CD : l'opéra Venus y Adonis, trésor du baroque espagnol

Agréable surprise que cet enregistrement, en première mondiale, d'une œuvre lyrique de José de Nebra, figure importante de la musique espagnole du XVIIIème siècle. Reconstituée à partir des fragments du manuscrit original par le jeune chef Alberto Miguélez Rouco, elle est interprétée par une distribution entièrement féminine. Une pépite !
Le compositeur espagnol José de Nebra (1702-1768) est surtout connu pour sa musique religieuse, fruit de sa longue carrière d'organiste puis de vice-maître de la Chapelle royale de Madrid. Sa fréquentation des divers théâtres de la ville l'ont aussi conduit à investiguer le domaine de la zarzuela et ce mélodrame lyrique qu'est Venus y Adonis. Inspiré librement de la pièce de Shakespeare, l’œuvre est un mélodrame pastoral contant la passion nourrie par la déesse pour un jeune et beau mortel, plus intéressé par la chasse que par l'amour. Piquée au vif devant une telle indifférence, Venus décide de le faire tuer, avec l'aide de Mars, par un sanglier monstrueux. Consciente de son audace, elle ne parvient pas à empêcher Adonis d'affronter l'animal : il périra devant elle de la morsure du sanglier. Mais, lieto fine oblige, Venus lui redonnera la vie, le transformant en fleur. Deux autres personnages, les nymphes Celfa et Clarin, apportent une note plus légère à ce drame d'intrigues amoureuses. Le mélange de tragique et de comique contribue à la variété stylistique et à l'ingéniosité dramatique de la pièce, évoluant en un acte et quelque 17 scènes. Extrêmement séduisante par son inventivité mélodique et sa richesse rythmique, la musique subit largement l'influence du style italien de l'époque, auquel se mêlent des emprunts à des danses populaires espagnoles, tels le fandango et la moins connue et animée zarambeque issue des traditions coloniales hispaniques. Le chant, orné dans la tradition baroque, voit une succession de récitatifs et d'arias sur le mode da capo et souvent assorties de parties instrumentales solistes, cors ou trompettes. Le découpage autorise parfois qu'une aria chantée par un personnage réponde au récitatif d'un autre. Comme il en est par exemple de celle d'Adonis en réplique à celui de Venus à la scène VII. Outre deux brefs chœurs, dont le finale de l'opéra, trois trios complètent le dispositif compositionnel : entre Mars et Venus, fermement engagé pour sceller un dessein vengeur, puis entre les deux nymphes bavardes Celfa et Clarin, caquetant comme des poules, enfin réunissant les deux protagonistes-titres, à l'unisson du bonheur retrouvé.
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L'interprétation doit beaucoup au chef Alberto Miguélez Rouco, spécialiste de l'univers lyrique du musicien espagnol pour avoir déjà enregistré plusieurs de ses zarzuelas. Son minutieux travail de reconstruction permet de découvrir toutes les facettes de cette musique puissante et combien séduisante, à travers notamment la petite harmonie, les cors et trompettes et les percussions, dont les indispensables castagnettes. Les parties manquantes ont été remplacées par des pièces empruntées à d'autres œuvres du musicien. Ainsi en est-il de l'ouverture en cinq mouvements tirée d'une sinfonia en fa majeur pour clavecin. À la tête de son ensemble Los Elementos, sa direction est articulée, parfois jusqu'à l'exubérance, mais toujours d'une belle justesse de ton et flattant une large palette de couleurs instrumentales. Elle souligne les multiples détails d'une orchestration originale, notamment dans les passages appelant les rythmes dansés. Le soutien des chanteurs est exemplaire aussi : de chanteuses en l'occurrence, car, conformément à la création madrilène, le cast est entièrement féminin, partagé entre cinq sopranos et une mezzo. Toutes rivalisent de fraîcheur, d'entrain et de goût, excellant dans un étonnant foisonnement d'arias de bravoure. Ainsi de celle (''Trompas venatorias''/Vous, cors de chasse), où Venus appelle à la vengeance contre Adonis, avec force cors pétaradants, ou de ce morceau tempétueux (''Silbo del aire veloz''/Sifflant comme le vent) durant lequel Adonis, se mesurant à la trompette, s'apprête à combattre le sanglier.
La prise de son, parfaitement étudiée dans l'équilibre entre voix et orchestre, possède un indéniable relief.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- José de Nebra : Venus y Adonis. Mélodrame pastoral en un acte et 17 scènes. Livret de José de Caňizares
- Paola Valentina Molinari (Venus), Natalie Pérez (Adonis), Jone Martinez (Marte), Ana Vieira Leite (Celfa), Judit Subirana (Clarin), Margherita Maria Sala (Cibeles)
- Los Elementos, coro y orquestra, Alberto Miguélez Rouco, clavecin et direction
- 2 CDs Aparté : AP 373 (Distribution : [Integral])
- Durée des CDs : 55 min + 52 min
- Note technique :
(5/5)
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