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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : une zarzuela baroque, Coronis de Durón

Sebastian Duron Coronis

Enregistrée dans le cadre d'une tournée en version scénique, la zarzuela baroque Coronis, composée par Sebastián Durón, se voit offrir une interprétation en tous points remarquable grâce aux talents conjugués de Vincent Dumestre, de son Poème Harmonique et d'une brillante troupe de chanteurs. De quoi inscrire cette œuvre au Panthéon des trésors de la musique espagnole.

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En pleine guerre de succession d'Espagne, le roi Philippe V fait créer à Madrid en 1705 une œuvre lyrique nouvelle contant le sort de Coronis, « nymphe parée de vertus, aussi courageuse que généreuse et loyale », remarque Agnès Terrier. Elle est en butte aux assauts du monstre marin Tritón, alors que les dieux Apollon et Neptune se disputent également ses faveurs. Apollon terrassera le monstre et pourra régner sur le cœur de la belle et sur la contrée ibérique. Tout un symbole politique. Du point de vue artistique, la pièce renouvelle déjà le genre de la zarzuela, apparu quelque temps auparavant, en en faisant éclater les codes : plus de dialogues parlés mais un enchaînement de récitatifs et d'arias, qui mêle modes musicaux espagnols et influences italiennes. Autrement dit la naissance d'un nouveau type d’œuvre lyrique, la zarzuela mythologique allégorique et plutôt épique. Quoique la vis comica ne soit pas absente car deux personnages de bouffons à la faconde aiguisée commentent l'action et tireront la morale quant à la place déterminante de la femme.

La musique conçue par Sebastián Durón (1660-1706), qu'on peut classer dans le répertoire du début du baroque, est extrêmement contrastée par une orchestration faisant une large place aux percussions, dont bien sûr les castagnettes et autres timbales. Elle est fort rythmée, bondissant dans le plus pur style espagnol, mais offre aussi des traits proches de l'opéra italien de l'époque. Une belle dose d'excès entoure des duos animés, par exemple entre Coronis et Tritón, Apollon et Neptune, ou les deux compères Menandro et Sirene. L'instrumentation, fournie et originale, fait intervenir des parties rares comme l'ottavino, et singulières à l'opéra comme la guitare, l'orgue et la pléiade de percussions. La vocalité est très ornée au fil de récitatifs accompagnés débouchant sur des arias de mode da capo. Quelques intermèdes purement instrumentaux sur le ton de la danse apportent quelque instant de calme dans une trame mouvementée. Ainsi de la Passacaille qui ouvre la deuxième Journée, répit après la bataille sans merci entre les dieux, suivie quand même d'une Jácara, danse endiablée truffée de percussions ! Vincent Dumestre s'empare de cette partition avec gourmandise. Sa direction alerte est totalement en phase avec cette abondance de rythmes, cette agitation souvent irrépressible, si typiquement baroque en fait, et teintée de couleurs espagnolisantes plus que séduisantes. Les sonorités suaves ou relevées des musiciens de son Poème Harmonique enluminent ces pages généreuses, singulièrement les bois, théorbe et autre guitare.

La distribution, entièrement féminine, à l'exception du personnage de Proteo, est pour le moins engagée question expressivité, formant une vraie troupe, au point qu'on ''voit'' se dérouler une action sans cesse en mouvement. À la limite tumultueuse souvent, privés que nous sommes de l'aspect visuel, à n'en pas douter haut en couleurs. Chacun manie l'hyperbole dans les échanges, nantis parfois d'effets cocasses de répétitions ou de vrai faux bégaiement. Dans le rôle-titre, Ana Quintans, soprano éclatant avec de beaux reflets graves, fait son miel de morceaux richement ornementés. Dont l'aria finale, là où la nymphe choisit son vainqueur, qui sera Apollon. La figure de Tritón, tout aussi importante, est défendue avec panache par Isabelle Druet, de son timbre somptueux de mezzo-soprano et là aussi par un investissement de tous les instants. Comme à la séquence lyrique de la seconde journée scène 10, lorsque le monstre se consume d'amour et de jalousie. Les dieux Apollon et Neptune, incarnés par des voix de femmes, mezzo-soprano, Marielou Jacquard et Caroline Meng, et les deux compères Melandro & Sirene, la contralto Anthea Pichanick et la mezzo Victoire Bunel, ne le cèdent en rien question bagou, exubérance et volubilité. Seul personnage masculin, le Proteo de Cyril Auvity tient son rang face à cette nuée de dames, grâce à un timbre fruité de ténor et une expressivité sans cesse en alerte. Comme dans une aria où le bougon raisonneur pressent la guerre entre Apollon et Neptune (I/4) ou cette autre en forme de lamento (II/1). 

La prise de son, à la Salle Colonne à Paris, privilégie une acoustique proche et un relief extrême sur les voix et instruments. La balance entre eux est parfaite et la sensation de mise en espace palpable.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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Plus d’infos

  • Sebastián Durón : Coronis, zarzuela en deux journées. Livret d'un poète anonyme
  • Ana Quintans (Coronis), Isabelle Druet (Tritón), Cyril Auvity (Proteo), Anthea Pichanick (Menandro), Victoire Bunel (Sirene), Marielou Jacquard (Apolo), Caroline Meng (Neptuno), Brenda Poupard (Iris), Olivier Fichet (Un chanteur du chœur)
  • Le Poème Harmonique, dir. Vincent Dumestre
  • 2 CDs Alpha : Alpha 788 (Distribution ; Outhere Music France)
  • Durée des CDs : 99 min 08 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5)

CD disponible sur Amazon



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