CD : Gennady Rozhdestvensky dirige Chostakovitch
Cet album est un trésor tiré des archives de la BBC, restitué par le label anglais ICA pour une première publication en CD. Il présente deux symphonies de Chostakovitch dirigées par Gennady Rozhdestvensky, champion de la musique du compositeur, dont il était très proche. Les Quatrième et Onzième symphonies ont été captées lors de deux concerts donnés respectivement en 1978 à Londres et en 1997 à Manchester avec l'Orchestre de la BBC. De formidables témoignages de l'art du grand chef russe.
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La Symphonie N°4 op.64 en Ut mineur, achevée en 1936, ne sera créée qu'en 1961 à Moscou. Et c'est Rozhdestvensky qui en donnera la première exécution à l'Ouest, l'année suivante, en septembre 1962 au Festival d'Edimbourg, en présence du compositeur. Parmi les nombreuses exécutions à son actif, celle-ci, captée au Royal Albert Hall de Londres durant la saison des Proms' 1978, est d'un intérêt particulier : non seulement par sa prise de son d'un relief remarquable pour l'époque, parfaitement restituée dans cette réédition, mais encore du fait de l'adrénaline du live dans un climat d'écoute fervente du public, comme il en va lors de ces concerts estivaux. Et surtout bien sûr par la qualité de l'exécution du chef et des musiciens de l'Orchestre de la BBC. C'est que la Quatrième Symphonie occupe une place particulière dans la production de Chostakovitch. Sa coupe en trois mouvements laisse deux immenses épisodes contrastés encadrer un scherzo relativement bref. Le chef russe prend le début à bras le corps, d'un geste abrupt. Que contrebalance le second thème de mélodie pensive du basson. L'entier premier mouvement alterne clusters de cuivres et de percussions, combinaisons instrumentales originales et superbe travail sur les cordes dans une course effrénée jusqu'à un gigantesque climax. Quelques passages de solos (cor anglais, alto, basson) conduisent à une péroraison en apparence calme, mais d'une tension sous-jacente. Au scherzo, le chef russe détaille les associations sonores insolites et les changements de tempos tout aussi inattendus. Mais c'est le finale, une des compositions les plus singulières de Chostakovitch, que Rozhdestvensky marque de sa géniale empreinte : marche funèbre d'accents presque malhériens, ici avec une touche d'ironie, puis section Allegro elle-même faite de plusieurs épisodes, motoriste, presque enjoué, façon de polka avec solos de bois naturalistes, valse dégingandée se désagrégeant. Surtout la fabuleuse coda, de sa rythmique nouvelle avec sonneries de cuivres et martellement de timbales, ouvre un geste glorieux. Il sera suivi d'un passage de plus en plus désincarné sur une inquiétante pédale de basses dont se détachent les interjections de flûte, célesta et cor, effet inouï d'une absolue désespérance.
Gennady Rozhdestvensky est peut-être encore plus inspiré dans l'exécution de la Symphonie N°11 op.103 ''L'année 1905'' en Sol mineur, saisie lors d'un concert en 1997 au Bridgewater Hall de Manchester. Cette œuvre terminée en 1957, est une grande fresque programmatique sur les événements tragiques de la Révolution de 1905 : le massacre en janvier à Saint-Pétersbourg des forces populaires par les cosaques du Tsar Nicolas II. Ses quatre épisodes, joués enchaînés, confèrent à l’œuvre davantage un caractère de poème symphonique que de symphonie proprement dite. Qui valut à son auteur le Prix Lénine en 1958. Curieux aller-retour de l'histoire, dès lors que Chostakovitch confiera que cette symphonie pouvait tout autant se rapporter aux événements contemporains, de Hongrie en 1956. Car « il y est question du peuple qui a perdu la foi. Et il y a vraiment eu trop de crimes commis », confiera-t-il. Chaque mouvement porte un titre et respecte un programme de nature descriptive. Le premier, ''La place du palais'', avec son atmosphère d'aube naissante, ses mélodies populaires et ses timbales insistantes laissant pressentir l'imminence du drame, étreint l'auditeur par un sentiment de terreur à peine contenue. Au second, ''Le 9 janvier'', jour de l'assaut, habilement découpé en deux phases, le rassemblement de la foule, d'un faux calme, puis le massacre et son martellement incessant, Rozhdestvensky creuse une pâte sonore en fusion, ''Éternelle mémoire'' ensuite, Adagio là encore aux accents malhériens, sonne telle une sorte de requiem que conclut un sommet ouvrant quelque béance. Le finale, ''Tocsin'', renouant avec l'impétuosité d'une marche motorique et virant au perpetuum mobile de ses phrases copieusement cuivrées, roulements de timbales et accords massifs, tient en haleine. Jusqu'à cette rupture brutale de retour au tempo quasi adagio sur un orchestre assagi d'où surnage la belle mélopée du cor anglais, ultime hommage aux victimes de janvier 1905. Avant un dernier sursaut de violence, Gennady Rozhdestvensky aura sculpté cette partition si engagée, drivant un orchestre de la BBC chauffé à blanc. Là encore la qualité exceptionnelle du transfert restitue l'impact d'une prise de son déjà d'un étonnant relief.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Dmitri Chostakovitch : Symphonies N°4 op.43 & N°11 op.103 ''L'année 1905''
- BBC Symphony Orchestra (N°4), BBC Phiharmonic (N°11), dir. Gennady Rozhdestvensky
- 2 CDs ICA Classics : ICAC 5169 (Distribution : Outhere Music France)
- Durée des CDs : 61 min 58 s + 63 min 51 s
- Note technique : (5/5) (réédition)
CD disponible sur Amazon
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