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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Armin Jordan au Festival de Lucerne

ArminJordan LucerneFestival

Les ''Historic Performances'' du Festival de Lucerne en content l'histoire sonore. Captées par la Radio Suisse, elles présentent des enregistrements de concerts d'artistes de légende qui s'y produisirent. Ces archives de 1988 et de 1994 sont l'occasion d'apprécier l'art du chef suisse Armin Jordan. Dans un programme de musique française, à la tête de l'Orchestre de la Suisse Romande, fondé par Ansermet, il en perpétue la fameuse sonorité.

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Déjà auréolé de gloire par ses fonctions de directeur musical de diverses maisons d'opéras, dont l'Opernhaus de Zürich et l'Opéra de Bâle, comme de formations symphoniques, tels l'Orchestre de chambre de Lausanne ou l'Orchestre de chambre de Paris, Armin Jordan (1932-2006) prend en 1985 les rênes de l'Orchestre de la Suisse Romande, fondé quelques décennies plus tôt par son collègue Ernest Ansermet. Il démontrera rapidement combien il en perpétue l'esthétique. Son expérience du théâtre lyrique, de Wagner en particulier, a contribué à forger un style de direction d'une intensité rayonnante alliée à une précision tout en souplesse. Laissant à ses musiciens une grande latitude pour dessiner des contours chaleureux sans verser dans une accentuation anguleuse. Le panel d’œuvres ici présentées, de Debussy, Roussel et Chausson, le démontre avec évidence, dans des captations de concerts à Lucerne en 1988 et 1994.

Chez Debussy, et singulièrement dans le Prélude à l'après-midi d'un faune, on est frappé par la manière dont il instaure une coloration loin de l'atmosphère languissante souvent privilégiée. Jordan obtient de son flûtiste une sonorité souple dans un tempo  assez libre conférant à cette cantilène un poids singulier. Qui rejoint peut-être la remarque de Jankélévitch « ces roulades captivantes de la flûte sont si chargées de volupté qu'elles en deviennent angoissantes ! ». Ces caractéristiques s'appliquent également à l'interprétation des Six épigraphes antiques, données dans la magistrale orchestration d'Ansermet à partir de l'original pour piano à quatre mains (1914/1915). S'y ajoutent la délicatesse et le sens du climat étrange émanant de ces miniatures si évocatrices (flûte solo de la première pièce ''Pour invoquer Pan, dieu du vent d'été''). On entrevoit aussi la modernité qui triomphait déjà dans Jeux (N°3 ''Pour que la nuit soit propice'').

L'exécution de la Suite N°2 de Bacchus et Ariane d'Albert Roussel est l'occasion de rappeler combien Armin Jordan s'attache à cultiver la transparence de la trame musicale malgré la complexité de l'écriture. La clarté de la structure, que le chef soulignait avoir acquise au contact des chanteurs, se reflète dans la splendeur de cette fresque, vrai festin sonore, à travers la tension dramatique conférée à des moments comme la danse enfiévrée de Bacchus ou la bacchanale effrénée qui conclut l’œuvre de manière exaltante. Ailleurs, on apprécie le sens de l'évocation presque sensuelle, tel le début dans le dialogue alto-bois ou les parfums des diverses danses en l'honneur d'Ariane. La manière dont le chef suisse cisèle les bois de l'OSR est pur bonheur. Et ses cuivres ne sont pas rutilants, mais resplendissants.

Enfin avec le Poème de l'Amour et de la Mer op.19 de Chausson, est à l’œuvre le chef fervent du lyrique, alors même que des influences de maîtres de l'opéra se font sentir, de Wagner notamment. Sur un texte de Maurice Bouchor, ce « drame en raccourci », selon Jean Gallois, appelle des harmonies mouvantes, des rythmes changeants, au fil de ses trois parties. Dans ''La Fleur des eaux'', de son thème nostalgique qui deviendra un motif récurrent, puis ''Le temps des lilas et le temps des roses...'', subtil jeu d'ombre et de lumière, Jordan épouse de très près la ligne de chant, là où souvent la petite harmonie l'accompagne. Un bel exemple de symbolisme en musique. Avec l'Interlude, il déploie tous les sortilèges de l'orchestre de Chausson, une de ses plus belles pages symphoniques, qui préfigure le fameux ''Lever du jour'' du Daphnis et Chloé de Ravel. Enfin ''La Mort et l'Amour'', drame du désenchantement, débuté élégiaque, se meut en drame intérieur. Le chant semble s'apaiser sans pour autant perdre de sa prégnance. De son soprano racé, Dame Felicity Lott, la plus francophile des cantatrices anglaises, alors au faîte d'une prestigieuse carrière, en livre une interprétation immaculée, parée à la fois d'une belle diction et d'une émotion retenue, soutenue par le chef suisse qui lui ménage le plus profond des écrins sonores.

Les transferts apportent un supplément d'aération à des prises de son d'origine de qualité effectuées dans le Kunsthaus de Lucerne, en termes d'atmosphère, de raffinement et d'étagement des plans.
Texte de Jean-Pierre Robert     

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Plus d’infos

  • Claude Debussy : Prélude à l'après-midi d'un faune. Six épigraphes antiques (orchestration : Ernest Ansermet)
  • Albert Roussel : Bacchus et Ariane – Suite N°2
  • Ernest Chausson : Poème de l'amour et de la mer op.19
  • Dame Felicity Lott, soprano
  • Orchestre de la Suisse Romande, dir. Armin Jordan
  • 1 CD Audite / Lucerne Festival Historic Performances : Audite 95. 648 (Distribution : Distrart Distribution)
  • Durée du CD : 74 min 36 s
  • Note technique (réédition) : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

CD disponible sur Amazon



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