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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Polydore, tragédie lyrique oubliée de Jean-Baptiste Stuck

Stuck Polydore

On doit aux efforts conjugués du CMBV et du Haydneum de Budapest la résurrection de la tragédie lyrique Polydore de Jean-Baptiste Stuck, musicien de la Régence. Spécialiste et amoureux de la musique du Grand Siècle, György Vashegyi offre une interprétation d'une haute tenue, à laquelle la distribution réunie de fins connaisseurs achève de rendre tout son prestige.

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Qui est Jean-Baptiste Stuck (1680-1755) ? Un violoncelliste et compositeur actif au temps de la Régence, auteur de nombreuses cantates et de quelques opéras. Né à Livorno, il viendra très tôt à Paris et sera naturalisé français en 1733. Sa musique a toujours cherché à unir les styles italien et français. Héritée de Lully, elle annonce Rameau. Aussi fait-il partie avec quelques autres comme Clérambault, Destouches et Campra, du maillon entre ces deux piliers du Grand Siècle. La tragédie en musique Polydore a été créée en 1720 à l'Académie royale de Musique. Reprise en 1739, l’œuvre sombrera ensuite dans l'oubli. C'est dire l'intérêt de la présente parution, fruit d'une édition critique du CMBV et du travail des forces réunies à Budapest au Centre hongrois pour la musique baroque par György Vashegyi à qui l'on doit tant de magistrales exécutions de chefs-d’œuvre français, comme récemment Les Fêtes d'Hébé de Rameau.

Tirée de l'Énéide, et calquée sur une tragédie parlée, en l'occurrence celle que le librettiste Pellegrin avait écrite en 1705, l’œuvre met aux prises Thrace et Grèce. « Un drame noir et profondément humain, caractéristique de l'époque de la Régence », remarque Benoît Dratwicki. Le ressort est basé sur une tromperie d'identité : le thrace Polydore, qui aime la grecque Déidamie, est longtemps pris pour un autre, Diéphile, le propre fils du roi de Thrace. Pour sceller l'union entre peuples thrace et grec, le roi Polymestor doit livrer aux grecs Polydore, le frère de son épouse Ilione, pour être sacrifié. Et ce en échange de la main de la princesse grecque Déidamie offerte à Déiphile, fils de Polymestor. Mais Polydore ne mourra pas. Car lui et Déiphile ont été échangés l'un et l'autre dans leur jeunesse. C'est donc son propre fils que Polymestor s'apprête à livrer. La substitution ne sera révélée qu'au IVème acte, suite à un tremblement de terre. Partagée entre devoir de fidélité à sa patrie grecque, et amour pour un ennemi, Déidamie choisira le second parti. Le roi Polymestor se suicidera devant la tromperie faite à son insu. Sur cette trame quelque peu complexe, défendue au long de cinq actes, Stuck a écrit une musique étonnamment aisée. Elle révèle la finesse de l'orchestration, notamment dans les pages symphoniques (Ritournelle introduisant l'acte II, musique du tremblement de terre au IIIème) et les diverses danses qui, dans leurs enchaînements, ne sont pas sans rappeler la manière de Lully. L'écriture pour les bois y est particulièrement soignée. Quant au chant, soucieux de la rigueur de la prosodie de l'époque, il est constitué de récits et d'airs souvent enchaînés, se concluant parfois en un bref duo. Il est surtout le lieu où l'on perçoit les innombrables singularités du langage de Stuck visant à associer tournures italienne et française.

L'interprétation doit beaucoup au chef György Vashegyi qui, une nouvelle fois, défend le patrimoine français avec infiniment de goût. L'empathie pour ce vocabulaire si spécifique, on la perçoit singulièrement quant à la rigueur des accents et au raffinement instrumental : douceur des cordes, brillant des bois (bassons ronflants, flûtes roucoulantes, hautbois piquants) et originalité des percussions, dont le fameux tambour de basque apportant un supplément d'agilité à des passages comme l'''Air pour les magiciens'' (IV/5). Son Orfeo Orchestra dispense la quintessence des couleurs auxquelles s'adosse une extrême flexibilité du jeu. La distribution réunit des spécialistes incontestés du genre et appaire les types de voix idoines. Tous dispensent une diction d'une grande clarté. Dans le registre des sopranos, Hélène Guilmette offre au personnage hautain d'Ilione une vraie présence de tragédienne. On a plaisir à retrouver cette artiste dont le souci de l'ornementation rejoint la beauté de l'élocution. Chloé Briot, distribuée dans les rôles plus flûtés de Thétis, Théano et surtout d'une Matelote grecque, fait de l'air de ce dernier personnage au IIème acte, avec accompagnement de hautbois, un moment de pure grâce au milieu de ce sombre drame. Judith van Wanroij pare celui de Déidamie d'un timbre radieux. Ses divers airs montrent un authentique talent quant à la défense de l'air français. Ainsi de ''La nuit d'un sombre voile'' (III/1) et ses guirlandes de violon ou de ''Beaux lieux qui me flattiez de l'espoir le plus doux'' (IV/1), enrichi de flûte enchanteresse.

Cyrille Dubois apporte l'éclat de son timbre de ténor et des aigus percutants alors qu'endossant diverses incarnations de types différents. La basse claire de Thomas Dolié apporte au personnage du roi Polymestor noblesse de ton et vocalité maîtrisée. Tassis Christoyannis ajoute avec le rôle de Polydore une nouvelle réussite dans un parcours déjà glorieux, tant dans le domaine de la mélodie qu'à l'opéra. Un timbre généreux, un extrême relief de la déclamation, une douceur dans le chant confèrent à cette incarnation une aura d'exception. Un seul exemple : l'air du IIème acte ''Du plus charmant espoir je goûte la douceur'', modèle d'émotion, de bonheur tout en retenue, de chant immaculé. La prestation du Purcell Choir, dans les différentes figurations requises par le drame, se signale lui aussi par la pureté de sa diction française.

L'enregistrement dans la Salle de concert Béla Bartók du Müpa de Budapest complète la réussite. Les ingénieurs du son hongrois ont saisi une ambiance sonore d'une parfaite immédiateté quant à l'équilibre voix-orchestre, celles-ci non proéminentes.
Texte de Jean-Pierre Robert  

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Plus d’infos

  • Jean-Baptiste Stuck : Polydore, tragédie lyrique en un prologue et cinq actes. Livret de Simon-Joseph Pellegrin
  • Judith van Wanroij (Déidamie/Vénus), Hélène Guilmette (Ilione), Tassis Christoyannis (Polydore), Thomas Dolié (Polymestor), Cyrille Dubois (Un Triton/Timanthe/Sthénélus/Un Thrace/Un Grec), David Witczak (Neptune/ le Grand Prêtre de l'Hymen/l'Ombre de Déiphile), Chloé Briot (Thétis, une Matelote, Théano)
  • Purcell Choir
  • Orfeo Orchestra, dir. György Vashegyi
  • 3 CDs Glossa : GCD 924014 (Distribution : [Integral])
  • Durée des CDs : 60 min 27 s + 54 min 36 s + 42 min 48 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

CD disponible sur Amazon



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