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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : La veine ibérique de Ravel : L'Heure espagnole et le Bolero

Ravel LesSiecles

Pour le cinquième opus de son intégrale Ravel, François-Xavier Roth a choisi d'appairer l'opéra L'Heure espagnole et le Bolero, deux partitions de cette veine ibérique si chère à l'auteur. L'exécution sur instruments d'époque en révèle une saveur particulière, ce qu'une brochette de chanteurs français talentueux achève, dans l'opéra, de mener à la réussite.

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Achevée en 1907, mais créée en 1911, L'Heure espagnole emprunte sa verve expressionniste à Franc-Nohain, un de tenants du cénacle des « Amorphes », où l'on trouve encore Allais, Mirbeau et Jarry. Avec ce texte, pour sa première incursion dans le genre de de l'opéra, Ravel part à l'assaut du symbolisme ambiant. Et fait « tout le contraire de Pelléas et Mélisande », remarque François-Xavier Roth. Boccace, plutôt que Maeterlinck ! La trame est on ne peut plus simple : une jeune femme coquette, Concepción, cherche aventure chez tout autre que son époux, Torquemada l'horloger de Tolède. Durant une journée particulière où, une fois le mari expédié à ses travaux de réglage des horloges municipales, il s'agit de profiter des bienfaits de l'amour libre. Se succèdent un jeune benêt poète, Gonzalve, un édile financier d'âge mûr mais toujours entreprenant, Don Iñigo Gomez et enfin un muletier, Ramiro, venu ce jour-là faire réparer sa montre, beau gaillard, un peu balourd quoique fin raisonneur. C'est bien sûr lui qui finalement va s'acquérir les faveurs de la dame, après un délicieux chassé-croisé d'enlèvement d'horloges catalanes depuis la boutique jusqu'à la chambre de Concepción ! Façon vaudeville, les cinq protagonistes tireront la morale d'une bien caustique pochade. Sur des dialogues très serrés et une succession de quelque 21 brèves scènes, Ravel campe ses personnages en usant de la conversation en musique, se moquant au passage du conventionnel d'opéra. Le chant prend la forme d'un quasi-parlando, où selon l'auteur, on doit « dire plutôt que chanter ». Quoique tout soit savamment écrit tout de même. Bien loin du Sprechgesang d'un Schoenberg. C'est l'orchestre qui dessine les cinq personnages dans « une sorte de marqueterie musicale », d'une ingéniosité instrumentale inouïe, pour recréer une ambiance espagnole plus vraie que nature.  

Rien d'étonnant à ce que le chef emporte la palme. François-Xavier Roth fait siens cette tonalité ibérique, ces rythmes suggestifs de valse et autre habanera, ces généreux contrastes dynamiques dans les tutti d'orchestre. Et surtout les nombreux passages chambristes dont regorge cette savoureuse histoire. Où l'orchestre, voulu par ailleurs pléthorique, sait se réduire à la quintessence d'une poignée d'instruments : le cocasse basson, le cor et ses glissandos sarcastiques et toute une panoplie de percussions plus moqueuses les unes que les autres. Il faut dire qu'avec les musiciens des Siècles jouant sur instruments d'époque, la sonorité acquiert une saveur toute particulière.

L'interprétation vocale offre ceci d'idéal que les cinq personnages sont confiés à des chanteurs français ; tout comme dans la version de référence naguère signée par Lorin Maazel (DG, réédition). La diction, calquée sur le langage parlé, est extrêmement soignée et l'approche d'un parfait naturel. Celui de Concepción est portraituré avec piquant par Isabelle Druet dont les sous-entendus grivois font mouche, malicieuse sans appuyer le trait. Et le timbre clair de mezzo-soprano apporte à son chant une tournure rien moins que glorieuse. La sortie coléreuse ''Oh l'impitoyable aventure'' possède le ton vrai, celui de la femme aux prises avec deux prétendants bien ridicules, qui saura trouver la solution dans la nouveauté. Et gagner son « unique jour de vacances », par effet d'aubaine. Ses amoureux transis sont de la même eau, pour entrer dans l'univers subtil de Ravel. Julien Behr, Gonzalve, est précieux mais sans excès, usant d'un ténor lyrique joliment haut perché pour poétiser. Jean Teitgen, Don Iňigo Gomez, évite la parodie du vieil amant et trousse son chant de moult incursions dans le haut du registre de la basse. Surtout Thomas Dolié prête au muletier de la fable une simple désinvolture et un chant fort assuré dans cette partie confiée au baryton Martin, tout comme le rôle de Pelléas chez Debussy. Le monologue ''Voici ce que j'appelle une femme charmante'', l'air de ne pas y toucher, est d'une douce ironie. Enfin le Torquemada de Loïc Félix, joli ténor de composition, pour camper le mari trompé mais opportuniste et fier en affaires, complète le cast avec goût et esprit.

L'exécution du Bolero est tout aussi révélatrice car là encore la patine des instruments d'époque apporte une tout autre saveur. Roth indique avoir eu recours à une nouvelle édition critique qui, par exemple, délaisse la caisse claire habituellement utilisée, au profit du tambour, ainsi que voulu à l'origine par Ravel. Et nous rend castagnettes et petits trombones. Aussi cette sorte d'« immobilité répétitive », ces harmonies si osées trouvent-elles là un souffle nouveau, au demeurant plus hédoniste qu'enivrant au tempo soutenu adopté par le chef, ajouté à la qualité plastique instrumentale. L'effet d'empilement de différentes strates sonores possède une légèreté retrouvée, loin de l'effet de masse et de transe si souvent recherché.

La prise de son au Studio RIFFX 1 de la Seine Musicale propose pour l'opéra une discrète mais efficace mise en espace et ménage un équilibre parfait voix-orchestre. Elle apporte au Bolero une totale lisibilité jusqu'au crescendo incandescent final.
Texte de Jean-Pierre Robert 

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Plus d’infos

  • Maurice Ravel : L'Heure espagnole. Opéra en un acte. Livret de Franc-Nohain
  • Isabelle Druet (Concepción), Thomas Dolié (Ramiro), Loïc Félix (Torquemada), Julien Behr (Gonzalve), Jean Teitgen (Don Iñigo Gomez)
  • Bolero, Ballet
  • Mathieu Pordoy, chef de chant
  • Les Siècles, dir. François-Xavier Roth
  • 1 CD Harmonia Mundi : HMM 905361 (Distribution : [PIAS])
  • Durée du CD : 64 min 36 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

CD disponible sur Amazon



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