdits.
Le 30 juillet est réservé au jazz d'avant-garde. Pour commencer, le guitariste Marc Ducret. Est-ce du jazz, du rock, de la musique urbaine ? Allez savoir. Peu importe, le principal est que cela plaise au public, et, finalement, l'esprit de surprise passé, c'est ce qui se passe pour la plupart des auditeurs. L'étrangeté des sons, leur déformation et l'utilisation qu'il en fait, hors des sentiers habituels, construisent un climat, bâtissent une atmosphère.

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Pour la deuxième partie, montent sur scène les dix-sept musiciens de Carla Bley, cuivres pour l'essentiel, et quels cuivres ! Et là, on est dans un jazz lui aussi d'avant-garde, mais complètement différent. L'écriture pour orchestre de Carla Bley est incisive, claire, nette et musclée. Elle est au piano, très discrète et sa fille Karen Mantler est derrière l'orgue. Steve Swallow à la basse et le fidèle Andy Sheppard aux saxes, alto et soprano. On relève les noms de vieilles connaissances comme Lew Soloff (tp), Gary Valente (tb), Bill Drummond, mais aussi de jeunes comme le Français Christophe Panzani ou de femmes comme Helga Plankensteiner. Un orchestre brillant pour un jazz, urbain lui aussi, new-yorkais même, mais avec moins de rudesse, plus de sensibilité. En tout cas, un big band formidablement bluffant, surprenant à chaque instant, et d'une perfection rare.

Le lendemain, la soirée commence avec le trio Bozilo, Bo pour Bojan Z (p), Zi pour Karim Ziad (dm) et Lo pour Julien Lourau (sax). Avec un trio acoustique et plus classique comme celui-ci, on peut apprécier toutes ses qualités de compositeur comme d'interprète. Un jazz très varié, pas conventionnel du tout, avec le piano toujours très virtuose de Bojan Z et une écoute remarquable entre les musiciens. Ce trio va chercher son inspiration au sud (Ifriqiya, de Karim Ziad) et à l'est, ce qui fait penser que le plus carpathien du trio n'est peut-être pas Bojan Zufilkarpasic, en dépit de son nom. Une belle première partie, fort appréciée du public.
La seconde partie, quasiment magique, aura été la plus belle soirée de ce festival : Archie Shepp venu avec son bassiste, Wayne Dockery, Tom McKlung au piano et le batteur Steve McCraven. Archie Shepp nous offre le grand Archie que nous aimons et le jazz que nous adorons, avec parfois des clins d'oeil, une phrase musicale, répétée en écho, mais en free, par exemple. Et c'est l'histoire du jazz qu'il déroule sous nos yeux. My Funny Valentine, avec une expressivité de son sax comme une plainte, des chants d'esclaves, Don't Look Around for Anymore, un poème récité où la Révolution est au rendez-vous. Remarquable saxophoniste, ça, on le savait, remarquable diseur, remarquable chanteur, ce que l'on savait moins, il nous délecte d'un Que reste-t-il de nos amours ?, en français, s'il vous plaît, puis, infatigable, d'un blues hors du commun. Magnifique.

Le dernier jour, consacré au jazz afro-cubain voit arriver en première partie, le jeune Harold Lopez-Nussa, retenez ce nom, un prodigieux pianiste. Il nous ouvre un sillage de rythmes et d'exploits pianistiques invraisemblables que le public, médusé, suit avec ravissement. C'est d'une précision d'horloger et d'une inventivité incroyable. Ils sont très jeunes, tous les trois, Ray Adrian Lopez-Nussa, son frère, à la batterie et Felipe Cabrera, bassiste de génie. Nous avons d'ailleurs droit à un solo de basse de toute beauté en démonstration, puis d'un solo de piano, avec une pédale sonore, par un Harold Lopez-Nussa en grande forme. Certains de ses morceaux, compositions qui pourraient être signées Ravel, mais en plus énergiques et avec une section rythmique d'enfer, sont magnifiques.
La seconde partie avec l'orchestre du Buena Vista Social Club, nous fait regretter, ô combien, Compay Segundo et Ibrahim Ferrer. Pourtant, il y a toujours cette magie cubaine inégalable, ce charme envahissant du son, de la guajira, de la guaracha. Les treize musiciens, dont un chanteur et une chanteuse, se donnent à fond, dansent, font toujours rêver, mais les grands absents sont là, et c'est comme si, tout à coup, quelque chose avait disparu à jamais.

Le festival de Vannes, outre cette semaine de concerts, c'est aussi le Tremplin national de jazz qui a vu la victoire de Clawhammers en blues et de Paul Anquez Quintet & Strings ainsi que de Penta Tonik en jazz (professionnels et amateurs), c'est aussi des séances de cinéma en rapport avec le jazz, gratuites durant une semaine les après-midi, une brocante jazz (peu de succès, mais c'était la première fois), des concerts à l'auditorium et toute une ville qui pense et vit le jazz pendant une semaine. Alors, à l'an prochain pour attaquer la quatrième décennie.

texte de Michel Bedin

Plus d’infos sur :
- http://www.myspace.com/jazzavannes
- http://www.facebook.com/pages/Jazz-a-vannes/61279088738



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