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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : William Christie dirige l'Allegro, il Penseroso ed il Moderato de Haendel

Handel Les Arts Florissants

Avec ce nouvel album, William Christie se tourne vers une œuvre rare de Haendel, peignant les figures allégoriques que sont la gaieté, la mélancolie et la modération. À la tête de ses Arts Florissants et de chanteurs du Jardin des voix, il nous en livre les trésors cachés. 

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L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato est sans doute l'œuvre vocale la plus atypique de Haendel. Loin du carcan de l'opéra, elle est à mi-chemin entre l'oratorio et l'ode pastorale. Composée en 1740, peu après Israel en Egypte et l'Ode à sainte Cécile, sa première vertu est de s'adosser à un texte porteur, magnifiant les superbes vers de John Milton et sa poétique de la nature. La trame se situe au niveau de la parabole, comme dans un précédent oratorio Il trionfo del Tempo e del Disinganno (1708). Il y est question de personnages allégoriques : l'Homme épris de gaieté et l'Homme que berce la Mélancolie se livrent à une joute aussi rigoureuse que cordiale, non sans humour. Entre d'une part, les bienfaits de la joie, des péripéties de la vie, associées aux bruits des hommes et à leurs excès de folie et de trivialité, et de l'autre, les félicités de la contemplation, de la sérénité et du silence, des plaisirs de la nature, de la nuit et de ses mystères, de la philosophie des choses en somme. Ils seront réconciliés par il Moderato, la Modération, préconisant la mesure, la douce tempérance. Cet éloge de la frugalité conduit les deux protagonistes, en un magnifique duo, à se ranger sous la bannière de la raison. C'est alors qu'est tirée la morale de la parabole : en toutes choses la modération ne vient-elle pas avec l'âge, l'expérience surtout. 

Pour ce qui est une vraie peinture de caractères, Haendel a conçu une musique apte à traduire les deux tempéraments, ces deux pôles de l'esprit humain. Par des sonorités soit séraphiques soit éclatantes, et opposant ambiance chambriste et tutti d'orchestre généreux, vivacité et langueur, climats agités et atmosphère pastorale. L'instrumentation est on ne saurait plus originale, dans l'usage du carillon par exemple. La partition est truffée de solos instrumentaux, de flûte, violon, violoncelle, cor, trompette et même d'orgue. Toujours soucieux d'expérimenter des formes nouvelles, le chant use de la scène récitative qui se clôt par un air da capo ou un bref arioso. Autre procédé original, celui de l'union soliste-chœur dans une même scène, l'aria solo étant reprise par le chœur à l'identique. Celui-ci se voit au demeurant doté de caractéristiques singulières, souvent proches de l'opéra bouffe, conférant alors à la pièce une manière en un magnifique duo s'assimilant au tableau de genre.

Particulièrement inspiré par cette œuvre parabole, William Christie semble se délecter de nous faire déguster ces pages d'une incroyable diversité, si différentes des autres oratorios haendéliens. Et surtout si constamment inventives. Il a recours à une formation d'une trentaine de musiciens. Le souci d'opposition entre les deux personnages d'Allegro et d'il Penseroso conduit à un éblouissant nuancier dynamique, que ce soit dans le continuo ou le ripieno d'orchestre notamment quant au traitement des cordes, mais aussi des bois dont les sonorités sont souvent arcadiennes. Ainsi du concerto de flûte imitant les chants d'oiseau dans l'air de la soprano ''Sweet bird''/ Douce oiselle, laquelle va roucouler avec la voix jusqu'à se mesurer à elle. Du solo de trompette vaillante pour l'air de ténor ''These delights if thou canst give''/Ces ravissements, si tu peux nous les procurer. Celui de cor répond brillamment aux onomatopées de la voix de basse dans l'aria d'Allegro ''Mirth, admit me of thy crew !''/Gaieté, admets-moi en ton sein ! La patine comme le raffinement des instruments des Arts Florissants sont ici à leur meilleur. « Ne jouez pas uniquement les notes, peignez chaque mot », aime à dire le maître, pour encourager son orchestre à rendre son jeu plus éloquent, souligne Emmanuel Resche, Ier violon. Toute aussi exigeante est la priorité quant au soin à apporter à la diction du chœur. 

Côté solistes, le soin est tout aussi évident. Si le personnage d'Allegro est distribué soit à un ténor soit à un garçon soprano, ce qui lui confère une aura singulière, celui de Il Penseroso l'est à une soprano, tandis que celui d'Il Moderato est logé dans le registre plus grave du baryton basse. Une répartition significative là encore de la volonté de Haendel de recherche de couleurs particulières pour peindre ces trois figures allégoriques. Les présents solistes sont issus du Jardin des voix, cette magnifique école de chant créée par Christie et désormais chapeautée par Paul Agnew. De son timbre angélique, la soprano Rachel Redmond dispense une émotion contenue. Et vocalise de la plus éthérée manière, comme dans l'aria précitée adornée de flûte, ou accompagnée de violoncelle dans ''But oh, sad virgin''/Mais ô, solennelle vierge. Le ténor James Way, tout aussi agile dans les vocalises, se signale par la douceur de ses intonations revendiquant le plaisir, ou au contraire celles plus déclamatoires du personnage tenant des bienfaits de la vie trépidante (aria ''Let me wander'' /Laisse-moi divaguer). Par des couleurs diaphanes, la basse Sreten Manojlovic épouse parfaitement le personnage d'Il Moderato, que Haendel a conçu plus distancié dans la troisième partie de l’œuvre, à l'image de l'avènement de la sagesse. Quant au jeune Leo Jamison, membre du Trinity Boys Choir, de son timbre aigu et lisse typiquement anglais, il complémente aisément cette distribution de choix. 

Pour l'enregistrement à la Philharmonie de Paris, a été privilégiée une ambiance intimiste, en accord avec la tonalité de l’œuvre et de son interprétation.
Texte de Jean-Pierre Robert

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Plus d’infos

  • George Frideric Handel : L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato, oratorio en trois parties HWV 55. Livret adapté de John Milton par Charles Jennens
  • Rachel Redmond (soprano), Leo Jemison (garçon soprano), James Way (ténor), Sreten Manojlovic (baryton-basse)
  • Chœur des Arts Florissants
  • Orchestre des Arts Florissants, dir. William Christie
  • 2 CDs Harmonia Mundi : HAF 8905 359.60 (Distribution : [PIAS])
  • Durée des CDs : 46 min 23 s + 55 min 38 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5)

CD disponible sur Amazon



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