CD : surprenante Schubertiade

Karine Deshayes et ses complices pianiste et altiste présentent un programme en forme de schubertiade à partir d’œuvres méconnues et réinventées par le prisme de la transcription pour alto. Un univers à la fois familier et inattendu, défendu avec conviction.
Le plaisir de partager entre amis et le souci de mettre à l'honneur l'alto, instrument cher au compositeur qui en jouait lui-même, a conduit le pianiste Johan Farjot à transcrire des pièces peu connues ou peu jouées de Schubert. Ainsi des deux Lieder écrits en 1828 avec accompagnement de piano et d'un instrument à vent, le cor dans un cas, la clarinette, dans l'autre. Distribution originale et nouvelle chez le compositeur, le Lied Auf dem Strom/Sur le fleuve D.943, conçu pour piano et cor, montre l'intérêt de Schubert pour cet instrument, tant mis en valeur dans la contemporaine Grande symphonie en Ut majeur. C'est d'abord à celui-ci qu'est confié le dialogue avec la voix, sans que l'équilibre général soit pour autant mis à mal. L'habile transcription pour alto amplifie une manière presque orchestrale, en lui ajoutant une nuance de mélancolie. Plus connu, le Lied Der Hirt auf dem Felsen/Le pâtre sur le rocher, D.965, met en avant la clarinette. Étonnement, cette dernière œuvre vocale de Schubert est, de par sa forme, plus une sorte d'air de concert qu'un Lied proprement dit. Sans doute le fruit de la commande d'une cantatrice de l'époque. Le replacement de la clarinette par l'alto modifie quelque peu l'éclairage de l’œuvre, surtout dans le premier couplet censé, à travers les volutes aériennes de celle-ci, traduire la légèreté du chant et une ingénuité presque enfantine. La seconde partie, plus mélancolique, qui voit s'exprimer le chagrin, la perte de la joie et l'impression de solitude, vient mieux sous l'archet grave et chaud. Un changement de perspective donc, parfaitement assumé ici par Arnaud Thorette. Dans le cas du dernier Lied (Nur wer die Sehnsucht kennt/Seul qui connaît l'ardent désir) de la série des Mignon, extrait de 4 Gesänge aus 'Wilhelm Meister', D.877 (1826), l'arrangement consistant à ajouter une partie d'alto au seul piano renforce le sentiment d'épanchement de la souffrance.
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Dans le registre des découvertes, on notera les Vier Canzonen/4 Chansons D.688 (1820) sur des poèmes de Metastasio et de Vittorelli, rare exemple de mélodies en langue italienne chez Schubert. Il s'agit successivement d'une scène dramatique, d'une sérénade et de deux petits airs. Ou encore Didone Abbandonata D.510 (1816) qui flirte là encore avec l'air de concert et cultive un large ambitus vocal. Une longue introduction récitative laisse place à l'air sur le mode dramatique et ses diverses répétitions, jusqu'à une coda démonstrative dans l'aigu le plus tendu. Karine Deshayes y est souveraine, comme dans toutes les autres pièces, où sa large voix se plie aux exigences chambristes. Comme le piano de Johan Farjot prodigue un soutien toujours à l'écoute de ses deux partenaires
Le programme assortit les Lieder de pièces instrumentales. La Sonatine en Ré D.384 op.137 N°1 pour piano et violon, transcrit ici à l'alto, fait partie d'une trilogie datée de 1816. D'une coupe très classique, se détachent un Andante médian de type thème et variations et un Allegro vivace final brillant, dans l'esprit de Mozart. L'arrangement pour alto du fameux Lied An die Musik, où celui-ci tient la partie de la voix, lui confère une note d'intimité. Voilà encore, de la part des présents interprètes, une forme d'hommage à Schubert, musicien altiste.
La prise de son dans une acoustique un peu sèche, saisit de près les deux instruments, tandis que la voix l'est plus largement pour capturer son large ambitus.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- '' Schubert : Mélodies oubliées''
- Franz Schubert : Auf dem Strom D.943, pour piano et cor (transcrit à l'alto, arrang. de Johan Farjot). ''Der Hirt auf dem Felsen'', D.965, pour piano et clarinette (transcrit à l'alto).''Romance d'Hélène'', ext. de Die Verschworenen, II/2 D.787, pour orchestre, clarinette, transcrit pour piano et alto. Zur Namensfeier des Herrn Andreas Siller, D.83, pour piano et violon, transcrit à l'alto. Lied der Mignon ''Nur wer die Sehnsucht kennt'', ext. de 4 Gesänge aus 'Wilhelm Meister', D.877/4
- Vier Conzonen, D.688. Didone Abbandonata, D.510
- Sonatine en Ré D.384 op.137 N°1 pour piano et violon, transcrit à l'alto. Litanei auf das Fest Allerseelen. D.343 pour piano et voix, transcrit à l'alto. An die Musik, D.547, pour voix et piano, transcrit à l'alto. Kupelwieser Waltz, D. Anh. I/14. Acht Ländler in Fis D.355 pour violon, transcrit à l'alto
- Karine Deshayes (mezzo-soprano), Johan Farjot (piano), Arnaud Thorette (alto)
- 1 CD Klarthe Records : KLA 185 (Distribution : Socadisc)
- Durée du CD : 64 min 38 s
- Note technique :
(4/5)
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Franz Schubert, Johan Farjot, Karine Deshayes, Arnaud Thorette
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