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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Alcina, sommet de chant haendélien

Avec cette version CD d'Alcina, Marc Minkowski revient à Haendel qu'il a magnifié naguère sous label DG par des interprétations somptueuses. Celle-ci ne l'est pas moins eu égard à une direction aussi inspirée que plastiquement accomplie et à une distribution de haute tenue, dominée par Magdalena Kožená assurant au rôle-titre une aura d'exception.

Alcina est avec Orlando et Ariodante le troisième opera seria que Haendel emprunte au Roland furieux de l'Arioste. Son héroïne est inspirée du mythe de Circé, l'enchanteresse conçue par Homère. La passion amoureuse de celle-ci est le centre d'un enchevêtrement de querelles passionnées, chassés-croisés entre caractères hauts en couleurs. À l'exemple de Ruggiero, hésitant à se livrer à Alcina, la femme fatale, ou à Bradamante, la femme guerrière. Le dramma per musica est tourné vers le merveilleux, recourant à des effets magiques, voire surnaturels, dont use la magicienne pour transformer les guerriers et autres mâles qui résistent à ses avances, en rochers, arbres ou bêtes sauvages, au gré de sa fantaisie amoureuse inassouvie. Effets faisant appel à une machinerie sophistiquée et à un faste qui plaisaient tant au public de l'époque. Sur une trame de veine romanesque, Haendel trace des portraits très typés que le pouvoir de la musique transfigure en êtres de chair et de sang. Comment résister aux sortilèges du chant qui traduisent l'exaltation, le ravissement, la sensualité, et forgent les sentiments les plus exacerbés comme la passion du cœur, la fierté blessée, la colère vengeresse. La distribution des arias entre les sept personnages est conçue en fonction de leur poids dans le déroulement de l'action. Les récitatifs ne sont pas moins vivants, comme l'agencement des dialogues qui tirent souvent à la confrontation.

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Le formidable aboutissement de cette nouvelle version CD, on le mesure d'abord à la direction de Marc Minkowski. Empreinte d'un geste de grandeur et d'une extrême fluidité dans la symphonie, notamment pour ce qui est des passages dansés, elle ménage de larges contrastes : des prestos souvent plus que soutenus, mais aussi des tempos modérés expressifs d'une extrême lenteur, avec des pppp évanescents. Elle favorise aussi un large nuancier dans le soutien des chanteurs, qui ne vise jamais la recherche de la virtuosité, en particulier s'agissant du da capo des arias soumis à un enjolivement raisonnable. Car la patte du chef d'orchestre est là pour canaliser les ardeurs et surtout bâtir une vraie progression dramatique. L'intensité du discours laisse aux Musiciens du Louvre loisir de déployer des couleurs chatoyantes, notamment au fil des arias concertantes, perles de la partition, proposant d’envoûtants solos. Ainsi du violon d'Alice Piérot, du violoncelle de Gauthier Broutin, de la flûte d'Annie Laflamme.

La prestation vocale est tout aussi exceptionnelle. Magdalena Kožená restitue toutes les facettes d'Alcina. Une personnalité complexe, hors norme, même chez Haendel, avec ses ambiguïtés : la magicienne au charme mystérieux frôlant le maléfique, la femme aux humeurs changeantes, sans doute solitaire dans son combat. Toutes caractéristiques si bien scrutées au long des merveilleuses arias que Haendel confie à son héroïne, chacune en traçant un aspect différent du caractère : depuis le vulnérable ''Si, son quella'' (Oui, fidèle je le suis) jusqu'à ce ''Mi restano le lagrime'' (Les larmes seules me restent) où Alcina est vaincue par sa passion. En passant par ''Ah, mio cor !'' (Ah, mon cœur), sur un tempo haletant, déploration de la femme se sentant trahie. Et bien sûr l'opulente scène 13 du IIème acte, culminant dans l'aria ''Ombre pallide'' (Ombres pâles) où Alcina s'interroge sur la perte de sa puissance. Alors qu'on perçoit la complicité de longue date unissant interprète et chef, Magdalena Kožená propose une figure saisissante, soutenue par une ligne de chant assurée de longues notes tenues, inextinguibles, et parée d'un legato souverain.

Elle est magnifiquement entourée. S'agissant du chevalier Ruggiero, on a fait le choix, non d'un contre-ténor, comme naguère dans la production du Festival d'Aix, mais d'une voix de mezzo-contralto. Anna Bonitatibus y est souveraine, assortissant son chant de tenues de voix ensorcelantes comme à l'heure de l'aria ''Mio bel tesoro'' (Mon beau trésor), subtil aveu d'amour faussement languissant, où la voix concerte avec la petite flûte, puis de ''Verdi prati'' (Vertes prairies), aux accents d'une pureté céleste. Mais aussi de traits vindicatifs pour s'emparer du ton martial de l'aria di furore ''Sta nell'Ircana'' (Dans une tanière d'Hyrcanie) où le chant se mesure aux trompettes. Elizabeth DeShong use de son timbre moiré de contralto au souffle sans fin pour caractériser la partie délicate de Bradamante : un personnage féminin déguisé en homme, qui lui aussi peine à canaliser fureur et désespoir lors de l'aria ''Vorrei vendicarmi'' (Je voudrais me venger), mené par Minkoswki à un tempo prestissime. Erin Morley, Morgana, rivalise d'impact vocal et de prestance qu'on sent osée, sans que son soprano léger ne sombre dans l'excentricité d'ornementations acrobatiques. On admire le naturel avec lequel elle distille récitatifs et arias : la pyrotechnie d'aigus filés (aria finale du Ier acte) voisine avec les accents lyriques de l'aria ''Credete al mio dolore'' (Croyez à ma douleur), soutenue par le violoncelle concertant. À noter encore la belle prestation d'Alois Mühlbacher dont le timbre de sopraniste possède la couleur idéale pour incarner le jeune Oberto.

Un enregistrement particulièrement soigné, à l'Auditorium de Bordeaux, ajoute au prestige de cette interprétation : immédiateté et relief, balance quasi idéale entre voix et orchestre.
Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Georg Friedrich Haendel : Alcina, dramma per musica en trois actes. Livret anonyme d'après L'isola di Alcina d'Antonio Marchi, inspiré de l'Orlando furioso de Ludovico Ariosto
  • Magdalena Kožená (Alcina), Erin Morley (Morgana), Anna Bonitatibus (Ruggiero), Elizabeth DeShong (Bradamante), Alois Mühlbacher (Oberto), Valerio Contaldo (Oronte), Alex Rosen (Melisso)
  • Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski
  • 3 CDs Pentatone : PTC 5187 084 (Distribution : Outhere Music)
  • Durée des CDS : 61 min 39 s + 78 min 05 s + 52 min 41 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5)

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