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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : John Nelson dirige Les Nuits d'été & Harold en Italie

Berlioz Harold en Italie Nuits Dete

Poursuivant son intégrale Berlioz, John Nelson aborde Les Nuits d'été qu'il associe à Harold en Italie. Il confie le cycle vocal à une voix d'homme et à un interprète, Michael Spyres, se mouvant aussi bien dans le registre de ténor que dans celui de baryton. Une performance qui rencontre les volontés de Berlioz dans l'orchestration effectuée en 1856. Autrement dit, une seule voix et plusieurs timbres. L’œuvre symphonique est quant à elle interprétée par un jeune altiste anglais d'une étonnante maturité.

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 Le cycle Les Nuits d'été n'aurait-il pas encore révélé tous ses secrets. La version d'origine (1841) est écrite pour piano et voix de mezzo-soprano ou de ténor, ce que ne remet pas en cause l'orchestration opérée en 1856. Mais Berlioz n'a-t-il pas conçu ses six mélodies pour des tessitures différentes ? La question se pose singulièrement s'agissant de la seconde ''Le spectre de la rose'' et de la troisième ''Sur la lagune'' qui requièrent une coloration plus sombre, nettement vers le grave et presque le contralto de la voix de femme. La décision de faire chanter ces mélodies par un ténor, voire un baryténor, comme l'est Michael Spyres, s'avère au plus près des volontés de l'auteur. Plus même peut-être que de les confier à un baryton, fût-il baryton Martin, comme Stéphane Degout dans le remarquable CD de François-Xavier Roth chez Harmonia Mundi. Alors surtout que le choix a été fait de revenir aux clés voulues par le compositeur dans sa révision de 1856. Ce qui frappe à l'écoute de ce nouvel album est l'aisance avec laquelle se meut l'interprète dans ces divers registres. Et encore le sentiment d'une approche presque bel cantiste. Rien d'étonnant chez un artiste qui cultive l'opéra français, de Berlioz en particulier, comme Énée du grand opéra Les Troyens dans cette même série, et l'opéra-comique ou encore l'univers de Rossini. Au-delà de la pure performance vocale, on admire l'impeccable diction et le sens du phrasé, qui rendent pleine justice aux poèmes de Théophile Gautier, ''La Comédie de la mort'' (1838). Et ce à travers un nuancier qui, selon les mélodies, fait passer le chanteur du ténor lyrique au baryton, avec même des incursions dans la basse.

Ainsi dans ''Villanelle'', le timbre de ténor lyrique impose-t-il un élan enjoué et une grande douceur. Plus loin, ''Absence'', ou les affres de l'irrémédiable séparation, ira jusqu'au cri de douleur sur l'envoi « Reviens, reviens, ma bien-aimée », lancé dans l'aigu cristallin du ténor. Le climat fantomatique de ''Au cimetière'' s’accommode parfaitement de cette tessiture claire qu'accompagne un orchestre discret. Le ton se fait intime dans les accents plaintifs et ppp de la dernière strophe, sur l'évocation de la beauté du souvenir de « l'Ange amoureux ». ''L'île inconnue'' renoue avec le ton enjoué de la première mélodie et l'élan bel cantiste est sans doute encore plus sensible ici. Restent les deux mélodies plus sombres. ''Le spectre de la rose'', Michael Spyres l'aborde en voix de baryton très grave, conférant au poème un parfum singulier : à la fois mélancolique, ce qu'accentuent d'impressionnantes descentes dans l'extrême grave, proche de la voix de basse, et délicat, élégiaque même sur les mots conclusifs « Ci-gît une rose Que tous les rois vont jalouser ». Passée la surprise de la voix barytonnante - mesurée nécessairement au souvenir impérissable de l'interprétation de Régine Crespin, dirigée par Ansermet (Decca) - on est saisi par la manière peu commune de colorer le texte poétique. Ce à quoi répond l'orchestration extrêmement épurée, rendue ici par un accompagnement d'une vraie transparence. Enfin ''Sur la lagune'', également chantée en voix de baryton, voit ce lamento prendre un caractère tendre, sur un orchestre en apparence serein. La dernière strophe atteint au tragique jusqu'au mot « linceul », logé dans la basse. Tandis qu'à la toute fin, Spyres use de plusieurs registres et même de celui de ténor. On l'aura compris, voilà une interprétation hors concours, portée avec une conviction de tous les instants et un accompagnement orchestral des plus pensés.

Il en va de même de la Symphonie avec un alto principal Harold en Italie op.16. L’œuvre (1834) est bâtie sur le concept berliozien de l'idée fixe, comme il en est de la Symphonie fantastique. Ce qui est illustré par le thème joué à l'alto, lequel revient dans ses quatre parties. Comme dans le cycle de mélodies, John Nelson se montre l'idéal défenseur de la musique de Berlioz, reprenant le flambeau d'un Colin Davis. Il fait équipe avec un jeune prodige de l'alto, Timothy Ridout, 27 ans, déjà adulé dans son Angleterre natale et vainqueur de prix internationaux. On admire la sombre introduction de ''Harold aux montagnes'' et l'entrée de l'alto d'une grande douceur, son échange avec la harpe, le dialogue avec orchestre imposé par le soliste, pour une dramaturgie où se révèlent des harmonies variées, des crescendos porteurs. La ''Marche des pèlerins'' possède une forme de sérénité dans son rythme lancinant, ponctué d'une note du cor, telle une sonorité de glas. L'alto trace son chemin dans le jeu sul ponticello ou en moulinets, jusqu'à une fin ppp envoûtante. Du grand art. Nelson restitue l'allégresse de la ''Sérénade d'un montagnard'' et toute l'originalité de cette scène champêtre avenante, le soliste gambadant sur un orchestre transparent. Cette dernière qualité, on la trouve partout, et encore au finale ''Orgie des brigands'', marqué Allegro frenetico, quoique entrecoupé d'une section Adagio : toute la fougue orchestrale de Berlioz est là, alors que la tension croît peu à peu et que l'alto récapitule cette étonnante trame imaginée par un amoureux de l'Italie et du théâtre ! Car on perçoit des harmonies anticipant Benvenuto Cellini. Toutes les combinaisons instrumentales si audacieuses de Berlioz n'ont décidément pas de secret pour John Nelson et sous sa sûre conduite, pour les musiciens du Philharmonique de Strasbourg. L'alto de Timothy Ridout n'est pas pour peu dans cette exécution enthousiasmante.

L'enregistrement à la Salle Érasme du Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg possède un superbe relief, outre une excellente balance voix-orchestre ou soliste-orchestre.

Texte de Jean-Pierre Robert  

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Plus d’infos

  • Hector Berlioz : Les Nuits d'été, Six mélodies op.7, sur des poèmes de Théophile Gautier. Harold en Italie, symphonie avec un alto principal en quatre parties, op.16, d'après Childe Harold's Pilgrimage de George Gordon Byron
  • Michael Spyres, baryténor
  • Timothy Ridout, alto
  • Orchestre Philharmonique de Strasbourg, dir. John Nelson
  • 1 CD Erato : 5054197196850 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 72 min 30 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5)

CD disponible sur Amazon 



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