Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : le Quatuor pour la fin du Temps de Messiaen, œuvre hors norme

Toute interprétation du Quatuor pour la fin du Temps ravive l'intérêt pour une œuvre atypique, bouleversante tant par sa portée spirituelle que par sa fascinante musique. Cette nouvelle version due à l'ensemble belge Het Collectief ne fait pas exception. D'autant qu'elle est précédée d'une pièce, Stalag VIIIA, hommage de Tristan Murail à son maître Messiaen.

Le caractère hors norme du Quatuor pour la fin du Temps se révèle déjà par l'historique de sa composition. Il est écrit en 1940, alors que Messiaen est en captivité au stalag VIIIA de Görlitz en Silésie. Outre un commandant du camp mélomane et compréhensif, le musicien y retrouve deux confrères rencontrés peu auparavant dans un camp près de Nancy, le violoncelliste Étienne Pasquier et le clarinettiste Henri Akoka. Ils s'adjoignent un violoniste, choisi parmi les autres prisonniers. Quant au piano, Messiaen se réserve d'en jouer la partie sur un piano droit de fortune. L’œuvre, pour ces quatre instruments particuliers, sera créée devant un public de prisonniers en janvier 1941. Cette formation atypique est le vecteur d'un message d'ordre spirituel. Messiaen puise son inspiration dans l'Apocalypse de Saint Jean et sa riche imagerie. Celle notamment de ''l'Ange plein de force, descendant du ciel, couvert d'un arc-en-ciel'' dont le ''visage était comme le soleil, ses pieds comme des colonnes de feu'' et annonçant ''il n'y aura plus de Temps''. L'idée est donc, non de la fin des temps, mais celle théologique de l'abolition du Temps. Ce qui renvoie, en musique, à la notion de rythme, par nature changeant. Et se traduit dans le texte musical par le recours à des procédés rythmiques particuliers, ceux-ci étant dissociés de l'harmonie et de la mélodie.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Le Quatuor est constitué de huit mouvements, dans lesquels les quatre instruments sont distribués de manière différente, jouant soit ensemble, soit en trio (violon, violoncelle et clarinette), en duo (cello et piano & violon et piano) ou même soliste (clarinette). Cette dernière confère à l’œuvre une de ses plus étonnantes singularités. Le langage reste tonal, traversé d'accords fulgurants ou de longs traits presque de douceur. On y trouve aussi largement des chants d'oiseaux, si chers à l'auteur, ces divins messagers de la Nature. Théoricien et pédagogue, Messiaen a précisé les principes de sa composition comme la pensée qui l'ordonne. Le quatuor complet distingue ''Liturgie de cristal'' (I), décrivant « le silence harmonieux du ciel », au lever du jour tandis qu'improvise un merle (clarinette). Puis ''Vocalise pour l'Ange'' (II) et ses accords puissants, d'où émerge la clarinette bien sonore symbolisant la puissance de l'Ange, suivi au médian des « harmonies impalpables du ciel ». ''Danse de la fureur, pour les sept trompettes'' (VI) compose une étonnante fête rythmique des plus virtuoses. Tandis que ''Fouillis d'Arcs-en-ciel pour l'Ange qui annonce la fin du Temps'' (VII) déploie une « vibration lumineuse » qui peu à peu bascule dans l'irréel de ses glissandos insistants du violon, figure d'extase. La clarinette apporte d’envoûtantes sonorités au mouvement III ''Abîmes des oiseaux'', long et fascinant soliloque de l'instrument usant d'un nuancier dynamique extrêmement étendu, du pppp à peine perceptible au forte asséné, pour illustrer de « jubilantes vocalises ». Comme le violoncelle dans ''Louange à l'éternité de Jésus'' (V), mélodie lente et pleine de tendresse s'élevant par paliers vers la lumière. Et encore le violon à ''Louange à l'immortalité de Jésus'' (VIII), sur un accompagnement épuré de piano épousant les volutes de l'archet jusqu'au suraigu.

La présente interprétation, due à un ensemble chambriste belge, rencontre l'esprit profond de cette œuvre non pareille. Elle est caractérisée par le souci des différences de dynamique et sa haute qualité instrumentale, sans brillance inutile. Ainsi du clarinettiste Julien Hervé dont le phrasé soigné illumine sa partie et pas seulement l'exceptionnel solo du troisième mouvement. Comme de ses confères, le celliste Wibert Aerts usant d'un large vibrato, et le violoniste Martijn Vink. Quant au piano de Thomas Dieltjens, il est d'une magistrale fluidité. Une prise de son agréablement aérée confère à ces pièces tout leur relief.

L'album comprend aussi une œuvre de Tristan Murail (*1947), Stalag VIIIA. Écrite en 2018 par cet élève de Messiaen et pour la même formation, elle est conçue comme une « introduction au quatuor de Messiaen ». Tenant de la musique spectrale, Murail présente un travail sur le timbre, les différents types d'accords dont use le Maître, singulièrement ''l'accord à résonance contractée'', et les contrastes dynamiques. La musique emprunte à ces accords, évocations fugaces de fragments du Quatuor pour la fin du Temps, jusqu'à s'inscrire dans les premières mesures de celui-ci.
Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Olivier Messiaen : Quatuor pour la fin du Temps
  • Tristan Murail : Stalag VIIIA
  • Het Collectief
  • 1 CD Alpha Classics : Alpha 1048 (Distribution : Outhere Music France)
  • Durée du CD : 60 min 53 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5) 

CD disponible sur Amazon

LA SUITE APRÈS LA PUB


Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


Olivier Messiaen, Tristan Murail, Het Collectief

PUBLICITÉ