CD : Schubert, le génie de la danse
Lumineuse idée d'investiguer les danses pour piano, un genre que Schubert a si généreusement pratiqué. Pierre-Laurent Aimard en offre un choix personnel fort avisé, sorte de déambulation où perce l'intime du compositeur. Des pépites, à déguster par petites gorgées.
Franz Schubert a composé quelque 450 danses entre 1812 et 1827. Elles sont souvent de l'ordre de la miniature, étonnant paradoxe chez ce maître des ''divines longueurs'' confiées à l'orchestre. Mais, pour le musicien, point n'est besoin de s'étendre pour aller à l'essentiel, faire passer l'auditeur d'un climat insouciant à une profondeur presque abyssale. Et viser à l'intime. « Schubert parvient au sein de pièces d'une brièveté singulière à nous précipiter au cœur de la douceur, de l’ambiguïté, du vertige entre vie et mort », remarque Pierre-Laurent Aimard. Le compositeur y cultive un don d'improvisateur. Les danses fréquentent aussi bien le rythme à trois temps, comme la valse, la danse allemande ou le Landler, ces deux dernières plus simples car d'origine populaire, que celui à deux temps, telles l’Écossaise et le Galop. Le genre de la danse de couple ou celui de la danse de groupe.
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Leur datation exacte reste problématique. Elles ont été regroupées selon les bons vouloirs des éditeurs, dont le célèbre Diabelli, de manière composite à partir de divers manuscrits de périodes différentes. Seules les 12 Deutsche Tänze op.171 D.790 forment un ensemble cohérent, composé en 1823, mais publié posthume par Brahms en 1864. Parfait exemple du talent d'improvisateur de Schubert dans l'usage des diverses tonalités, elles sont de coupe similaire en deux parties. Et de durée inégale, parfois extrêmement brèves comme les Nos 9 & 10 totalisant à elles deux moins d'une minute. On y trouve une constellation de climats, telle la 4ème d'une indicible mélancolie, comme hésitante, que prolonge la 5ème, rêveuse, tandis que la suivante tente de dissiper ces nuages, alors que la N°7 revient au rêve et à une grande douceur. Il existe pourtant une unité dans cette apparente diversité et un extrême sens mélodique : « il y a comme des ombres de Lieder qui passent de l'une à l'autre de ces Allemandes », note Brigitte Massin (in ''Schubert '', Fayard).
Partout ailleurs, les regroupements, souvent arbitraires, opérés par Diabelli avaient sans doute des visées commerciales, pour attirer les amateurs de la bourgeoisie de l'époque. Ainsi des 20 Valses D.146, de 1815, réunies avec d'autres par Diabelli sous l'op.127. Déjà très ouvragées, on y trouve des affects différentiés : ton assuré de la N°3, fier et calme de la 5ème, sans parler de l'enchaînement des Nos 10, 11 & 12, où perce déjà l'assurance de la maturité. Les titres se veulent accrocheurs. Par exemple, les Wiener-Damen Ländler & Ecossaisen D.734 (1822, publiées en1827) sont un hommage aux belles viennoises et à leurs humeurs volatiles. Les 34 Valses sentimentales D.779, publiées en 1825, témoignent de la fantaisie inépuisable de Schubert dans l'art de cultiver les états d'âme, comme la félicité, le désir, le bonheur simple, la paix retrouvée. Ou encore la tendresse, telle la N°13, qui porte d'ailleurs l'indication ''Zart'' (tendre). Et que dire du brillant Galop D.735.
Le judicieux panel que propose Aimard ne fait que renforcer l'idée d'une somme de pépites. Le parcours vise à « témoigner de la place irremplaçable de l'intime dans notre monde – et celle de la vulnérabilité », note encore le pianiste, qui sait à l'occasion pourvoir habilement un crescendo d'intensité. Le jeu est éblouissant, alliant simplicité et tension. Au fil de tous ces rythmes si délicats, il confère à ces œuvrettes un poids certain, les pare d'une vision insoupçonnée, qui les place sans rougir auprès des pièces de plus vaste envergure. Il se plaît à vanter l'instrument joué, un Steinway grand de 1956, naguère utilisé comme piano de concert au Rudolfinum de Prague, sans doute sous des doigts précieux comme ceux de Richter, Gilels ou Cziffra. De fait, sa sonorité dense et lumineuse contribue au bonheur de ce séduisant programme. Capté magistralement au Centre culturel Gustav Mahler de Dobbiaco, autre lieu emblématique.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Schubert Ländler''
- Franz Schubert : Extraits de 36 Originaltänze op.9, D.365. 38 Waltzes, Ländler & Ecossaises op.18, D.145. German Dances & Ecoissaises op.33, D.783. Galop & 8 Ecoissaises, D.735. Valses sentimentales op.50, D.779. 17 Ländler D.366. 4 Ländler, D.814. Wiener-Damen Ländler & Ecossaisen op.67, D.734. 12 Valses Nobles op.77, D.969. 12 Grazer Waltzes op.91, D.924. 20 Waltzes op.127, D.146. 12 Deutsche Tänze op.171, D.790
- Pierre-Laurent Aimard (piano)
- 1 CD Pentatone : PTC 5187 034 (Distribution : Outhere Music France)
- Durée du CD : 68 min 03 s
- Note technique : (5/5)
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