CD : contrastes dans la musique de chambre de Schumann
Toutes composées en 1849, les pièces de musique de chambre de cet album montrent combien les deux faces contrastées de l'homme et du musicien Schumann, le fougueux Florestan, l'introverti Eusebius, sont intimement liées. Le hautboïste Philippe Tondre s'en fait l'ambassadeur.
À l'exception des Trois Romances op.94, les œuvres chambristes figurant sur ce disque ont été conçues pour divers instruments et sont donc transposées pour le hautbois. Qu'importe, dès lors que les interprétations aussi sensibles qu'habitées n'en trahissent nullement l'esprit. Adagio & Allegro op.70, écrit pour cor et piano, trouve avec le hautbois une saveur intime pour une œuvre qui, comme le souligne Brigitte François-Sappey, « appelle de par sa tonalité, la tendresse amoureuse ». La première partie du diptyque, marquée ''lent avec une expression intime'', est de climat nocturne. La seconde, ''rapide avec feu'', forme une brillante conclusion, après un épisode central plus méditatif. Les Fantasiestücke op.73, à l'origine pour clarinette (ou violon), ne souffrent pas non plus de l’arrangement pour hautbois d’amour. Jouées enchaînées, les trois pièces tressent un magistral parcours poétique allant du ''tendre et expressif'' au ''vif et léger'', enfin au ''rapide, avec feu''. Toutes sont éminemment chantantes. Conçues pour le violoncelle, les Cinq Pièces dans le ton populaire op.102, indication rare dans le domaine instrumental chez Schumann, distillent fraîcheur et originalité, selon Philippe Tondre qui reconnaît délicate leur exécution au hautbois, quoique enivrante. Il en joue trois, la N°II, d’un lyrisme berçant, la troisième, à jouer ''pas vite mais avec beaucoup de son'', figurant un intermezzo dissimulant à peine le tragique, enfin la N°IV, de son caractère de marche décidée, unissant avec bonheur les deux faces du Janus schumannien, Florestan et Eusebius. Enfin la transcription de ''Abendlied'', dernier morceau du cycle pianistique Douze pièces pour petits et grands enfants op.85, a été choisie parce que cette « miniature exquise et unique pleine de paradoxe navigue entre simplicité et mystère », souligne Philippe Tondre.
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Composées pour hautbois et piano, les Trois romances op.94 ne cachent pas leur caractère vocal. Il existe aussi une parenté d’esprit entre cette œuvre et les opus 73 et 70 ; ce qui rend pertinent le rapprochement opéré par les présents interprètes. Là où Tondre voit de « véritables chants d’ombre et de lumière », on admire le ciselé dans le traitement des deux voix du premier morceau, le travail raffiné sur le thème au second, harmonisé différemment selon ses diverses reprises, enfin pareil ouvrage d’orfèvre au dernier, si chantant dans le plus pur mode schumannien et sa discrète note de mélancolie.
Philippe Tondre (*1989) a déjà à son actif une prestigieuse carrière. Détenteur de plusieurs prix internationaux, dont l’ARD de Munich en 2011, il est depuis 2020 Premier solo dans le fameux Philadelphia Orchestra, après l’avoir été dans le Gewandhaus de Leipzig et au Chamber Orchestra of Europe, témoin du prestige de l’école française de hautbois. Il ne néglige pas pour autant la musique de chambre, là où s’expriment le moelleux du son, la maîtrise du cantabile et la douceur de l’émission, à l’appui d’interprétations tout en délicatesse. Lui qui se place dans le sillage de grandes figures de l’instrument comme Heinz Holliger ou Maurice Bourgue. Il a en Danae Dörken une partenaire discrète autant qu’efficace.
Ils sont saisis avec doigté et un parfait équilibre entre leurs deux voix dans les studios de la Südwestrundfunk 2 de Stuttgart.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Contrasts''
- Robert Schumann : Adagio & Allegro op.70. Fantasiestücke op.73. Abendlied op.85 N°12. Drei Romanzen op.94. Fünf Stücke in Volkston op.102
- Philippe Tondre (hautbois), Danae Dörken (piano)
- 1 CD Klarthe records : KLA 157 (Distribution : [Integral])
- Durée du CD : 46 min 56 s
- Note technique : (5/5)
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