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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Zingari, opéra de Leoncavallo

Zingari Leoncavallo

Leoncavallo n'est pas seulement l'auteur de Paillasse. Parmi ses autres opéras, Zingari (Les gitans), occupe une place tout aussi essentielle. Vingt ans après le fameux drame, le compositeur revient au vérisme pur et dur dans une œuvre encore plus concise. Le label Opera Rara, dénicheur de trésors méconnus, en propose une version en tous points remarquable. À découvrir.

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 Créé à Londres en 1912, inspiré du poème éponyme de Pouchkine (1824), Zingari reprend les mêmes thématiques que Pagliaci, violence, passion, souffrance et surtout jalousie amoureuse. Quatre personnages seulement se partagent un drame aussi simple qu'efficace : sur les rives du Danube, la belle gitane Fleana s'amourache d'un aristocrate étranger, Radu, au grand dam de Tamar, poète gitan. Un an plus tard, alors qu'elle est prête à abandonner Radu pour se donner à Tamar, le poison de la jalousie fait son office : au comble de l'exaltation, Radu met le feu à la cabane où se sont réfugiés les amants maudits. En à peine plus d'une heure, les choses sont dites, dans une partition où Leoncavallo mêle la veine exotique tzigane à son propre style expressionniste, dans une invention mélodique qui fait son miel de sa propre concision, évitant toute velléité de longueurs. Le flux musical est tendu, mais ne néglige pas le raffinement sonore, notamment dans le traitement des bois. Ainsi de la danse de Fleana dans le Ier épisode, agrémentée de solos de flûte et de violon. Il connaît une pause symphonique entre les deux parties de l’œuvre, sous forme d'un Intermezzo, transition dans le récit. Cet intermède est lui-même composé de deux séquences, d'une part récapitulative des premiers événements, d'autre part annonciatrice d'une nouvelle love affair pour Flaena et du terrible drame à venir.

Les airs, brefs mais percutants, distribués aux quatre personnages, sont empreints d'une vocalité extrêmement tendue, comme toujours chez Leoncavallo. Ainsi de ceux dévolus à Fleana, figure centrale de l'opéra, qui n'est pas sans rappeler la Carmen de Bizet et de Mérimée : femme au charme dévastateur, résolue, tout sauf passive. Le personnage est bien différent de celui de Nedda de Paillasse car mieux dessiné, et notamment à travers ses duos avec les deux protagonistes masculins. Ces échanges sont en effet tout aussi intenses entre les figures d'un triangle amoureux voué à sa perte. Enfin le chœur, des gitans, occupe une place essentielle, pas seulement pour créer l'ambiance, encore moins installer ce qui serait une sorte de couleur locale, mais vrai témoin et commentateur des événements. Intervenant souvent offstage, il est constitué de sections différentiées, celle des femmes en particulier.

Carlo Rizzi, qui présente une édition reconstituée de la version originale de 1912, offre une exécution flamboyante, quoique parfaitement pacifiée, hors de toute outrance ''vériste'', à la tête d'un Royal Philharmonic Orchestra aux sonorités tour à tour incandescentes ou d'un lyrisme à fleur de peau. Le Chœur d'Opera Rara, tout aussi investi, dispense un chant d'une belle acuité. Le quatuor de solistes est vaillamment achalandé. La basse Lukasz Goliński prête au Vieil homme des accents de sincérité. Le baryton Stephen Gaertner, Tamar, dépasse le simple amant possessif et vengeur, notamment dans l'air fameux ''Canto notturno'' (Un chant nocturne) d'abord lancé au lointain sur une introduction d'alto solo, puis poursuivi en forme de ballade où cet instrument, allié à la flûte, enlace la voix. Le ténor arménien Arsen Soghomonyan possède les moyens extrêmes, notamment dans l'aigu, exigés du personnage de Radu, que ce soit dans l'échange désespéré et suppliant avec Fleana ''E mi ti vuol ghermire !'' (Et il veut me séparer de toi), ou dans l'air tragique, enflammé par la passion ''Perduto ! Tutto !'' (Perdu tout est perdu !). Krassimira Stoyanova, si injustement négligée par les labels de disque, et pourtant soutenue par des chefs tel Riccardo Muti et affichée dans des grandes institutions comme le Festival de Salzbourg, triomphe dans le rôle de Fleana. Son large soprano lyrique, elle l'adapte au langage vériste, l'enrichissant de couleurs ambrées dans l'air ''Addormentarmi, accarezzarmi'' (comme je m'endors, caresse-moi) et ses vocalises aux mélismes exotiques. Comme de graves saisissants dans le duo final, d'une folle passion, ''Si che sembra di morir !'' (oui, il me semble mourir !), là où l'héroïne veut, telle Carmen, ignorer jusqu'au bout le danger qu'emporte chez l'autre l'empire de la jalousie.

La prise de son au Fairfield Concert Hall de Croydon, près de Londres, dans une acoustique large, est parfaitement adaptée au grain généreux de cette musique, notamment quant au dosage voix-orchestre.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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Plus d’infos

  • Ruggero Leoncavallo : Zingari, dramma lirico en deux épisodes. Livret d'Enrico Cavacchioli & Guglielmo Emanuel, d'après un poème de Pouchkine (version originale de 1912)
  • Krassimira Stoyanova (Fleana), Arsen Soghomonyan (Radu), Stephen Gaertner (Tamar), Lukasz Goliński (Le Vieil homme)
  • Opera Rara Chorus, Eamonn Dougan, chef de chœur
  • Royal Philharmonic Orchestra, dir. Carlo Rizzi
  • 1 CD Opera Rara : ORC 61 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 64 min 32 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

CD disponible sur Amazon



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Opera Rara Chorus, Leoncavallo, Krassimira Stoyanova, Arsen Soghomonyan, Stephen Gaertner, Eamonn Dougan, Royal Philharmonic Orchestra, Carlo Rizzi

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