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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : dialogue imaginaire entre Erik Satie et John Cage

Un album signature que ce programme associant Erik Satie et John Cage, les rapprochant en un audacieux face à face. Bertrand Chamayou, dont on connaît l'immense rigueur musicale, mais aussi l'appétence pour des itinéraires inédits, nous emmène dans des univers pas si éloignés que cela : une forme de minimalisme plus ou moins raisonné.

Qu'y a-t-il de commun entre Satie et Cage ? Le goût pour des pièces de piano aux titres plutôt énigmatiques et une écriture aux contours joliment obsessionnels. « Erik Satie et John Cage sont des ovnis dans le monde de la musique, car ils ont envisagé la musique à travers un prisme complètement différent », souligne Bertrand Chamayou. Le plus étonnant est que l'iconoclaste américain admirait son excentrique aîné français dont il a contribué dans les années 1960 à renouveler l'intérêt pour la musique. Et le pianiste de s'interroger : Satie ne serait-il pas l'un des pères de l'art conceptuel ? Un art dont Cage est assurément une icône. D'où l'idée séduisante de bâtir un programme en forme de dialogue imaginaire offrant un ensemble de pièces caractéristiques de chacun d'eux : un panel d’œuvres hyper jouées et d'autres bien moins connues de Satie, entrelardées d'une kyrielle de morceaux de Cage dissimulant à peine une profonde admiration pour le maître d'Arcueil.

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Ainsi entend-on les incontournables Gymnopédies (1888) « musique d'un autre monde », souligne Chamayou, et son immuable balancement de valse à trois temps : la première à jouer ''lent et douloureux'', la seconde presque l'inverse de la précédente et la N°3, sorte de résultante des deux autres. Viennent aussi les deux séries de Gnossiennes. Le premier set de 3 (1890) exhale un charme berceur finalement captivant, comme « des obsessions », dira Jankélévitch qui y voit « trois danses sacrales » : à jouer ''du bout de la pensée'' (N°1), ''avec une légère intériorité'' (N°2) et ''une danse « très perdu »'' (N°3). L'autre ensemble, plus tardif (1897) et publié seulement en 1968, offre un cheminement plus clair (N°4), un chant épanoui dans les arabesques de la main droite sur un rythme à deux temps de la gauche (N°5), enfin pour ce qui est de la dernière, une aura de mystère. Chassez le naturel... Les Véritables préludes flasques (pour un chien) de 1912, parodiant peu ou prou le style baroque, constituent une gentille moquerie ou une vraie rosserie vis-à-vis du ''Bon Claude'' (Debussy). Une poignée d'autres pièces peu jouées aujourd'hui enrichit singulièrement le propos. Elles sont tellement singulières qu'on se demande « si certaines avaient vraiment été conçues pour être jouées », s'interroge Chamayou. Ainsi des courtes vignettes ''Le Bain de mer'', ''Le Tango perpétuel'' et ''La Balançoire'', extraites de Sports et Divertissements (1914). 

John Cage (1912-1992) n'est pas le moins du monde hors de propos en pareille compagnie. Bien au contraire, dès lors qu'il a été le chantre de l'expérimentation du hasard en composition, et partisan de l'épure jusqu'à idéaliser le silence. L'étrangeté de A Room voisine avec le minimalisme de Swinging ou le côté obsessionnel de Perpetual Tango, à rapprocher de celui de Satie. Le morceau In a Landscape, d'une durée substantielle pour l'américain (8'), est en réalité composé de diverses séquences flattant le registre aigu du piano et dont les effets de pédale créent un climat nocturne et apaisé. Tandis que Dream (1948) installe un univers tout en questionnement, logé dans le registre médian du clavier, et développant des résonances envoûtantes. Pour Chamayou, ces deux pièces montrent « un lien de filiation directe » avec le musicien français. Au demeurant celle par laquelle il inaugure son programme, All Sides of the Small Stone, For Erik Satie, attribuée à Cage, restitue habilement le fameux balancement lancinant ''à la Satie''. Une sorte de « gymnopédie apocryphe » !

Bertrand Chamayou, qui reconnaît n'avoir « longtemps pas su quoi penser de la musique d'Erik Satie », et ne l'avoir jouée en public que tout récemment, la fait sienne d'emblée. La manière est des plus naturelles, se pliant aux indications aussi sourcilleuses que parfois ésotériques du maître. De Cage, il fait tout aussi bien ressortir un langage aux tonalités aussi étranges que minimalistes. Un autre intérêt pour ce projet a été de réaliser l'enregistrement dans un lieu tout particulier, le Studio Miraval en Provence, créé dans les années 1970 par le pianiste de jazz Jacques Loussier. Comme pour un précédent album, ''Good Night !'', la prise de son a été étudiée pour s'adapter aux caractéristiques de la musique, singulièrement celle de Satie « qui ne demandait pas d'amplitude dynamique à la manière de Liszt ou de Chopin ». D'où une acoustique intimiste qui place le Steinway très proche et le dote en particulier de graves chaleureux. Musique et technologie sonore se rejoignent.
Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • ''Letter(s) to Erik Satie''
  • Erik Satie : 3 Gymnopédies. 7 Gnossiennes. Véritables préludes flasques (pour un chien). Nocturne N°2. Sarabande N°3. ''Le Bain de mer'', ''La Balançoire'' & ''Le Tango perpétuel'' (extr. de Sports et Divertissements). Songe-creux. Prélude du Ier acte, La Vocation (de Le Fils des étoiles)
  • John Cage : All sides of the Small Stone, for Erik Satie (attribué à), Prelude et Meditation. A Room. In a Landscape. Swinging. Perpetual Tango. Dream
  • James Tenney : 3 Pages in the Shape of a Pear (in celebration of Erik Satie)
  • Bertrand Chamayou, piano
  • 1 CD Erato : 5054197696442 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 70 min 43 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

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