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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : fragments d'un discours musical amoureux

PassacaleDeLaFollie

Élargissant sans cesse son répertoire, Philippe Jaroussky aborde les airs de cour du XVIIème siècle. Il fait équipe avec une spécialiste, Christina Pluhar, dirigeant son ensemble L'Arpeggiata. À qui l'on doit la conception d'un programme significatif de ce genre musical, autour d'un thème cultivé à un rare degré de raffinement : les émois amoureux. La suavité de la voix du contre-ténor et les sonorités envoûtantes de ces sept musiciens communiquent au présent album une rare aura poétique. Une vraie pépite.

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L'air de cour, apparu à la fin du XVIème siècle et qui prolifère au XVIIème, essentiellement durant le règne de Louis XIII, est pratiqué par une aristocratie qui voit là matière à se divertir en conversant en musique dans un style choisi, sur le sujet le plus brûlant qui soit : l'obsession amoureuse, ses plaisirs comme ses affres. Cet amour qui embrase le cœur des amants jusqu'à les rendre fous. Pratiqués par tout un chacun dans ces sphères touchant de près à la musique, ils ont pour porte-paroles Moulinié, Boësset, Lambert ou encore de Bailly et Bataille. La forme est strophique à 4 ou 5 voix. Mais l'air peut se concevoir à une voix seule accompagnée par le luth. La manière raffinée se vit telle une amplification de la voix parlée et une ornementation de la parole, par des affects auxquels conduit la poétique souvent empruntée à Ovide et ses Héroïdes ou lettres d'amour fictives. Les textes chantés ne sont pas seulement en français, mais aussi en espagnol, témoin de l'influence à l'échelon européen d'un genre français que leurs auteurs aiment volontiers pratiquer dans une autre langue que la leur.  

Le choix opéré par Christina Pluhar et Philippe Jaroussky nous fait toucher du doigt la singularité de ces chants élégiaques et au langage allusif. Ainsi des pièces d'Antoine Moulinié (1599-1676) dont ''Paisible et ténébreuse nuit'', où la manière ensorcelante du conteur a pour but d'introduire cette phrase magique « j'aime une brune dont les yeux....'' ; ou encore l'air ''Concert de différents oyseaux'', là où l'amoureux se compare à un oiseau dont « il sort de nos corps emplumés des voix plus divines qu'humaines », belle complainte de ton légèrement moralisateur, d'une infinie douceur cependant. D'Antoine Boësset (1586-1666) l'air ''Nos esprits libres et contents'' offre un parfait exemple de la manière de transmettre la tendre apathie des amants. Même climat avec ''Vos mépris chaque jour'' de Michel Lambert (1610-1696) ou l'art de clamer avec une évidente délectation ce qui peut transpercer un cœur amoureux, que résume cette sentence : « mais je chéris mon sort bien qu'il soit rigoureux ».

Un grain de folie s'empare de ''Yo soy la locura : Passacalle (La Follie)'' d'Henry de Bailly (c.1585-1637). La rythmique déchaînée à l'accompagnement de cette passacaille sur le thème « je suis la folie » se communique à la voix, jusqu'à une note finale tenue doucement, comme indéfiniment. Ou de ''El baxel está en la playa presto para navigar'' (la nef est sur la plage prête à appareiller) de Gabriel Bataille (c.1574-1630) usant de la métaphore dans un dessein érotique. L'air de Moulinié ''Enfin la beauté que j'adore'' termine le programme sur une note plus profonde qu'empreinte de folie, à moins que celle-ci ne soit intériorisée au point de satisfaire le pur plaisir de s'autoflageller. On l'aura compris, le titre de ''Passacaille de la folie'' est à prendre au second degré !

Peu importe au fond dès lors que Philippe Jaroussky distille avec un plaisir enamouré ces pièces délicates, de son incomparable timbre et de sa diction superlative. Le style est dépourvu d'emphase, où le naturel du geste simple rejoint l'esprit le plus fin, la vivacité non fabriquée le ton élégiaque du lamento, le legato envoûtant les envolées contrôlées. Cette poétique galante, à la frontière de l'ingénuité, que traverse une pointe d'érotisme fantasmé, vécue dans des paysages bucoliques, Jaroussky la peint de la plus discrète aquarelle. Encore une palme à ajouter à une couronne déjà chargée de lauriers.      

L'écrin que lui réservent Christina Pluhar et ses musiciens dépasse le simple travail d'accompagnement. Jesus Merino Ruiz (violon baroque), Josep Maria Marti Duran (théorbe et guitare baroque), Flora Papadopoulos (harpe baroque), Rodney Prada (viole de gambe), Doron Sherwin (cornet) et David Mayoral (percussions) pourvoient un jeu d'une clarté et d'une transparence inouïes, à l'égal du raffinement des instrumentations imaginées par la théorbiste et directrice. Ce que l'on retrouve dans les morceaux purement instrumentaux qui parachèvent ce parcours : des musiques de danse de Robert de Visée et de Louis de Caix d'Hervelois, improvisation, passacaille, chaconne ou ''Plainte'', qui là encore laissent deviner la force irrésistible des élans amoureux et leur lot d'affres désespérées.

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La prise de son d'un extrême relief tant sur la voix que sur les instruments participe de l'immense séduction de ce programme.

Texte de Jean-Pierre Robert  

Plus d’infos

  • ''Passacalle de la Follie''
  • Airs de cour de Pierre Guédron, Antoine Boësset, Étienne Moulinié, Michel Lambert, Henry de Bailly, Gabriel Bataille (originaux et arrangements de Christina Pluhar)
  • Pièces instrumentales de Robert de Visée et Louis de Caix d'Hervelois
  • Philippe Jaroussky, contre-ténor
  • L'Arpeggiata, théorbe et dir. Christina Pluhar
  • 1 CD Erato :  5054197221873 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 62 min 55 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5) 

CD disponible sur Amazon



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