CD : Lully et le Bourgeois Gentilhomme
Que serait la fameuse pièce de Molière sans ses intermèdes musicaux ! On ne saurait oublier que Le Bourgeois Gentilhomme est une comédie-ballet, savoir une pièce de théâtre mêlée d'intermèdes musicaux. La commande de ce ''divertissement'' passée par Louis XIV s'adressait aussi bien à l'auteur dramatique qu'au musicien. Pas toujours jouée avec la pièce, la musique de Lully, qui lui est consubstantielle, mérite qu'on s'y arrête. C'est l'objet du présent enregistrement qui la présente dans son intégralité, sous la baguette stylée de Vincent Dumestre.
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Molière et Lully avaient été sollicités « pour composer une pièce de théâtre où l'on put faire entrer quelque chose des habillements et des manières des Turcs ». Elle trouve en effet son origine dans une ''turquerie'' par laquelle Louis XIV voulut brocarder la conduite jugée ''scandaleuse'' de Soliman Aga, émissaire du Sultan de l'Empire ottoman, lors de sa visite en France en 1669, vexé de ne pas avoir été traité avec les égards dont il s'estimait devoir être l'objet. Les auteurs ont créé ce qu'on appelle un spectacle total, mêlant avec virtuosité théâtre, musique et danse. En fait associant tous les arts car on avait aussi convié Pierre Beauchamp pour régler les ballets et l'architecte Carlo Vigarani pour en assurer les décors. La trame bien connue sur le thème du mariage empêché par Monsieur Jourdain de sa fille Lucile et de Cléonte, a sans doute pour but, grâce au stratagème imaginé par le jeune homme du déguisement de son hôte en Grand Turc, de conclure la pièce par les fameux divertissements de l'intronisation de celui-ci en qualité de ''Mamamouchi'' et du Ballet de Nations. Avant cela un certain nombre de numéros sont insérés dans la pièce pour en égayer le déroulement. Dans ces divers passages musicaux Lully recourt à la symphonie sur des rythmes de danse française, tels Menuet, Sarabande, Bourrée et autre Gaillarde. Mais fait aussi intervenir le chant par le truchement de divers personnages, dont L’Élève du Maître de musique, La Musicienne, les 1er, 2ème ou 3ème Cuisiniers, le Mufti, les divers Espagnols, enjoués ou plaintifs, Le Vieux bourgeois Babillard, Le Suisse... Qu'il confie à des voix bien distinctes : haute-contre, dessus (soprano), taille (ténor) ou basse, créant un panel tout à fait original.
Ainsi de l'introduction, avec l'air de L’Élève du Maître de musique ''Je languis nuit et jour'', qui est répété à la scène 2 de l'acte I, puis des interventions des Garçons tailleurs à l'acte II scène 5, des cuisiniers (III/16), pour suivre avec les chansons à boire à la première scène de l'acte IV. Le clou est bien sûr la ''cérémonie turque'' à la scène 5 du IVème acte. Cet intermède musical entremêlé dans le texte parlé, délivré en sabir franco-italien ou espagnolisant, dont le comique procède de ce qu'on en devine aisément les paroles, met en scène le Mufti (basse) qui interpelle Monsieur Jourdain, dénommé ''Giourdina''. Le rythme est soutenu et de plus en plus rapide, comme la manière on ne saurait plus colorée, le tout dans un esprit de caricature, tour à tour familier, de vraie-fausse bienveillance, virant à l'acerbe, pour aller quand même jusqu'à la bastonnade par les acolytes dudit Mufti. La comédie-ballet se clôt par un divertissement dansé, intitulé ''Le ballet des Nations'', qui en six entrées, fait intervenir divers personnages nouveaux, comme Les trois importuns, et la cohorte des Espagnols, Italiens et Français, les uns et les autres fort typés : sautillants au son des castagnettes pour les ibériques, gracieusement enluminés de violons s'agissant des ultramontains, élégants au son du menuet et de la musette pour les ''françois''. Ils seront tous réunis lors de l'ultime séquence ''Les trois Nations''. Là encore, Lully varie les morceaux, dansés ou chantés, et acclimate les styles.
L'interprétation que livrent Vincent Dumestre et ses musiciens du Poème Harmonique combine séduction instrumentale et vivacité du geste. On est vite emporté dans un tourbillon de rythmes que colorent un brelan d'amusantes percussions, des bois roucoulants et des cordes emplies de panache. Les chanteurs sont à l'unisson de ce style aussi authentique que racé, délivré en vieux français avec consonnes finales prononcées. Les messieurs qu'ils soient haute-contre (Paul-Antoine Benos-Djian, David Tricou, Nicholas Scott), taille, c'est-à-dire ténor (Cyril Auvity, Zachary Wilder, Serge Goubioud et surtout Marc Mauillon, impayable dans l'incarnation du Vieux Bourgeois Babillard) et basses (Geoffroy Buffière, Virgile Ancely, Thibault de Damas), rivalisent d'adresse avec les dames, dessus/soprano : Eva Zaïcik et Claire Lefilliâtre.
La prise de son à l'Opéra royal de Versailles offre une image sonore immédiate et bien proportionnée, comme un excellent équilibre entre voix et orchestre.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, Jean-Baptiste Lully : Le Bourgeois Gentilhomme, comédie-ballet en 5 actes (pièces musicales)
- Paul-Antoine Benos-Djian, David Tricou, Nicholas Scott (haute-contre), Cyril Auvity, Zachary Wilder, Serge Goubioud, Marc Mauillon (taille/ténor), Geoffroy Buffière, Virgile Ancely, Thibault de Damas (basse), Eva Zaïcik, Claire Lefilliâtre (dessus/soprano)
- Le Poème Harmonique, dir. Vincent Dumestre
- 1 CD Château de Versailles Spectacles ''Molière 400 ANS'' : CVS053 (Distribution : Outhere Music France)
- Durée du CD : 75 min 34 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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