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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Ian Bostridge et Lars Vogt analysent Le Chant du cygne de Schubert

Schubert Schwanengesang

Le dernier cycle de Lieder de Schubert, Chant du cygne, est souvent interprété par une voix de ténor. Ian Bostridge le pratique de longue date. Pour cette nouvelle version au disque, le chanteur britannique fait équipe avec le pianiste et chef d'orchestre Lars Vogt, récemment disparu. Cette exécution prend de ce fait un relief particulier, alors que nimbé d'un tragique assumé. Le CD est complété par une rareté, le vaste Lied strophique Einsamkeit D 620.

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L’appellation ''Schwanengesang'' (Chant du cygne) est selon Brigitte Massin « une invention d'éditeur ». C'est qu'en effet cette collection de 14 mélodies, due à trois poètes différents, Rellstab, Heine et Seidl, n'était peut-être pas destinée à former un cycle, au même titre que La Belle Meunière ou Le Voyage d'hiver. Qu'importe, à la mort du compositeur, son éditeur viennois a uni les deux sets dus à Rellstab et Heine en un tout auquel il a ajouté un Lied emprunté à Seidl, qui a peu de choses à voir avec les autres ; et ce pour contourner le nombre de 13. La postérité a vite corroboré cette série, affublée du titre, imagé et porteur, de ''Chant du cygne'', nul doute celui du musicien. S'il n'y a pas d'unité de forme, du moins c'est d'unité de climat dont il faut parler ici. Dans laquelle la partie de piano occupe une place déterminante, singulièrement dans les introductions et les postludes des Lieder, souvent développés, sans parler d'une manière presque orchestrale de concevoir l'accompagnement de la voix. Outre l'aisance mélodique, cette âme de Schubert, les Lieder se distinguent par une grande mobilité tant de la voix que de l'accompagnement, une scansion parfois violente (''Der Atlas''), des ostinatos soulignant le trait, la désespérance ou l'angoisse (''Der Doppelgänger''/Le Double), à l’occasion un extrême dépouillement du récit (''Ihr Bild''/Son visage).Y est essentiellement célébré le thème de l'absence, celle de la bien-aimée. Mais dans un sens différent de celui présidant au cycle du Winterreise. Le tragique irrémédiable de celui-ci, Schubert le tempère quelque peu, du moins dans les sept Lieder sur des textes de Rellstab car on y rencontre une « vigoureuse ardeur » (ibid.).

Pourtant, dans cette nouvelle interprétation, Ian Bostridge creuse indéniablement le trait, en accord avec son pianiste. Vers une sorte d'analyse extrême. Et de manière bien différente d'une précédente exécution en compagnie de Leif Ove Andsnes (label Warner). La voix a un peu perdu de ses harmoniques, mais l'approche s'est encore mûrie et scrute le texte, sa quintessence, par-delà le décor, ne serait-ce que dans le traitement des contrastes, souvent à la limite de la force primaire, ou au contraire de l'intime, la voix intérieure. Le nuancier de couleurs est particulièrement soigné, notamment dans le grave de la tessiture (''Kriegers Ahnung''/Pressentiment du guerrier). Bostridge privilégie l'expressivité plus que le beau son. Ainsi l'élégiaque d'une mélodie réputée avenante comme ''Ständchen''/Sérénade et son rythme balancé, cache-t-il un substrat plus tragique ici. Ou l'impact est-il décuplé, par exemple l'angoisse et la désespérance rencontrées dans ''Der Doppelgänger''. Les ruptures ou sauts d'intervalles se veulent très marqués (''Aufenthalt''/Séjour). Parfois, cela tient du visionnaire, comme avec ''Die Stadt''/ La ville, où le discours se fait fébrile, jusqu'au cri d'amour éperdu, alors que lignes vocale et pianistique semblent diverger. Non que le lyrisme soit absent, comme avec ''Liebesbotschaft''/Message d'amour, ou ''Der Taubenpost''/Le pigeon voyageur et son aisance mélodique si typiquement schubertienne.

Il faut dire que la partie de piano prend un rare relief sous les doigts de Lars Vogt, dont le jeu est tour à tour impérieux ou feutré. Toujours raffiné. On le ressent joliment trottinant (''Abschied''/Adieu), ou terriblement scandé dans ''Der Atlas'', voire fébrile (''Die Stadt''). On savoure les harmonies flottantes de ''Am Meer''/Au bord de la mer, si peu aquatique, là où « l'univers musical, clos, enfermé, est ainsi absolument empoisonné » (ibid.). Les sonorités étranges de ''In der Ferne''/Dans le lointain, évocation de la perte de la belle aimée, là où le piano ajoute aux vastes écarts du discours vocal. La légèreté, on la trouve dans cette sorte de chevauchée gambadante qu'est ''Abschied'', comme dans le rythme animé, ponctué de fin de strophe en forme d'interrogation de ''Frühlings-Sehnsucht''/Désir du printemps, ou à l'inverse, à travers celui régulier rencontré dans ''Das Fischermädchen''/La jeune pêcheuse, comme bat le cœur de celle-ci. Partout le piano de Vogt est au-delà du simple accompagnement : les deux partenaires sont rien moins que fusionnels.

Pareille approche avec Einsamkeit/Solitude D 620, composé en 1828. Cet ensemble de 6 Lieder strophiques conséquents sur des poèmes de Mayrhofer est une sorte de cantate dans laquelle le piano tient là encore un rôle essentiel, assurant la liaison entre les différentes parties d'un vaste récit sur les diverses manières de tromper la solitude. La vision est austère et les changements de climat fréquents, à l'intérieur même de chaque Lied. La vocalité est moins mélodieuse que dans le Chant du cygne, souvent tendue comme l'est l'accompagnement pianistique. On est loin d'un Schubert ''lisible'' et aisé. 

La prise de son dans la salle mythique de Wigmore Hall de Londres allie présence, relief et excellente balance entre les deux ''voix''.

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Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Franz Schubert : Schwanengesang D 957. Einsamkeit, D 620
  • Ian Bostridge (tenor), Lars Vogt (piano)
  • 1 CD Pentatone : PTC 5186 786 (Distribution : Outhere Music France)
  • Durée du CD : 69 min 26
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

CD disponible sur Amazon 



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