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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Piano et nature

Empruntant le titre d'un cycle pianistique de Bartók, Zlata Chochieva a imaginé le programme de ce disque sous le motto musique et nature. Associant Schumann, Ravel et le moins connu Felix Draeseke, elle compose une mosaïque de paysages, parfois intérieurs, naviguant dans une large diversité de climats et de sentiments exprimés à travers le rapport à la nature.

« Je veux pouvoir raconter une histoire, proposer toute une palette d'émotions, ouvrir différentes perspectives », explique-t-elle. Comment mieux débuter ce cheminement que par les Waldszenen, Scènes de la forêt, op.82 de Schumann. Dans cette série de 9 pièces, conçue dans une construction en arche dont la cinquième est le centre, le musicien dépeint des atmosphères contrastées. Moins connu que ceux du Carnaval ou des Kreisleriana par exemple, ce cycle offre « une facette mystique ou fantastique de la nature » (ibid.) On a parlé à leur propos de « chants sans parole » (Brigitte François-Sappey), tant le substrat littéraire y est présent. On y trouve le fruit des réflexions du promeneur solitaire, Schumann lui-même sans doute, épris de mystère, pétri d'angoisse (''Verrufene Stelle''/Lieu maudit), sa perception de la nature presque naïve (''Einsame Blumen''/Fleurs solitaires), son insouciance (''Jagdlied''/Chanson de chasse), et surtout son amour inconditionnel de la nature (''Freundliche Landschaft''/Paysage amical'', ''Vogel als Prophet''/L'Oiseau-prophète).  

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Associer Ravel à Schumann, dans le cadre de la présente démarche, ne relève pas de l'évidence. Pourtant la pianiste russe avance que les Scènes de la forêt ont pu être un modèle pour Ravel. Encore que celui-ci s'intéresse moins à la réalité qu'à sa figuration. Ainsi dans Miroirs propose-t-il des évocations de paysages et des descriptions au second degré du monde vivant. Des premiers, ''Une barque sur l'océan'' et ses fabuleux arpèges comme ses généreuses inflexions font penser autant au balancement d'un esquif qu'à une mer tour à tour ondulante et déferlante. ''La vallée des cloches'', de sa longue phrase continue, emporte avec elle ses secrets. Au titre des évocations stylisées d'êtres vivants, ''Alborada del gracioso'' suggère la sérénade d'un bouffon dans une Espagne fantasmée mais plus vraie que nature. Tandis qu' ''Oiseaux tristes'', son étonnant statisme, et ''Noctuelles'', autre gros oiseau de nuit, énigmatique et déroutante première pièce du cycle, déploient une impression d'espace, et là encore leur cortège de visions magiques. 

Les associations réelles ou supposées entre compositeurs ont poussé Zlata Chochieva à inclure deux pièces de Liszt, extraites des Études d'exécution transcendante : ''Feux follets'' et ''Chasse-neige'', qui au-delà de leur intitulé, dépassent leur lot de pyrotechnie digitale. Ajoutant une touche de rareté, elle joue la Petite histoire de Felix Draeseke (1835-1913), compositeur allemand admirateur de Wagner et de Liszt précisément. Ladite histoire est déclinée en trois épisodes, à l'aune d'un romantisme pur jus, même si le lien avec le thème de la nature paraît quelque peu ténu.

Mais ''Klänge der Nacht'' (Bruits de la nuit), 4ème et dernière pièce du cycle Im Freien de Béla Bartók, par laquelle se termine le programme, nous replonge dans la magie vespérale qu'avait introduite la première des Scènes de la forêt schumanniennes : magie de visions emplies de mystère, comme habitées d'êtres irréels ou bien vivants, croassements de grenouilles, cris d'oiseaux et toutes sortes de bruits aussi curieux que familiers. La boucle est bouclée. Dommage que la pianiste ne donne pas l'ensemble des quatre pièces. Alors que la paraphrase, par un certain Adolf Schulz-Evler (1852-1905), sur la valse du Beau Danube bleu de Johann Strauss, semble presque anecdotique en pareil voisinage, malgré son indéniable allant.

Zlata Chiochieva défend tous ces morceaux avec maestria. Le toucher se fait ferme, voire plein d'ardeur (Alborada, Chasse-neige) ou aérien (Oiseaux tristes). La palette est généreuse et on la sent à l'aise dans tous ces idiomes si différents. Le piano Bechstein, saisi de près, possède une belle présence.
Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • ''Im Freien'' (En plein air)
  • Robert Schumann : Waldszenen op.82
  • Maurice Ravel : Miroirs
  • Franz Liszt : Études d'exécution transcendante (deux extraits)
  • Felix Draeseke : Petite histoire op.9
  • Adolf Schulz-Evler : Arabesken über ''An der schönen blauen Donau''
  • Béla Bartók : ''Klänge der Nacht'' (extrait de Im Freien)
  • Zlata Chochieva, piano
  • 2 CDs Naïve : V 7959 (Distribution : Believe Digital)
  • Durée des CDs : 89 min
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5) 

CD disponible sur Amazon

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