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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Marie-Nicole Lemieux chante la mélodie française

Personnalité charismatique autant que diseuse accomplie, Marie-Nicole Lemieux aborde les fameux cycles des Nuits d'été et de Shéhérazade, sommets de la mélodie française avec orchestre. Elle y ajoute une rareté, Les Nuits persanes de Saint-Saëns, dont certaines sont écrites pour la voix de contralto.

Il fallait une certaine audace à la contralto canadienne pour se confronter au cycle berliozien Les Nuits d'été, écrit certes pour diverses voix, mais généralement confié au soprano lyrique. Force est de constater que le résultat est à la hauteur de la réputation de la chanteuse qui dompte avec aisance un organe imposant, désormais de plus en plus voué à l'opéra. La diction parfaite, toujours d'une extrême clarté, rencontre le soin porté au texte comme le vrai raffinement du dire. Et surtout une sûre adhésion à la poétique subtile de Théophile Gautier. Les six pièces sont toutes nimbées d'un certain voile de mélancolie. Que n'offre pourtant pas trop le caractère enjoué de la première ''Villanelle'' et de la dernière ''L'île inconnue''. Les contours délicats de la mélodie ''Le spectre de la rose'', morceau d'une infinie douceur, sont ici dessinés avec goût, murmurés du tréfonds et avec délicatesse, rendant pleine justice à ses lignes mélodiques soutenues, voire étincelantes (« Ce léger parfum est mon âme »), ou d'une couleur mordorée (« Ci-gît une rose Que tous les rois vont jalouser »). La large voix de la chanteuse se confronte volontiers aux écarts dynamiques de ''Sur les lagunes'' avec de belles incursions dans le grave sur les mots 'deuil' et 'linceul'. Ce lamento bercé par un ostinato rythmique prend une dimension singulière, distillé dans cette tessiture soutenue, renforçant le poids d'une douleur qu'on perçoit obsédante. Le quatrain « Reviens, reviens, ma bien-aimée ! » de ''Absence'', et l'atmosphère fantomatique, presque claustrophobe de ''Au cimetière'' poursuivent le sentiment de solitude qui traverse aussi tout le cycle. Inévitablement comparée à quelques illustres prédécesseures (Régine Crespin, Janet Baker), on saluera l'investissement de tous les instants et un indéniable goût, rehaussés par la direction attentive de Kazuki Yamada.

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Pareilles impressions se dégagent de l'interprétation de Shéhérazade, où le sens du récit est magistral. ''Asie'' capte les divers climats associés aux étapes successives d'un périple aussi étrange qu'onirique, grand récit aux multiples facettes puisé par Ravel chez Tristan Klingsor. La fluidité expressive est là encore non pareille, même si à l'occasion la voix est taxée par quelques aigus tendus. Le mystère et la sensualité de ''La Flûte enchantée'', combien transfigurés par la magie de l'orchestration ravélienne, sont là sans phare. Enfin ''L'indifférent'' transporte dans un univers où tout est beauté, calme et volupté, depuis les premiers mots « Tes yeux sont doux comme ceux d'une fille, jeune étranger ». Partout le naturel de l'élocution rencontre un vrai souci de simplicité, dans l'écrin orchestral somptueux et transparent que confectionne le chef Kazuki Yamada.

La principale découverte du CD reste cependant les Mélodies Persanes op.26 de Saint-Saëns. Composé en 1870, donc chronologiquement entre les cycles de Berlioz et de Ravel, ce corpus emprunte aux poèmes ''Nuits Persanes'' (1867) d'Armand Renaud, poète parnassien. Dans ce recueil, le musicien a choisi six poèmes dont il enrichit la relative pauvreté littéraire par une musique au débit rapide apte à capter leur cachet orientaliste, thème alors en vogue. Conçues à l'origine pour voix et piano, les mélodies ont été réutilisées ensuite par Saint-Saëns dans son ode-symphonie titrée Nuit Persane. Est donnée ici une édition inédite due au Palazzetto Bru Zane, reprenant aussi les deux passages instrumentaux ajoutés dans la version orchestrale. Après un bref Prélude évocateur dans son balancement rythmique, ''La brise'' s'affiche sensuelle et ''La splendeur du vide'' offre un caractère mystérieux, tandis que ''Le solitaire'' apporte un contraste enjoué, presque ardent par son ostinato orchestral, la voix alors logée dans le grave. Les deux mélodies suivantes, séparées par un Interlude, concentrent le caractère tragique du cycle. L'atmosphère belliqueuse de ''Sabre en main'' est un hommage au jeune peintre Henri Regnault, récemment disparu, de son allure martiale. ''Au cimetière'' trace l'opposition entre mort et passion amoureuse par un mélodisme confident quant à l'évocation de l'ami défunt. ''Tournoiement'', sur un rythme de perpetuum mobile, conclut le cycle dans une sorte de fulgurance. Marie-Nicole Lemieux apporte à ces pièces ici aussi tous ses talents de diseuse, plus à l'aise encore que dans les deux autres cycles, car le registre grave y est plus sollicité. Kazuki Yamada et ses forces monégasques les parent d'envoûtantes sonorités, parfaitement captées comme il en est des deux autres cycles, par la prise de son soignée à l'Auditorium Rainier III de Monaco.
Texte de Jean-Pierre Robert

Plus d’infos

  • Hector Berlioz : Les Nuits d'été op.7
  • Camille Saint-Saëns : Mélodies Persanes op.76 (édition du Palazzetto Bru Zane)
  • Maurice Ravel : Shéhérazade
  • Marie-Nicole Lemieux, contralto
  • Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, dir. Kazuki Yamada
  • 1 CD Erato : 5054197659409 ( Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 70 min 54 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5)

CD disponible sur Amazon



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Maurice Ravel, Hector Berlioz, Camille Saint-Saëns, Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Marie-Nicole Lemieux, Kazuki Yamada

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