CD : intégrale des sonates pour piano et violon de Mozart

Si les sonates pour violon et piano de Mozart restent moins célébrées au disque et au concert que, par exemple, les concertos pour piano ou les sonates pour clavier, elles n'en constituent pas moins un corpus qui mérite une attention particulière. La présente intégrale signée Renaud Capuçon et Kit Armstrong offre un considérable achèvement, qui s'inscrit dans la lignée d'illustres prédécesseures comme celles de Clara Haskil-Arthur Grumiaux ou d'Ingrid Haebler-Henryk Szeryng. C'est dire ses éminentes qualités.

Le projet de jouer l'ensemble des Sonates pour piano et violon de Mozart remonte à la Semaine Mozart de Salzbourg de janvier 2016, lorsque Renaud Capuçon en projeta l'exécution avec Menahem Pressler. L'indisposition de ce dernier conduira le violoniste français à se tourner vers un jeune pianiste d'origine américaine, naturalisé anglais, Kit Armstrong, protégé d'Alfred Brendel, déjà auréolé de gloire. À en juger par les reports de l'époque, la paire fonctionna à la perfection. Il était dans l'ordre des choses qu'un enregistrement s'en suive. Il s'inscrit, quelques années après, dans le vaste projet mozartien de Capuçon dans le cadre de son nouveau contrat avec le label DG. Les sessions ont eu lieu à Berlin, en un temps record (octobre 2022).

Ce qu'il est convenu d'appeler communément les sonates pour piano et violon ne sont pas de sonates pour violon au sens strict du terme. D'abord intitulées « Duetti pour piano et violon », selon les mots de Mozart lui-même, ou sonates pour piano avec accompagnement de violon, il est clair que c'est le clavier qui mène le jeu, l'instrument chéri du compositeur, l'âme de musicien. Au point que l'anecdote révèle qu'il pouvait, à l'occasion, comme c'est le cas de la Sonate K 434, composer la partie de violon, pour une célèbre artiste de l'époque, et ''improviser'' sur le moment du concert celle de piano, pour ne coucher qu'après coup cette dernière sur le papier ! Quelle que soit l'époque de composition, pendant les dix années durant lesquelles Mozart écrira ces œuvres, entre 1778 et 1788, la hiérarchie entre les deux partenaires variera peu, le piano restant la voix privilégiée. Encore que le dialogue entre les deux préserve mieux la place du violon au fur et à mesure des nouvelles compositions. Parmi les 16 écrites, on trouve deux séries. Dans le groupe des Six sonates dites ''Palatine'' K 301 - 306, en deux mouvements - sauf la dernière, composées à Mannheim et à Paris, lors du second séjour de Mozart - le violon se voit déjà offrir un rôle non négligeable. Ainsi dans la Sonate K 304, le chant de celui-ci est-il enchâssé dans un discours presque opératique où il assure le rôle du chanteur tandis que le piano se fait solide accompagnateur. La dernière, la Sonate K 306, très rythmique dans ses mouvements extrêmes, offre au violon des traits vifs et répétitifs (Allegro con spirito) et une jolie mélodie non dénuée de profondeur à l'Andantino cantabile. Les 5 Sonates viennoises K 376 – K 380 (1781), marquent une affirmation du style, même si le désir de plaire au public viennois incite à la prudence, et une originalité dans le dialogue entre les deux instruments. On y trouve aussi quelque assaut de dramatisme, comme au finale de la Sonate K 376, à l'Andante de la Sonate K 377 où le violon s'empare de la mélodie installée par le piano, ou encore dans le mouvement initial de la Sonate K 379, frôlant le pathétique dans ses premières mesures Adagio. Voire l'affirmation d'une lutte mêlée à de l'agitation au début de la Sonate K 380.

