Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : les Années folles et l'opérette

Croisette

Les Années folles, c'est l'éclosion de l'opérette avec des noms comme Maurice Yvain, Henri Christiné, Raoul Moretti, mais aussi André Messager ou Reynaldo Hahn. C'est aussi « le début d'un certain rêve de Riviera », souligne le chef Benjamin Levy, car il existe une vraie « adaptation du répertoire léger de cette époque avec cet endroit ». L'album, enregistré justement à Cannes avec son Orchestre, nous fait humer les parfums pas si surannés de musiques pétillantes, grâce au talent d'une fine équipe.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Benjamin Levy ajoute que le dessein a été de permettre « de retrouver la manière dont on chantait ces airs et ensembles ». Ces musiques ont en effet bien souvent été dénaturées par des exécutions médiocres ou des arrangements tirant sur le côté Jazz. Ce qui faisait fi de leur véritable sens, notamment en termes de dynamique, de phrasé, ou plus simplement de leur vrai caractère de musique légère. Il souligne encore que l'orchestre requis par les compositeurs est comparable à celui d'Offenbach et que l'instrumentation en est souvent singulière, dans l'écriture pour les percussions par exemple. Il n'est dès lors pas étonnant que des musiciens rompus au symphonique se soient confiés à ce genre, comme André Messager ou Reynaldo Hahn. Il y a dans ces œuvres à la fois la tendresse amusée du regard en arrière et la vigueur du geste prospectif vers un souffle nouveau, voie sans doute ouverte par l'auteur de La Belle Hélène.

 

Les festivités s'ouvrent, sur les chapeaux de roues (à condition de veiller au bon réglage du potentiomètre), avec l'Ouverture de Gosse de riches, titre peu connu de Maurice Yvain, truffée de rythmes de Charleston. On sera par la suite enveloppé par d'autres morceaux de ce type, telle l'Ouverture de Pas sur la bouche du même auteur, on ne peut plus endiablée, relevée de beaux traits des bois, d'un développement très lyrique avec rallentando à la Johann Strauss. Ou encore de Dédé de Christiné, qui s'emballe dans une marche décidée ou se complaît de moments de suavité exquise.

Bien sûr, le plat de résistance, on le trouvera dans les airs suffisamment variés pour maintenir l'attention. Ainsi de celui de Viviane de Toi c'est moi de Moretti « c'est çà la vie, c'est çà l'amour », façon un peu jazzy mais avec goût. Ou de ce morceau tiré d'Un soir de réveillon, « Quand on est vraiment amoureux », un brin canaille. Les ''Couplets du contrôleur'' extraits de P. L. M. de Christiné déversent une inénarrable faconde quant aux vertus des gares de chemin de fer, d'Avignon à Nice en passant par Tarascon. Encore plus loufoque, l'air d'Hégésippe des Trois jeunes filles nues de Moretti, où Laurent Naouri est proprement impayable, et pourtant d'un excès parfaitement contrôlé, au fil de strophes bien cocasses où il prend l'accent, en particulier sur le refrain « Est-ce que je te demande si ta grand-mère fait du vélo... » Il montre pareil bagout dans celui de Patarin, emprunté à Gosse de riche d'Yvain, « Quand on est chic !» qui à travers ses répétitions cocasses, libère de lestes insinuations. Sa collègue Patricia Petibon n'est pas en reste, qui sait se faire gouailleuse dans les ''couplets d'Aspasie'' de Phi-Phi, imitation du premier air de la Manon de Massenet (« Je suis encore toute étourdie »), alliant charme appuyé et style déjanté. Les deux airs tirés de Passionnément ! de Messager, confiés au personnage de Julia, ici Amel Brahim-Djelloul au timbre ensoleillé, sont moins outrés, plus dans le registre lyrique.

On se prend à rire avec les ensembles, là où nos compositeurs, et les présents musiciens, redoublent de fantaisie. En commençant par les duos, celui fameux de Ciboulette de Hahn, « Nous avons fait un beau voyage » ou le récit émerveillé un brin naïf de deux amants bien sympathiques. Ou le ''Duo du roulis'' de Coups de roulis de Messager « Qu'ai-je donc/ ! Je suis comme grise », où les affres du mal de mer se muent insensiblement en l'éperdu d'un échange amoureux qu'on sent irrémédiable. Le duo « Sous les Palétuviers » de l'opérette de Moïse Simons Toi c'est moi, versus Petibon & Naouri, est leste et ''chaud'' sur un rythme fou à en perdre ses mots chez la dame et bien concupiscent de la part du monsieur. Pour ce qui est des trios, place à « Non jamais les hommes... ne seront ce que nous sommes » (Ta bouche), commencé en rythme syncopé par une des trois dames, repris par les deux autres compères sopranos. Celui de Ô mon bel inconnu de Hahn, sur un texte de Sacha Guitry, débuté par un solo de clarinette, rejoint par le violon I, aligne trois voix de femmes sur un rythme de presque barcarolle. On signale aussi le finale de l'acte II de Pas sur la bouche ''sur le quai Malaquais'' et ses répétitions à l'envi, en franglais notamment.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Tout cela est fort divertissant et redonne à cette musique sa vraie saveur dans un style alerte avec ce brin de folie contrôlée qui sied à une exécution élégante. C'est peu dire que les chanteurs sont dedans, dont encore le ténor Philippe Talbot, la mezzo Pauline Sabatier et la découverte de la jeune soprano Marion Tassou au ton enjôleur, ou encore le baryton Guillaume Andrieux, plus sage que son aîné Naouri. Côté orchestre, Benjamin Levy privilégie une approche mesurée mais non dénuée de brio, ne cherchant pas la facilité tout en se gardant du trivial. Les musiciens de l'Orchestre National de Cannes distillent les savoureux effluves de ces pages sans prétention mais combien rafraîchissantes.

Ils sont enregistrés dans la salle du théâtre Claude Debussy au Palais des Festivals sur la Croisette, dans une ambiance agréable avec une légère proéminence des voix.
Texte de Jean-Pierre Robert

Plus d’infos

  • ''Croisette''
  • Ouvertures et extraits d'opérettes de Maurice Yvain (Gosse de riche, Pas sur la bouche, Ta bouche), Henri Christiné (Dédé, P.L.M., Phi-Phi, J'adore ça!), Reynaldo Hahn (Ô mon bel inconnu, Ciboulette), Raoul Moretti (Un soir de réveillon, Trois jeunes filles nues), Moïse Simons (Toi c'est moi), André Messager (Passionnément !, Coups de roulis)
  • Patricia Petibon, Amel Brahim-Djelloul, Marion Tassou (sopranos), Pauline Sabatier (mezzo-soprano), Laurent Naouri, Guillaume Andrieux (barytons), Philippe Talbot, Rémy Mathieu (ténors)
  • Orchestre National de Cannes, dir. Benjamin Levy
  • 1 CD Erato : 5054197196195 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 67 min 48 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5) 

CD disponible sur Amazon



Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


Guillaume Andrieux, Benjamin Levy, Orchestre National de Cannes, Patricia Petibon, Amel Brahim-Djelloul, Marion Tassou, Pauline Sabatier, Laurent Naouri, Philippe Talbot, Rémy Mathieu

PUBLICITÉ