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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : un singulier Voyage dans la Lune

Offenbach LeVoyageDansLaLune

Jacques Offenbach serait-il le champion de l'opéra-féérie ? Ce genre très codifié fleurit au XIXème, appelant le grand spectacle bien sûr, mythes et légendes assurément, une bonne dose de parodie et de loufoquerie nécessairement, et last but not least des interprètes sachant pratiquer un mélange de chant et de dialogues qu'il n'est pas toujours aisé de faire cohabiter. Le présent album, enregistré dans la foulée de représentations scéniques, réussit l'exploit de nous faire croire à cette histoire rocambolesque d'improbable voyage non pas sur, mais dans la lune.

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Cinquième opus d'une série entamée par Le Roi Carotte et poursuivie, entre autres, avec Orphée aux enfers, Le Voyage dans la Lune offre à son auteur, en 1875, de nouveau un beau succès. Le critique du journal Le Ménestrel ne dit-il pas « c'est de l'Offenbach de bon tonneau ». La trame est porteuse : Le roi Vlan ne peut contenir la foucade de son fils, le bien nommé Caprice, réclamant d'aller dans la lune. Propulsés par un puissant coup de canon, ils s'en vont à la rencontre de leurs homologues, le roi Cosmos et sa fille Fantasia. Là où l'amour n'existe pas, les terriens vont en instiller le fameux et irrésistible poison, et les deux jeunes immanquablement succomber à ses charmes. Deux personnages intrigants tirent les ficelles : Microscope, pour le compte de Vlan, et Cactus chez Cosmos. Toute une ribambelle de personnages pas spécialement secondaires corsent une intrigue parfaitement déjantée, à mesure de l'enchaînement d'invraisemblables péripéties sur l'astre lunaire et quant aux aléas de la vie céans, qui de janséniste en vient à côtoyer la débauche. Tout cela au fil de 4 actes et surtout de 23 tableaux fort différents. Où il est question d'un philtre, une ''eau magique qui fait engraisser les gens maigres et maigrir les gens gras'', des effets d'une pomme, importée malicieusement de la terre et qui se démultiplie sur la lune en pommiers aux vertus aphrodisiaques. De la place de la femme, réduite à peu en territoire de lune (indispensables ''femmes utiles'' ou ''femmes décoratives'', dont le credo est de ''Ne jamais faire Du soir au matin''), mais tenant un rôle nettement plus déterminant sur terre... Où l'on passe d'un Palais de glace ''à 50 degrés au-dessous de zéro'' à un volcan éteint qui va pourtant vivre une providentielle éruption, ce faisant permettre de libérer les terriens emprisonnés en ce territoire si peu hospitalier. On aura rencontré deux mondes que tout oppose, ou plutôt une sorte de monde à l'envers, selon le point de vue où l'on se place. Car aussi bien, dit-on là-haut, « la terre est complètement inhabitable ». Et tout finira par un ''Clair de terre'' !

Offenbach, qui aime tant ces fantaisies débridées, pourvoit celle-ci d'une musique pleine de verve, pétillante, jamais bavarde, illustrative de ces diverses ambiances si pittoresques. Ainsi de l'Ouverture où l'on savoure le futur thème de l'air ''Scintille diamant'' des Contes d'Hoffmann, joué au cor, un instrument qui se verra attribuer une fonction non négligeable par la suite, et ici des traits franchissant allégrement les frontières de la tonalité. La musique est constamment divertissante grâce à une orchestration extrêmement variée (Marche du Dromadaire au II, entracte du III), qui fait la part belle aux ballets, dont celui ''des chimères'' à la fin du IIème acte. Ou plus encore, celui dit des ''flocons de neige'' pour conclure le IIIème, alignant une polka à la rythmique comique, une mazurka aux accents presque suaves et un galop final proche du cancan, irrésistible bien sûr. L'écriture vocale inventive est truffée d'airs entraînants ou de couplets cocasses (''Vlan, Vlan... c'est moi le roi Vlan''), que complètent des ensembles vivants, dont le ''duo des pommes'' entre Caprice et Fantasia, ou des séquences concertato plus développées, telles ''les dames du Palais'' au IIème acte. La présente exécution livre une version quasi intégrale de l’œuvre, en première au disque, grâce aux travaux de recherche et d'édition du Palazzetto Bru Zane.

Nul doute galvanisés par une série de représentations scéniques, soutenue par le Palazzetto Bru Zane et tournant dans une vingtaine de salles d'opéra, les interprètes nous convient à la fête. Par les dialogues d'abord, qu'Offenbach et ses librettistes ont conçus cursifs et bourrés de clins d’œil, d'une impeccable justesse de ton : drôlerie, roublardise, bagout, vraie-fausse passion... tout est là d'une redoutable efficacité. Quant au chant ensuite. Violette Polchi prête au prince Caprice une voix de soprano nuancée au fil d'airs à succès, depuis ''Papa, papa, je veux la lune'' (I) à ''Je regarde vos jolis yeux'' (II). La Fantasia de Sheva Tehoval, soprano plus éthéré, montre une quinte aiguë agile dans ''Je suis nerveuse'' (III), parangon de pyrotechnie et d'humour de l'égérie insupportée. Marie Lenormand, Popotte, apporte une note plus grave dans le trio des dames et une efficace logorrhée. Matthieu Lécroart est un désopilant Vlan, pourvu de juste cette pointe d'exagération qui fait mouche et le baryton est moiré. Lui répond le Cosmos de Thibaut Desplantes, tout aussi arrondi dans le ton. Bien achalandés, les ministres histrions Microscope (Raphaël Brémard) et Cactus (Christophe Poncet de Solages). De toute une suite de rôles plus épisodiques, on détachera le Quipasseparla du ténor Pierre Derhet dont l'accent belge est plus vrai que vrai. Pierre Dumoussaud les dirige de manière attentionnée. La battue est alerte, apportant aux rythmes entraînants d'Offenbach plus qu'un soupçon virevoltant, et partout un souci d'équilibre, singulièrement dans les passages symphoniques si essentiels de l’œuvre. Cela respire un bonheur de jouer parfaitement communicatif.

D'autant que la prise de son, dans une des salles du Corum de Montpellier, mise sur une ambiance flatteuse : les voix sont captées assez proches mais avec relief dans un environnement orchestral aéré, tout comme les dialogues le sont sans être trop en rupture sonore avec la partie proprement musicale.

Texte de Jean-Pierre Robert   

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Plus d’infos

  • Jacques Offenbach : Le Voyage dans la Lune, opéra-féérie en 4 actes et 23 tableaux. Livret d'Albert Vanloo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier. Éditions musicales du Palazzetto Bru Zane 
  • Violette Polchi (Caprice), Sheva Tehoval (Fantasia), Matthieu Lécroart (Le roi Vlan/Un Bourgeois/Un Marchand/Un Acheteur), Pierre Derhet (Quipasseparla/Un Forgeron), Raphaël Brémard (Microscope/Un Acheteur/ Un Marchand), Marie Lenormand (Popotte/Une Bourgeoise), Thibaut Desplantes (Cosmos/Le Commissaire/Cosinus/Un Marchand), Ludivine Gombert (Flamma/Adja/Une Bourgeoise/Une Forgeronne), Christophe Poncet de Solages (Cactus/Parabase). Chœur et Orchestre National Montpellier Occitanie, dir. Pierre Dumoussaud
  • 2 CDs Palazzetto Bru Zane : BZ 1048 (https://bru-zane.com ; Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.)
  • Durée des CDs : 71 min 44 s + 79 min 18 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)     

CD disponible sur Amazon



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