CD : les Diotima exhument la musique de chambre du jeune Bruckner

Le concept de cet album, le professeur et l'élève, doit se lire à l'envers, dans la mesure où Bruckner compose son Quatuor à cordes étant encore étudiant, tandis que son élève Klose commet le sien alors que devenu un maître reconnu. Dans cet improbable rapprochement, les Diotima excellent à revisiter des œuvres qui méritent d'être tirées de l'oubli.
Outre ses neuf symphonies et ses œuvres de musique religieuse, on connaît d'Anton Bruckner un Quintette à cordes (1879). On sait moins que dans sa première période créatrice, il s'était essayé à la composition chambriste, dont un Quatuor à cordes. Ce ''devoir d'étudiant'' a été écrit en 1862. Jamais publié, il n'a été découvert qu'en 1950 et créé l'année suivante par le Koeckert Quartett. En quatre mouvements, il se place dans le sillage de Schubert, voire de Mendelssohn, de par sa belle inventivité mélodique. Mais il réserve déjà une facture reconnaissable des modes d'expression futurs du musicien. Ainsi de l'Allegro moderato avec son écriture contrapuntique et polyphonique et ses modulations audacieuses dans le développement. L'Andante poursuit dans cette voie, cantabile mais aussi rythmée. Le Scherzo est entraînant, comme chez Haydn, traversé d'un trio en forme de Ländler. Quant au finale Rondo, il est virtuose, un thème en forme de signal revenant à quatre reprises en alternance avec des épisodes thématiques différents. Ce finale sera l'objet d'une sorte de version alternative dans le Rondo en Ut mineur, de la même année, sans doute plus élaboré, doté d'une plus riche palette de couleurs. À la même époque, Bruckner compose encore un Thème et variations pour quatuor à cordes en Mi bémol majeur, donné ici en première au disque. C'est sans doute le premier essai du jeune musicien dans le domaine de la musique de chambre : le thème majestueux andante est suivi de six variations laissant la parole alternativement aux quatre instruments.
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Friedrich Klose (1862-1942) a été élève de Bruckner à partir de 1886, avec lequel il approfondira toutes les bases de la composition. Il deviendra lui-même professeur tout en s'adonnant à l'écriture, de manière parcimonieuse toutefois. Il écrit son Quatuor à cordes en Mi bémol majeur entre 1908 et 1911, dont la durée conséquente avoisinant les 50' montre des influences de Liszt quant à la virtuosité, de Wagner s'agissant de l'impact dramatique, et bien sûr du maître Bruckner pour ce qui est du langage harmonique. Le sous-titre en dit long sur la dette à ses prédécesseurs : ''Un hommage à mes sévères maîtres d'école allemands''. Un souci de respect des structures formelles doublé d'une étonnante profusion d'idées irrigue les quatre mouvements. Le Moderato, débuté par un thème énergique, est empli de tension générée par des harmonies originales dans les voix extrêmes des instruments et de fréquents changements de tempos. L'Adagio est basé sur deux thèmes opposés, l'un expansif, l'autre agité, presque théâtral. Le Vivace, scherzo presque démoniaque dans sa rythmique saccadée avec pizzicatos rageurs, offre une écriture heurtée, que tempère une section trio assagie, comme chez Bruckner. Le long finale Moderato en forme de Rondo oppose là encore des blocs thématiques contrastés, et son organisation générale doit beaucoup au maître, jusqu'à une fin en apothéose radieuse après une progression savamment ménagée comme dans une symphonie de Bruckner.
Le Quatuor Diotima montre une parfaite habileté à se frayer un chemin dans la sinuosité de cette œuvre, dont l'apparente audace n'est pas éloignée de son cœur de répertoire, la Seconde École de Vienne en particulier. De même, la rencontre des Diotima avec Bruckner, là où a priori on ne les attendait pas, est tout aussi révélatrice d'une manière de repenser la musique postromantique à l'aune d'une précision qu'on leur connaît légendaire.
Les enregistrements à la Brucknerhaus de Linz, dont les responsables sont à l'initiative du projet, possèdent une immédiateté et un parfait équilibre entre les voix.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Anton Bruckner : Quatuor à cordes en Ut mineur, op.68a. Rondo en Ut mineur. Thème avec variations en Mi bémol majeur pour quatuor à cordes
- Friedrich Klose : Quatuor à cordes en Mi bémol majeur
- Quatuor Diotima
- 1 CD Pentatone : PTC 5187 217 (Distribution : Outhere Music France)
- Durée du CD : 85 min 29 s
- Note technique :
(5/5)
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