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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : un nouveau regard sur l'orchestration des Lieder de Schubert

Mathias Goerne Schubert Revisited

Matthias Goerne n'a plus rien à prouver dans le domaine du Lied, de Schubert en particulier. Et pourtant, il s'offre le luxe avec ce fascinant album d'enregistrer à nouveau un choix de Lieder, non pas dans leur version originale avec piano, mais dans des arrangements pour voix et orchestre, réalisés par Alexander Schmalcz, partenaire de longue date. Une passionnante immersion. 

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On connaît les transcriptions de Lieder de Schubert dues à Brahms, Reger, Liszt, Webern et même Berlioz. Toutes ont leur intérêt, certaines plus problématiques comme celles de Brahms qui, selon Matthias Goerne « sont si denses que le chanteur est poussé à ses limites en termes d'intimité de ces pièces ». Rien de tel dans les arrangements effectués par Alexander Schmalcz. Pianiste accompagnateur, il sait combien il faut être discret vis-à-vis de son chanteur. Compositeur cette fois, il sait qu'il lui faut respecter aussi bien la ligne de chant que l'esprit des textes. Il indique n'avoir « rien ajouté » dans le but « d'être aussi près que possible de l'original ». Goerne précise au demeurant que la sélection de pièces qu'il a faite « acquiert une dimension ''timbrique'' que le piano est incapable de reproduire ». Pour lui, « la version orchestre n'est pas meilleure, seulement différente ». On peut ajouter qu'elle peut enrichir l'original au sens de l'enluminer ; là où on se souvient que le piano de Schubert est souvent ''orchestre'' tant il est riche. Le résultat est confondant d'authenticité, grâce au travail sur les cordes légèrement rehaussées, selon les pièces, de traits de bois, créant un effet comme magique, voire de cuivres pour corser l'intensité.

Ainsi le Lied ''An Silvia'' D 891, par lequel débute le programme, offre-t-il à cette sérénade un élan que l'ajout de la trompette doublant la ligne vocale achève de rendre lumineuse. Dans le même registre élégiaque, ''Pilgerweise'' (Sagesse du pèlerin) D 789 avec son rythme dansant voit l'orchestre souligner sa voix intérieure, là où le baryton s'épanche dans le registre presque ténorisant. Et dans ''Abendstern'' D 806, l'écrin discret des cordes en une sorte de pédale de la basse soutient d'un calme imperturbable la voix de l'homme chantant la beauté de l'étoile du soir. Avec ''Der Heimweh'' (Le mal du pays) D 851, le prélude particulièrement développé comme la fin du lied acquièrent avec l'orchestre un poids insoupçonné pour créer l'atmosphère d'une ballade truffée de contrastes entre violence et tendresse. 

Les Lieder de facture plus dramatique bénéficient de pareil judicieux traitement. Ainsi dans ''Der Tod und das Mädchen'' D 531 (La jeune fille et la mort), l'ajout du trombone donne-t-il d'emblée à la mélodie un ton sépulcral. Et le contraste est saisissant entre les deux versets, le premier distribué aux cordes pour évoquer la prière de la jeune fille, lesquelles sont rehaussées des cuivres s'agissant de la réponse de la mort. Toute la densité de cette si brève scène mais aussi la simplicité des moyens retenus par Schubert dans le couple piano-voix, on les retrouve dans la combinaison de celle-ci avec l'orchestre. Dans le fameux ''Erlkönig'' D 328 (Le Roi des aulnes), l'entame de course haletante se traduit par une volée de cordes digne du Prélude du Ier acte de La Walkyrie, que l'on retrouve dans les exclamations affolées du fils. Ailleurs, on entend les timbales associées aux contrebasses créer un « extrêmement étrange, profond, triste et bourru murmure », souligne Goerne. Dans cette transposition orchestrale, le drame de cette tragique ballade est porté à un degré presque insoutenable, alors que la partie vocale se déchaîne jusqu'à la tragique fin.

Que dire encore de la trilogie ''Gesänge des Harfners'' D 478 (Chants du harpiste), tirée du Wilhelm Meister de Goethe, premier cycle de Schubert. La manière ''Durchkomponiert'' prédestinait peut-être ces Lieder à l'orchestre. Ainsi le ton plaintif du deuxième Lied ''Celui qui jamais ne mangea son pain dans les larmes'' est souligné par l'usage des contrebasses accompagnant le débit sinueux de la voix, dont se détache tel trait de bois aux harmonies changeantes. Le climat grave de la dernière mélodie et la prééminence de la basse à l'accompagnement prend ici une tournure encore plus désespérée, au point de préfigurer ''Le joueur de vielle'' du Winterreise. C'est aussi à ce dernier Lied, contemporain cette fois, que fait penser ''Der Fischers Liebesglück'' D 933 (Le pêcheur heureux en amour). De cet étonnant dialogue de l'accompagnant (piano) avec la voix, l'orchestre suggère plus encore : la ritournelle instrumentale est traduite avec acuité dans l'orchestration claire d'Alexander Schmalcz, dont s'élève la mélodie du cor anglais. Celle-ci reviendra au début de chaque strophe, outre plus tard des traits d'alto en sourdine ou de flûte pour agrémenter les différentes étapes de cette longue pièce. On citera encore combien les bois, dans ''Schäfers Klagelied'' D 121 (Plainte du berger), relèvent délicatement le drame sous-jacent. Ou l'effet d'écho de l'amant qui crie aux quatre coins de l'univers le nom de sa bien-aimée, dans ''Alinde'' D 904, ici restitué par la clarinette et le basson, baignant ce Lied d'une douce lumière vespérale.   

Si ces magnifiques arrangements ne remettent pas en cause l'esprit des mélodies, c'est aussi grâce à la qualité de l'exécution instrumentale. La Kammerphilharmonie de Brême joue ici sans chef. C'est le chanteur qui mène les opérations en lien direct avec le Ier violon, Florian Donderer. Goerne de dire au sujet de l'enregistrement « je chantais pour l'orchestre et dirigeais en même temps avec l'aide du Konzertmeister ». Il faut dire qu'il est ici chez lui, royal comme toujours, avec la poétique de Schubert, maîtrisant cet idiome comme peu aujourd'hui. On reste subjugué par les couleurs infinies de ce timbre séduisant entre tous, ses teintes ténorisantes sur des ralentissements proprement magiques du plus bel effet, et ses graves impressionnants, proches de la voix de basse. La limpidité de la ligne de chant, les oppositions d'émotions si consubstantielles à l'univers schubertien, tout est là de la meilleure veine dans ce face à face instrumental ''augmenté''. Ajoutant un autre éclairage à ses interprétations bien connues de ces Lieder avec piano.

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L'enregistrement à la Kammerphilharmonie Bremen, en deux prises en 2019, confère un particulier relief à la voix captée dans une ambiance aérée et baignant dans sa parure orchestrale.

Texte de Jean-Pierre Robert  

Plus d’infos

  • ''Schubert revisited''
  • Choix de Lieder orchestrés par Alexander Schmalcz
  • Matthias Goerne, baryton
  • The Deutsche Kammerphilharmonie Bremen
  • 1 CD Deutsche Grammophon : 483 9758 (Distribution : Universal Music)
  • Durée du CD : 75 min 07 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5

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