CD : les fantasmagories lisztiennes de Lise de La Salle
Dans son nouvel album Liszt, Lise de La Salle associe la Sonate en Si mineur et la grande fantaisie Réminiscences de Don Juan. Une mise en regard qui à travers l'irrésistible pouvoir émotionnel de ces œuvres, joue tel « un voyage musical poétique et intérieur initiatique ».
Fascinante, la Sonate en Si mineur de Liszt (1852-1853) l'est à plus d'un titre. Conçue d'un seul tenant, elle s'affranchit de la forme, opérant au-delà du schéma traditionnel introduction-développement-récapitulation, comme il en est des dernières sonates de Beethoven. Sa construction en arche permet toutefois de déceler trois phases qui n'éludent pas une caractéristique fragmentaire, comme souvent avec le piano de Liszt. C'est peu dire qu'une telle œuvre a suscité des analyses diverses. On retiendra celle d'Alfred Brendel qui plaide pour une approche faustienne, où s'affrontent deux motifs essentiels, celui élancé de Faust et celui diabolique associé à Méphisto.
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Cette dualité, ménagée savamment au long d'un matériau en perpétuelle évolution, Lise de La Salle la voit telle une « grande fantaisie » qui participe aussi d'un récit presque autobiographique de la part du compositeur. De cette coulée de musique, si exigeante en termes d'interprétation, elle offre une lecture emplie de contrastes, partagée entre accents diaboliques et lyrisme éperdu, entre ombre et lumière. Pour installer cette dramaturgie, elle n'hésite pas à presser le mouvement dans les vastes crescendos et leurs batteries d'accords ascendants lors des phases marquées Allegro energico. Ce que tempère un geste poétique de profond lyrisme, caractérisé par la réduction de la dynamique, où appert une pointe de mélancolie, notamment à la partie médiane expressive et lumineuse. L'interprète partage le constat de son confrère Brendel pour qui, dans cette œuvre cardinale lisztienne, l'expressivité prime sur la virtuosité. La dernière partie offre un panel de tempos rapides qui peu à peu s'effacent devant une magistrale décélération jusqu'à un bouquet d'accords intenses et les étonnantes notes finales ppp.
Conçue comme un miroir à la sonate, Lise de La Salle a choisi les Réminiscences de Don Juan (1841). Elle voit là « une œuvre-monstre emplie de tourbillons et de moments d'angoisse ». De fait, cette ''Grande Fantaisie pour le piano'' évolue entre passion et terreur à travers ses cinq séquences. Elle fait partie des paraphrases, genre que le compositeur aimait à pratiquer : là où « Liszt donne libre cours à son imagination à partir d'un air ou d'une scène », souligne Brendel. En l'occurrence celui dit ''du champagne'' de Don Giovanni (V) ou le duetto entre celui-ci et Zerlina ''là ci darem la mano'', travaillé selon un schéma thème et variations (II-IV). Mais l’œuvre débute par le motif menaçant par lequel le Commandeur introduit la scène du souper (I). La pianiste se confronte crânement à la difficulté de recréer au piano un jeu orchestral, torrent de notes dans ce dernier cas ou traitement différentié des thèmes du duo, souvent très libre et prestissimo, succession de grandes envolées couvrant l'entier spectre du clavier.
On aura garde d'oublier la pièce que Lise de La Salle place entre les deux œuvres, tel un « moment des respiration nécessaire » : ''Cantique d'amour'', la dixième et dernière du cycle des Harmonies poétiques et religieuses. Elle joue cette ballade lyrique telle une improvisation, caractérisée là encore par la répétition d'accords ascendants.
L'enregistrement au Studio Teldex de Berlin saisit largement le Steinway et avec relief.
Texte Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Phantasmagoria''
- Franz Liszt : Sonate pour piano en Si mineur. Cantique d'amour (ext. des Harmonies poétiques et religieuses). Réminiscences de Don Juan, Grande fantaisie pour le piano
- Lise de La Salle, piano
- 1 CD Naïve : V8602 (Distribution : Believe Group)
- Durée du CD : 58 min
- Note technique :
(5/5)
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