Renaud Capuçon & Kit Armstrong ©DR 

Des quatre dernières œuvres, écrites entre 1785 et 1788, se détache la Sonate K 434, pour la virtuose Regina Strinasacchi. Contemporaine du 17ème Concerto de piano, elle livre un « dialogue entre fierté et tendresse », selon les Massin, au Largo introductif, se muant Allegro « dans l’entrain d'un bonheur qui ne connaît pas encore de conflit grave ». À l'Andante, le rôle très expressif du violon, extrêmement flatteur pour la dédicataire, est nanti de quelque assombrissement au développement, qui vire même au pathétique. Si la Sonate K 481 est une « œuvre d'affirmation virile » (ibid), la suivante, la Sonate K 526, tout juste avant Don Giovanni, est sans doute la plus belle de toutes. Mozart atteint ici le summum, notamment à l'Andante médian, « un chant suprême à la fois de joie et de douleur », traduisant « une sensation presque physique de la bonté » (ibid.), nul doute dans la mélopée du violon. On ajoutera : une impression de paix intérieure que communiquent les deux présents interprètes. Curieusement, Mozart termine cette production par une œuvre de bien moindre envergure. Car la Sonate K 547, ''Petite sonate de piano pour les débutants avec un violon'', selon le manuscrit, reste, comme la Sonate pour piano K 545, de l'ordre de la production ''alimentaire''. À moins que l'auteur ait voulu retourner au point de départ : un mélodisme simplissime, la modestie du geste au niveau des variations.

C'est peu dire que la présente exécution captive de bout en bout. D'abord par une rare union des deux voix, témoin d'une vraie complicité musicale, dans une musique qui n'a nul besoin d'être surjouée. Et le naturel de la démarche, combinant vivacité et bonne humeur, douceur et tendresse non sollicitée, cet « épanchement du cœur » dont parlent les Massin, à propos de la Sonate K 378. Alors que le violoniste ne tarit pas d'éloges sur la maîtrise technique de son aîné, ce dernier n'hésite pas à dire de son partenaire « il a un don à l'état pur », loin « de ces enfants prodiges un peu agités, un peu borderline... il est extrêmement posé ». De fait, chambriste né, Kit Armstrong séduit d'emblée par la délicatesse du toucher, d'une parfaite fluidité, jamais appuyé, encore moins pesante ou marquée d’afféterie. Comme par la fraîcheur de la sonorité, le sens de la respiration, la finesse des inflexions, le galbe du phrasé. Surtout, il émane de son jeu une autorité naturelle. Une intelligence vraie du texte, lui qui souligne dans un avant-propos désarmant de modestie : « nous assumons les caractères divers des œuvres sans chercher à en alléger l'expression, ni à simplifier ce qui est équivoque... Nous nous sommes abstenus d'appliquer notre savoir-faire dans l'art de sublimer des ingrédients ordinaires, car nous avions le sentiment d'être ici en présence d'ingrédients extraordinaires ». Pas de recherche historiciste, donc, mais le bénéfice de tous les avantages qu'offrent les instruments modernes. Encore que le pianiste ait choisi de jouer non un Steinway, mais un Bechstein, au son bien plus feutré.

De l'art de Renaud Capuçon, à ce stade de sa prestigieuse carrière, au large appétit, mais frappée au coin de la générosité, notamment envers la jeune génération de musiciens, on saluera là aussi le sens du partage. Son appétence pour la musique de Mozart n'est pas nouvelle. Comme on le ressentait déjà dans l'exécution des Quintettes à cordes, naguère captés live à la Mozartwoche 2014 de Salzbourg (DVD, label Belvedere 8513146). La rondeur du son (K 302/1, K 377/2) et la beauté de la ligne (K 481/2) n'ont d'égales que le fabuleux nuancier de couleurs : douceur du cantabile (K 378/2), profondeur du discours (K 454/2), voire rudesse à l'occasion (K 379/2). Là aussi, tout comme son compagnon pianiste, le français ne cherche nullement la lumière. Plutôt le vrai de l'échange, maintenu durant ces 4 heures 50 de musique !    

Les captations au Teldex Studio Berlin offrent une balance piano-violon proche de l'idéal, le premier entourant le second placé au centre de l'image sonore. L'acoustique combine immédiateté des voix et juste aération d'ensemble.
Texte de Jean-Pierre Robert   

Plus d’infos

• Wolfgang Amadeus Mozart : 16 Sonates pour violon et piano K 296, K 301-306, K 376-380, K 454, K 481, K 526, K 547
• 12 Variations sur ''La bergère Célimène'' K 359; 6 Variations sur ''Hélas ! J'ai perdu mon amant'', K 360
• Renaud Capuçon (violon), Kit Armstrong (piano)
• 4 CDs Deutsche Grammophon : 486 44 63 6 (Distribution : Universal Music)
• Durée des CDs : 77 min 20 s + 78 min 52 s + 76 min 04 s + 65 min 39 s
• Note technique :  (5/5) 

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