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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Benjamin Bernheim chante les italiens à Paris

Benjamin Bernheim

Le désormais prince des ténors français nous offre un récital fort original, florilège d'airs d'opéras écrits pour Paris par des compositeurs italiens, en français donc. Qui se propose ainsi de célébrer cette « nouvelle vague romantique » révélée dans la capitale française, remarque Benoît Dratwicki. Cela passe par une sélection audacieuse de morceaux empruntés à des œuvres connues, de Verdi par exemple, et plus négligées ou presqu'inédites, de Donizetti, voire de Puccini. De son timbre solaire, Benjamin Bernheim s'y révèle le maître du phrasé.

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Nous narrer l'histoire des Italiens à Paris, qui commence plus ou moins avec la venue, sous le Ier Empire, de Gaspare Spontini, et illustrer ce « goût et style italiens » qui « ont toujours fasciné les français » (ibid.), Benjamin Bernheim fait choix d'un panel d'airs et de scènes particulièrement signifiants. De l'opéra qui a scellé la célébrité de Spontini, La Vestale (1807), il donne le Prélude et l'air du proconsul Licinius, à l'acte III : ''Qu'ai-je vu...'', délivré dans une manière asservissant l'aspect héroïque pour conserver un ton très humain, déchiré entre passion et devoir. Un bel exemple du changement substantiel qui s'opère alors dans l'opéra de l'époque révolutionnaire vers une orchestration plus chargée et un débit vocal en conséquence plus dense. De Cherubini, vient un extrait de l'oublié Ali-Baba ou les Quarante Voleurs (1833), mettant en scène le personnage de Nadir : un prologue bondissant malgré la tristesse du texte, basculant dans une romance, introduite par les bois, d'un parfait cantabile, allant jusqu'au contre Ré émis en douceur. Le genre de la romance est prisé par les compositeurs de l'époque. Ainsi de Donizetti et La Fille du régiment (1840) avec celle de Tonio, laquelle pousse cependant vers la quinte aiguë sans quitter un exceptionnel legato, ou celle de Fernand de La Favorite (1840), tout aussi truffée de notes haut perchées, le type de la « romance à la mode parisienne » (ibid.). Plus rare, l'air chanté par le rôle-titre de Dom Sébastien, roi du Portugal (1843) : ici, la romance vire au tour de force puisque gratifiée de contre Ut lancés à pleine voix et encore d'un Ré bémol chanté ''doux'', ce que Bernheim achève avec aisance.

C'est en français que Verdi a vu créer son Don Carlos à l'Opéra de Paris en 1867. Le récit de Carlos à l'acte I ''Fontainebleau, forêt immense et solitaire !'', pourvu de son accompagnement nostalgique de clarinette, sonne d'un ton élégiaque que n'a peut-être pas la version italienne, pour traduire l'austérité des lieux et la joie de retrouver celle qui régnera dans son cœur (cavatine ''Je l'ai vue''). Bernheim le ménage avec une infinie tendresse, parsemé de passages en voix de tête, ce qui n'empêche pas les notes abordées avec force d'un rôle réputé ingrat. Plus héroïques seront la scène et le duo de l'acte II avec Rodrigue : un serment scellant une amitié vraie, surtout à l'heure de l'aveu par l'infant d'un amour désormais impossible vis-à-vis de celle devenue sa mère par son union avec le roi d'Espagne. On note la transparence du texte sur des mots comme ''tu souffres''. Le duo, de son fameux rythme martial, explicite la violence des sentiments éprouvés par chacun. Là encore cette version originelle montre tout son dramatisme, comme on a pu l'expérimenter lors de la production donnée à l'Opéra Bastille qui serait bien inspiré de la reprendre avec notre ténor français. Verdi a adapté en Jérusalem pour Paris en 1847 son opéra I Lombardi. Le récit et l'air de Gaston à l'acte II est un bon exemple de l'évolution de la technique vocale au milieu du XIXème siècle, note Dratwicki. En effet, l'air développe un large ambitus pour la voix de ténor jusqu'à un contre Ré en voix de tête. De même, Les Vêpres siciliennes ont-elles été créées à Paris en 1855 et mêmes remaniées en 1863 pour y inclure une Romance de substitution confiée au personnage de Henri de Montfort. C'est un superbe faire-valoir pour le ténor. Plus rare encore, l'air de Pinkerton de Madame Butterfly (acte III), ''Adieu, séjour fleuri'', dans sa traduction en français donnée à Paris en 1906, révèle un véritable remaniement opéré par Puccini. Cela sonne-t-il mieux qu'en italien ? La réponse est plus affirmative que dans le cas du premier air de Cavaradossi de Tosca, dans une traduction pour l'Opéra Comique, donnée en 1903 : ''O de beautés égales dissemblance féconde !'', dans sa gangue orchestrale pourtant si séduisante. Bernheim conclut sa promenade sur le Boulevard des Italiens par une autre perle : la scène de Giorgio du Ier acte de l'opéra Amica (1905, Monte Carlo) de Mascagni, sur les paroles originelles en français, là où le vérisme est asservi à l'élégance gallique, dans un environnement musical moderniste.

Au final, ce panorama aura confirmé la beauté du timbre ambré du ténor Benjamin Bernheim et le naturel avec lequel il se meut dans une langue pourtant pas toujours aisée du fait de ses nombreuses consonnes et fins de phrases moins carillonnantes que leurs correspondantes en italien. Mais qu'un art suprême des nuances transfigure et rend extrêmement porteuse. Il aura aussi conforté la superbe maîtrise du legato, d'un cantabile laissant l’auditeur sous le charme. Une qualité d'émission encore, qui lui fait rejoindre d'illustres prédécesseurs, comme le jeune Alagna, grâce à une projection sans faille dans la force comme dans le registre adouci, cette combinaison des voix de poitrine et de tête qui lui permet d'aborder avec un égal bonheur aussi bien Donizetti que Verdi, Spontini que Puccini. Il est magistralement soutenu par Frédéric Chaslin dirigeant un orchestre italien qui prodigue des couleurs éclatantes ou subtiles, autre coïncidence heureuse. On notera aussi la belle contribution du baryton héroïque Florian Sempey dans les extraits de Don Carlos.

La prise de son, au Teatro Auditorium Manzoni de Bologne, prend le parti de ne pas rendre la voix proéminente, car placée à bonne distance, dans un environnement chaleureux. 

Texte de Jean-Pierre Robert

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Plus d’infos

  • ''Boulevard des italiens''
  • Airs et scènes extraits d'opéras de Giacomo Puccini (Madame Butterfly, Tosca), Gaetano Donizetti (La fille du régiment, La Favorite, Dom Sébastian, roi du Portugal), Giuseppe Verdi (Don Carlos, Jérusalem), Gaspare Spontini (La Vestale), Luigi Cherubini (Ali-Baba ou les Quarante Voleurs), Pietro Mascagni (Amica)
  • Benjamin Bernheim, ténor
  • Avec Florian Sempey, baryton & le Chœur du Théâtre communal de Bologne
  • Orchestra del Teatro communale di Bologna, dir. Frédéric Chaslin
  • 1 CD Deutsche Grammophon : 486 1964 (Distribution : Universal Music)
  • Durée du CD : 59 min
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

CD disponible sur Amazon



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Orchestra del Teatro communale di Bologna, Frédéric Chaslin, Florian Sempey, Benjamin Bernheim, Chœur du Théâtre communal de Bologne

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