CD : les sonates pour violon et piano de Bartók
Le vif intérêt éprouvé par Bartók pour le violon trouve son origine dans ses échanges avec les instrumentistes paysans rencontrés au cours de ses pérégrinations ethno-musicales. Il s'est aiguisé auprès de violonistes renommés, tels Zoltan Székely ou József Szigeti, mais aussi de jeunes talents comme Stefi Geyer ou Jelly d'Arányi qui furent l'une et l'autre ses muses. Les deux sonates pour violon figurent parmi ses œuvres les plus audacieuses. Elles sont ici interprétées avec rigueur et passion par Magdalēna Geka. Le pianiste Kishin Nagai ne le cède en rien pour satisfaire à une écriture pianistique tout aussi exigeante.
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Écrites au début de années 1920, les deux sonates pour violon appartiennent à la veine la plus avant-gardiste de Bartók. Là où, selon Claire Delamarche, « l'harmonie s'aventure aux confins de l’atonalité ». L'influence de Schoenberg n'y est pas neutre, comme celle d'autres musiciens contemporains comme le français Debussy ou le polonais Szymanowski. Si la marque de la musique populaire est présente, elle est enfouie sous les traits de l'abstraction. Leur apparente austérité ne doit cependant pas rebuter car les deux œuvres offrent un panel de nuances et de traits passionnés qui les rendent immédiatement séduisantes. La Sonate N°1 pour violon Sz.75, de 1921, en trois mouvements, voit les deux instruments traités de manière assez différente. À l'Allegro appassionato, sur un piano mobile, le mélodisme passionné du violon impose des modes de jeu variés et des sautes d'intensité importantes. Une seconde partie, entamée par le violon, installe un climat en apparence plus apaisé, celui d'une mélodie confidente. L'agitation reprend durant le développement, le violon confiné dans les contrées les plus aiguës et le piano assumant un rôle non moins primordial. La coda sera rageuse, sauvage presque, avant de s'essouffler. L'Adagio s'ouvre par une longue phrase du seul violon dans le registre aigu. Le piano enchaîne par une succession d'accords. Diverses sections se partagent ce mouvement où Bartók joue sur les oppositions de couleurs. L'Allegro final est énergique dans sa course folle calée sur le rythme. On y croise de manière fugace des bribes de thèmes du folklore roumain de Transylvanie. Le langage est extrêmement travaillé chez chacune de deux voix et les changements de tempos incessants, jusqu'à une coda étourdissante.
La Sonate N°2 pour violon Sz.76, de 1922, emprunte la forme bipartite. L'apport de la thématique populaire, magyare cette fois, y est plus significatif que dans la Première sonate, malgré un langage plus moderne. Là encore l'harmonie peut dérouter l'auditeur. Dès le Molto moderato, la symbiose violon-piano est mieux assurée et souvent chacun échange le discours avec l'autre. L'esprit est fantasque : violon convulsif, piano truffé de clusters. Dans l'Allegretto dansant, Bartók reprend la thématique du premier mouvement, travaillée en formules plus carrées. Le violon gagne en intensité dans le registre le plus soutenu ou au contraire totalement éthéré.
Les deux rhapsodies, contemporaines du IVème Quatuor à cordes, datent de 1928. Leur langage est plus nettement virtuose, loin de l'âpreté des sonates. Elles sont de forme binaire, opposant Lassú (lent) et Friss (vif). On les connaît surtout à travers l'orchestration que Bartók en a lui-même réalisé. La Rhapsodie N°1 Sz.86, dédiée à Szigeti, est composée de six thèmes dont le premier, au violon, est bien connu, sorte de carte de visite. Le second mouvement très dansant est de plus en plus rapide jusqu'à un agitato. La Rhapsodie N°2 Sz.89, dédiée à Székely, est de structure plus complexe. Plus abstraite aussi, à l'aune de son premier thème insaisissable, une danse peu connue, presque anguleuse. Le mouvement rapide est très articulé, uniformément logé dans le fff. Si on est loin du caractère abordable de la première rhapsodie, l'écriture très sophistiquée du violon, qui s'écarte de la tonalité, n'en capte pas moins l'attention.
La violoniste lettone Magdalēna Geka, au demeurant Ier violon du Quatuor Akilone depuis sa création en 2011, peut se targuer d'un cursus enviable, suite à sa formation dans son pays, puis au CNSMD de Paris, à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth et au Conservatoire de Lyon, où elle a bénéficié de l'enseignement de ses collègues Roussev, Danel ou Graffin. De son magnifique violon d'Alessandro Gagliano de 1734, elle offre des exécutions d'un rare fini sonore que n'effraient pas les traits assassins accumulés par Bartók, dans les sonates en particulier. Qu'elle transcende par une extrême expressivité. La complicité avec le pianiste japonais Kishin Nagai, lui aussi formé au CNSMD de Paris, est évidente : leur duo, formé en 2019, a déjà à son actif quelques prix prestigieux en musique de chambre.
L'enregistrement dans un des studios de la Radio de Riga offre une acoustique ''ouverte'' de concert, les deux instruments bien centrés et dans un équilibre naturel.
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Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Béla Bartók : Sonates pour violon et piano N°1, Sz.75 & N°2, Sz.76. Rhapsodies pour violon et piano N°1, Sz.86 & N°2, Sz.89
- Magdalēna Geka (violon), Kishin Nagai (piano)
- 1 CD Paraty : 1922128 (Distribution :[PIAS])
- Durée du CD : 75 min 22 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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